Le lundi 20 Rajab 1430, date correspondant au 13 juillet 2009, ne vous inspire probablement rien ! Mais pour nombre de Marocains, elle marque le début d'une période d'abstinence de 70 jours, durant laquelle l'alcool est banni. Au nom de quoi ? Lhaj Thami est un respectable sexagénaire. Retraité de l'enseignement public, ce père de famille affiche depuis quelques jours une piété de fqih. En plus de la mosquée qu'il fréquente cinq fois par jour, il passe le plus clair de son temps à préparer son voyage pour la Mecque, où il compte effectuer la Omra du ramadan en compagnie de son épouse. Pourtant, une semaine auparavant, Lhaj était une tout autre personne. Membre d'un club de pétanque de la capitale, davantage réputé pour ses “bulles” que pour ses boules, il consacrait ses journées à d'interminables beuveries. À quoi doit-on cette métamorphose ? Comme bon nombre de Marocains, Lhaj Thami croit devoir arrêter l'alcool quarante jours avant le ramadan pour que son jeûne soit valable. “C'est une ancienne croyance très répandue parmi les Marocains en particulier et les musulmans en général. Il faut cependant préciser qu'elle ne se base sur aucune prescription religieuse, mais seulement sur des us et des coutumes”, explique le docteur El Hassan Aït Belaïd, imam de la mosquée Al Mohammadi à Casablanca, enseignant à la faculté des sciences humaines de Aïn Chok et conseiller religieux de la radio Casa FM. Selon lui, “L'alcool est interdit en tout lieu et en toute période de l'année”. Point, à la ligne. Maintes fois claironnée par les imams, cette vérité ne parvient pourtant pas à faire son chemin dans l'esprit d'une certaine frange de la société marocaine qui croit, dur comme fer, qu'une fois ingurgité, l'alcool reste dans l'organisme pendant quarante jours. Là aussi, la science apporte un cinglant démenti. “Comparé à d'autres substances, l'alcool se dissout assez rapidement dans l'organisme. C'est ainsi qu'il n'est plus détectable dans l'urine au bout de quelques heures. Et une journée après avoir été consommé, il disparaît totalement du sang”, explique Adil Essadki, biologiste laborantin. Et de préciser : “Ce n'est pas le cas de drogues comme le cannabis qui, en cas de consommation chronique, laisse des traces dans l'organisme jusqu'à plusieurs mois après le dernier joint”. Qu'est-ce qui pousse donc des centaines de milliers de Marocains à respecter chaque année cette période d'abstinence, alors même que la plupart savent qu'elle ne repose sur aucune prescription religieuse ou scientifique ? “Même s'ils boivent de l'alcool, ces gens restent des musulmans. Certains arrêtent de boire durant cette période par respect pour le mois sacré, tandis que d'autres espèrent quitter définitivement l'alcool, que leur abstinence se prolongera même après le ramadan”, répond El Hassan Aït Belaïd. Une période de “diète” Digne représentant de cette deuxième catégorie, Zouhaïr sait parfaitement que l'alcool est haram toute l'année. Mais comme il nous l'explique, cette période d'abstinence équivaut pour lui à une sorte de diète. “J'en profite pour reposer mon foie et surtout pour m'assurer que je ne suis pas alcoolique. Je me dis aussi qu'un jour viendra où je ne reboirais plus… même après la fin du ramadan. On ne sait jamais ?”. Reste alors une question : pourquoi 40 et non pas cinquante ou soixante jours ? “Dans la tradition musulmane le chiffre quarante revêt un caractère symbolique. Plusieurs versets du coran dont Al Aâraf, ainsi que plusieurs hadiths du prophète, évoquent dans différents contextes ce chiffre de quarante jours. C'est ce qui explique le recours régulier dans notre société à ce délai dans différentes occasions telles que la commémoration de la mort d'un proche par exemple”, répond El Hassan Aït Belaïd. En effet, le Coran, comme d'ailleurs la Bible ou la Torah, évoquent ce chiffre à plusieurs reprises. Il est ainsi question des quarante jours de pénitence que le prophète Moïse observe dans le désert du Sinaï afin que Dieu épargne son peuple. Des quarante jours et quarante nuits que dura le déluge du temps de Noé. Des cycles de quarante jours nécessaires à la formation de l'embryon puis du fœtus... Un usage qui se perd Mais ce n'est pas pour autant que tous les Marocains qui boivent respectent ce délai. Bien au contraire, les adeptes du rituel des quarante jours se font de moins en moins nombreux. Déjà en 2004, une étude menée sous la direction de Nadia Kadiri, psychiatre au centre Ibn Rochd, pour le compte de la Fondation Hassan II pour la recherche scientifique et médicale sur le ramadan, signalait cette tendance. Menée sur un échantillon de cent personnes qui se sont prêtées au jeu des questions-réponses, cette étude faisait état du “non-respect de l'abstinence des quarante jours par la majorité des buveurs”. Ceci d'autant plus quand, comme c'est le cas cette année, le ramadan tombe en pleine saison estivale. “Plus le ramadan approche, plus les gens, notamment les jeunes, cherchent à se divertir et à faire la fête”, nous dit le gérant d'un pub branché à Casablanca, avant de conclure : “C'est comme s'ils essayaient de faire le plein de sensations”. Majdoulein El Atouabi