Les premiers émois de l'adolescence ont donné lieu à tout un tas d'histoires sensibles du cinéma moderne. Ces dernières années, Gus van Sant en a été un illustrateur de génie mais plus loin derrière, en remontant à la fin des années 60, on trouve un film un peu oublié, à la réputation culte, qui avait marqué une époque avant de disparaître. «Deep end» de Jerzy Skolimowki, dont il est question ici, a été restauré cette année et il ressort enfin, à la faveur d'un distributeur éclairé. Son auteur, le Polonais Jerzy Skolimowski a connu plusieurs carrières. Il a été boxeur puis cinéaste, avant de se retirer pendant plus de 17 ans pour se consacrer à la peinture et à la poésie. Comme son contemporain et ami Roman Polanski (Skolimowski est le scénariste de son premier film), il part donc tourner un film dans le Londres de la fin des années 60, qu'Antonioni venait d'immortaliser sur grand écran dans «Blow up». «Deep end» nous emmène cependant dans un décor complétement différent, l'essentiel de l'action se déroulant dans des bains publics de l'East end londonien où Mike (John Moulder-Brown), un jeune garçon de 15 ans qui vient de quitter l'école, se fait embaucher un peu par dépit. Il y rencontre Susan, elle aussi employée des bains, une très belle jeune femme rousse (Jane Asher, qui était alors une célébrité et accessoirement la petite amie de Paul Mc Cartney). Susan a la réputation facile, fréquente plusieurs hommes et fait tourner la tête de Mike, qui devient fou amoureux d'elle et se met à l'épier. En même temps qu'il découvre aux bains la promiscuité des corps humides et son attrait auprès des femmes vieillissantes, généreuses en pourboires pour peu qu'il se laisse faire… Susan le taquine, joue avec lui, amusée, tandis qu'il tente maladroitement de la séduire… Dans «Deep end», Skolimowski a la bonne idée d'inverser les rôles habituels: Mike joue les pucelles effrayées par les clientes d'âge mûr qui lui font des avances alors que Jane, assume totalement et fièrement une sexualité libre et décomplexée. Mike, le joli adolescent à la mèche rebelle et au look pré new wave, se contorsionne dans tous les sens et poursuit sans relâche sa proie, ne sachant comment s'y prendre pour attirer son attention et lui arracher un regard, un baiser, une promesse d'amour. Tout ce mouvement traverse le film, qu'on dirait presque chorégraphié avec ce flux continu de gestes maladroits, d'accidents retenus et d'entrées et sorties improbables. Le film jouit véritablement d'une écriture imprévisible. Comme dans la vraie vie, les événements s'enchaînent, cocasses et absurdes. Vous l'aurez compris, «Deep end» est une histoire d'initiation. Mais au- delà de la fable adolescente, surgit un regard tout à fait à part, sexué, poétique et cruel à la fois. «Deep end» est une réussite de beauté mélancolique, sur fond de couleurs pop et de musique de Cat Stevens. Enfin, la beauté plastique de ses principaux protagonistes ajoute un charme fou à ce film tour à tour drôle et tragique où Skolimowski affirme sa veine poétique, énergique et morbide. «Deep end» est le petit chef-d'œuvre d'un grand maître, qui s'est fait trop rare au cinéma. Aucun article en relation !