Le Maroc dispose-t-il de moyens nécessaires pour protéger ses 3.500 km de littoral contre une éventuelle marée noire ? Le risque est pourtant là, latent, et pourrait se produire à tout moment. Le détroit de Gibraltar, qui abrite le chantier, aujourd'hui très avancé, du complexe portuaire Tanger Med, en constitue un exemple des plus édifiants. Ce raccourci entre les pays du pourtour méditerranéen, grands exportateurs de pétrole, est en passe de devenir une autoroute pour les tankers qui vont alimenter le marché européen. Cinq millions de tonnes de fuel par an y transitent. De plus, le détroit est également devenu au fil du temps, le paradis du business mondial du «bunkering». Cette pratique consiste en le ravitaillement en «carburant détaxé» des navires en mer. Résultats de toutes ces évolutions : en l'espace de trois ans, sept minis marées noires ont été répertoriées au large du littoral méditerranéen tangérois, selon des ONG spécialisées. Face à cette menace, se trouve l'inexistence ou presque d'une filière locale d'intervention professionnalisée dans le traitement de ce genre de catastrophe écologique. Un constat largement partagé. «À ma connaissance, il n'existe en effet aucune société spécialisée dans la gestion des cas de pollution maritime. Si une marée noire de grande ampleur se produisait au niveau de nos côtes, l'Etat serait obligé de faire appel à des entreprises étrangères», nous explique Moustapha Belfaquir, membre du directoire de Drapor. L'enseigne, filiale du groupe éponyme, est spécialisée dans le dragage des ports, qui constitue sa principale activité au Maroc. Quels coûts ? Cette société est la seule au Maroc qui pourrait-être à même de proposer ses services en cas de catastrophes écologiques maritimes. Et même là, les moyens font défaut. Aujourd'hui, Drapor ne dispose que d'un seul et unique navire dépollueur. «De toute façon, ce navire n'a jamais été utilisé. Au Maroc, on n'a pas encore rencontré de cas de pollution marine à grande échelle», poursuit le responsable. Mais cette exception positive pourrait rapidement tourner en cauchemar. Cette réalité, les autorités publiques en sont bien conscientes même si, jusqu'à pèsent, il est impossible de déterminer avec précision «qui intervient, comment et avec quels moyens?». Par ailleurs, il faut savoir qu'un navire dépollueur coûte en moyenne 30 millions d'euros, soit à peu près de 337 millions de dirhams. Le coût élevé des moyens, décourage déjà tout investissement – aussi bien du privé que du public – pour mettre en place des structures spécialisées dans le domaine. Les équipements et compétences humaines coûtent cher. «Les sociétés spécialistes en dépollution maritime sont d'ailleurs rares dans le monde. Elles n'interviennent qu'en cas de catastrophe, mais se remplissent les poches pour des prestations qui peuvent être extrêmement chères», précise Belfaquir. Conclusion : il faudra encore attendre bien longtemps pour voir ce business naître au niveau local. Prévenir... en attendant Mais à défaut de ce business, le gouvernement préfère de loin, pour le moment, prévenir que guérir. Un projet de législation, portant sanctions des rejets illicites de matières polluantes par les navires, est en effet actuellement quelque part au fond d'un tiroir, au niveau de la direction de la marine marchande. Cette législation, à termes, devrait s'appliquer «aux navires marocains où qu'ils se trouvent, ainsi qu'aux navires étrangers se trouvant dans les eaux sous souveraineté ou juridiction nationales», précise-t-on du côté du ministère de l'Equipement et des transports. À cet aspect réglementaire s'ajoute celui opérationnel, qui se limite toutefois à la surveillance du littoral. Pour le cas précis du détroit de Gibraltar, le ministère a tenté de prendre les devants en construisant sur place un centre de surveillance du trafic maritime à Tanger, baptisé CSTM Tanger«Tangier Traffic». Cette structure a pour mission, entre autres, de «coordonner des opérations de lutte contre la pollution marine accidentelle», nous explique-t-on auprès de la direction de l'agence spéciale Tanger Med (TMSA). S.F Le cadre juridique attend depuis 2009 Un projet de loi portant sanction pour les rejets des matières polluantes a été conçu par le département de Karim Ghellab depuis 2009, sans qu'il puisse encore voir le jour. À l'heure actuelle, aucune mouture préliminaire du nouveau cadre juridique n'a été mise sur le circuit parlementaire. Les activités de navigation maritime constituent l'une des causes des rejets en mer de matières polluantes. «Dans l'objectif de permettre au Maroc de défendre ses intérêts et de protéger ses eaux maritimes, conformément aux dispositions des instruments internationaux pertinents, un projet de législation portant sanctions des rejets illicites de matières polluantes par les navires a été élaboré par les services de la direction de la Marine marchande», explique-t-on auprès du département de tutelle. Le projet de législation, en cours d'examen en interne avec les différentes directions, s'applique aux navires marocains où qu'ils se trouvent et aux navires étrangers se trouvant dans les eaux sous souveraineté ou juridiction marocaine. «L'impact des déversements de la plupart de ces matières est connu par son effet toxique direct sur la faune et la flore marine. Ces rejets ne sont pas généralement le seul fait des navires pétroliers, mais celui de l'ensemble des navires qui pour leur fonctionnement quotidien, du fait de leur mode de propulsion et du combustible employé, produisent des résidus», peut-on lire dans la présentation du nouveau cadre juridique envisagé par le département de tutelle. «Notre pays, qui dispose de deux façades maritimes, est de plus en plus exposé à ce type de rejets, si on prend en compte les mesures contraignantes prises par la communauté européenne récemment, pour renforcer la sécurité maritime et la surveillance de ses espaces maritimes», souligne la même source. Les matières polluantes visées sont celles traitées par la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le Protocole de 1978 y relatif. Plus connue sous le vocable «Marpol», 5 de ses annexes traitent du rejet des hydrocarbures, des substances liquides nocives, des substances transportées en colis, des eaux usées et des ordures.