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LA RéVOLTE DU PEUPLE FACE À L'HYPOCRISIE OCCIDENTALE
Publié dans L'observateur du Maroc le 24 - 01 - 2011

Deux jours plus tard la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, proposait l'aide policière de la France pour assurer le retour au calme. Ce n'est qu'après la fuite de Ben Ali que Paris s'est réveillé et s'est rappelé "sa vocation à soutenir la démocratie".
Le régent du Président, Henri Guaino, a essayé, au nom de l'Elysée, d'expliquer qu'il ne s'agit que de maladresses, traduisant mal le malaise à gauche, comme à droite, face au soutien absolu à la dictature policière de Ben Ali.
Or il ne s'agit pas d'un cas unique. Jacques Chirac avait déclaré lors d'une conférence de presse : «Des élections libres en Algérie cela signifie la victoire des intégristes, or personne ne veut d'un Etat islamique dans cette région». C'est ce même paradigme, de rempart à l'islamisme sous forme de pouvoirs autocratiques, qui est servi pour excuser l'abandon des démocrates et de leur lutte dans les pays du Sud de la Méditerranée.
La révolution tunisienne a mis à nu ce mensonge. Les barbus d'Annahda, persécutés par Ben Ali et ses sbires, ne jouent pratiquement aucun rôle et ne représentent aucun danger de république islamique. Le repoussoir n'était qu'un fantasme.
A l'inverse, des expériences de démocratisation réelle sont fragilisées par le même Occident, qui met en doute leurs avancées, refuse tout compromis et met en exergue la moindre faille réelle ou supposée. Un journal, au Maroc, ferme parce qu'il n'a pas payé ses impôts, et l'on parle aussitôt d'atteinte à la liberté de la presse. Par contre, Ben Ali pouvait contrôler facebook au nom de la vigilance vis-à-vis de l'islamisme.
Le vrai débat
Il faut arrêter d'essayer de justifier l'injustifiable et de poser la vraie question : l'Occident est-il véritablement le défenseur des valeurs universelles qu'il prétend incarner ? La réponse est Non.
Au nom de la "Realpolitik" il a toujours soutenu les dictateurs contre les peuples, montant sur ses chevaux à la dernière minute pour offrir son "aide à la transition" en vue de sauvegarder ses intérêts. Intérêts, c'est le mot qui fâche. Or si l'on veut réellement poser les jalons de nouveaux rapports entre l'Occident et nous autres peuples "indigènes", il faut poser la vérité crue.
L'attitude des partis de gouvernement, de certaines ONG et des partis d'extrême gauche en Occident ayant toujours soutenu les droits de l'homme est théorisée.
Aux USA un think tank de haut niveau avait publié en 1996, alors que Bill Clinton était au pouvoir, une analyse selon laquelle il ne fallait pas que l'Amérique répète la même erreur qu'elle a commise avec l'Iran. Selon ce think tank, «les pouvoirs dans le monde arabe sont corrompus, les démocrates sont trop fragiles et les islamistes vont gagner. Puisque ces derniers respectent la propriété privée, les intérêts stratégiques des USA ne sont pas menacés. Quant aux droits de l'homme, c'est une notion qui évolue dans l'espace et dans le temps». Cela est écrit noir sur blanc. Cette idée faisait son chemin et c'est le 11 Septembre qui a renversé la donne. En Europe et en France en particulier, à gauche comme à droite, c'est le différentialisme, le frère aîné du racisme, qui sert de couverture au lâchage des démocrates.
«Ce sont des cultures différentes, avec des problèmes et des aspirations différentes. On ne peut pas appliquer à ces pays les mêmes critères que chez nous», voilà ce que disent les différentialistes qui vont faire appel à l'anthropologie et à Levis Strauss pour justifier leur forfaiture.
Cela n'empêche pas de garder l'épée des droits de l'homme pour fouetter les régimes récalcitrants. Tout cela fait évidemment désordre. Cela affaiblit surtout les démocrates résolus, ceux qui pensent que la charte des droits de l'homme s'adresse à tous. Dans leur pays, ils sont assimilés à un Occident prédateur et opportuniste, qui piétine ses propres valeurs pour vendre quelques avions ou une centrale.
Quand on parle des islamistes il faut savoir qu'ils agitent la question de l'identité en premier et que, pour disqualifier les démocrates modernistes, ils accusent ceux-ci d'être les agents d'un Occident hypocrite. L'idée démocratique elle-même et les valeurs de tolérance et de fraternité s'en trouvent fragilisées. Par contre, tout, absolument tout, dans l'attitude de l'Occident rappelle la colonisation. Il n'y a pas d'intervention en Côte d'Ivoire parce que le cacao n'est pas le pétrole. La Somalie est aussi laissée à son sort parce qu'elle est pauvre.
Les peuples ne sont pas idiots, même de manière intuitive.
Les démocrates occidentaux devraient savoir que leur attitude fragilise ceux qui partagent leur idéal. Leurs indignations à géométrie variable, qui s'attaquent à un pays engagé dans une construction démocratique sincère bien que difficile et épargnent les dictateurs, ne font plus recette.
De deux choses l'une, ou l'Occident annonce que la vie publique des autres ne l'intéresse pas, qu'il fait affaire avec les gouvernants et qu'on en finisse; ou alors il confirme avoir la volonté de porter des valeurs et les imposer au niveau des relations internationales. Il ne peut osciller entre les deux positions en fonction des intérêts économiques, stratégiques ou parfois purement personnels.
Les dictateurs sont souvent généreux et les politiques occidentaux dépensiers. Les révolutions finiront par dévoiler l'étendue de cette corruption. C'est peut-être pour cela que Ben Ali, Bouteflika, ses généraux et les autres, ont bénéficié de la bienveillance occidentale.
L'Occident à l'épreuve tunisienne
HAKIM ARIF
Tout le monde le sait, les pays occidentaux s'accommodent sans top de complexes avec les dictateurs. Non seulement, ils les laissent sévir sans rien dire mais, plus encore, ils les soutiennent jusqu'à la fin de leur «règne». Ils ne lèvent le pied que lorsqu'ils sont sûrs que le dictateur en question n'a plus aucune chance. Et quand le régime tombe, les arguments pleuvent. Ainsi, le ministre français de la défense Alain Jupé a justifié la «non intervention française» dans les affaires tunisiennes d'une manière qui laisse un peu dubitatif. Selon lui, les pays occidentaux auraient sous-estimé l'exaspération de l'opinion publique tunisienne face à un régime policier et dictatorial. Pourquoi ? Parce que ces mêmes pays considéraient que la Tunisie était un pays «stable». Si on admet cette explication, on est bien obligé de reconnaître que les services d'analyse et de documentation sur les pays sont tous faux. C'est par conséquent admettre l'échec de décennies de relations internationales. Ce qu'Alain Jupé n'hésite pas à faire pourvu que les nouveaux maîtres de Tunisie ne reprochent à la France sa «complicité» active dans le drame tunisien. Le retard de la France et des Etats-Unis à suivre le mouvement est très significatif. Il suffit de rappeler que la présidence française s'apprêtait à accueillir le dictateur et sa famille, n'étaient les multiples mises en garde d'une partie de la classe politique et des ONG. Les Tunisiens ont déjà goûté à l'amitié française lorsque la France n'a pas rapidement réagi aux actes de répression qui ont laissé des dizaines de morts, commis par la police de Ben Ali. Il a fallu attendre le départ définitif du dictateur pour que la France daigne enfin sortir de son mutisme et s'adonner à une sorte d'autocritique censée calmer les Tunisiens de Tunisie et surtout de France. Normal quand on sait que Ben Ali a toujours été bien traité par les présidents Mitterrand, Chirac et Sarkozy. Lors de sa visite en avril 2008, Nicolas Sarkozy, le président français, avait soutenu que l'espace des libertés progresse en Tunisie. Deux ans après, le monde a vu où mène cette progression.
Plus encore la ministre des Affaires étrangères française Michelle-Alliot Marie a même proposé au président déchu de faire bénéficier ses policiers des meilleures techniques de répression dont dispose son pays. Voilà donc d'où vient l'exemple. Aussitôt, les réactions ont afflué, certains allant jusqu'à demander la démission de la ministre des affaires étrangères. La faute est en effet très grave. Elle démontre encore une fois que la France aide tous les dictateurs pourvu que ceex-ci protègent ses intérêts. Pour Alain Jupé, l'erreur serait en somme humaine. La France ne voyait de la Tunisie que le développement économique, mesuré par quelques points de PIB et la situation de la femme, «plus libre et plus épanouie» que celle d'autres pays. Il y a de quoi en effet persister à ne voir que ce qui va. 1.250 entreprises françaises (80% dans l'industrie) sont implantées en Tunisie. PME pour la plupart, celles-ci emploient 110.000 personnes. Par ailleurs, Tunisair a commandé 33 appareils à Airbus dont il reste à livrer une quinzaine dont 9 A 320 long courrier. Alstom est lui aussi dans l'expectative. La Tunisie lui a commandé 16 rames du futur tramway de la capitale. Le contrat sera-t-il maintenu ? Telle est la question. On a de la peine à croire que la France n'avait aucune idée de l'absence de liberté politique, de l'inexistence de la notion de liberté de la presse et du nombre de Tunisiens emprisonnés, tués ou vivant en exil. Tout l'arsenal d'analyse dont disposent les pays occidentaux n'aura donc servi à rien. Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a aussi reconnu, sur les ondes d'une radio française, qu'il a "pu y avoir des maladresses ou des incompréhensions". Néanmoins, il s'est aussitôt repris pour souligner que la France ne pouvait pas intervenir de manière «trop visibl». C'est la définition même de celui qui se retrouve entre deux feux et ne sait vers quel camp se diriger. On appelle cela aussi opportunisme. Hors du gouvernement, c'est le même chant. Le parti socialiste a été trop sage pour être honnête durant les premiers jours de la révolte. D'ailleurs, il n'a jamais été gêné par la présence du RCD à ses côtés dans l'Internationale socialiste.
Les Tunisiens défendent leur révolution
José Garçon
Trois présidents en 24 heures, un gouvernement implosant à peine formé, un peuple déterminé à défendre, en sa liberté retrouvée, la première révolution populaire dans le monde arabe : la fierté des Tunisiens d'avoir mis fin à vingt-trois ans de dictature ont de quoi être teintées d'inquiétude. Dès la fuite d'un Zine El Abidine Ben Ali craignant pour sa vie face à l'ampleur du soulèvement et auquel l'armée a «conseillé» de partir, la transition s'avère très délicate. Car les incertitudes sécuritaires et politiques sont immenses.
La priorité des priorités était de faire cesser les exactions des 600 à 800 miliciens fidèles à l'ex-président. Dès son départ - anticipé de quelques jours par celui de sa femme Leïla Trebelsi qui a emporté avec elle 42 millions de dollars …d'or !, ces nervis et une partie de la Garde présidentielle ont tenté d'instaurer le chaos. Tout a été bon pour terrifier la population et créer des pénuries. Y compris de faire circuler des rumeurs prétendant l'eau empoisonnée! Volonté de se venger ? De créer une demande d'ordre et d'autorité dans un pays peu habitué aux soubresauts violents? Circulant armés dans des voitures de location, ou tirant depuis les toits ou les immeubles dans lesquels ils se sont embusqués, ils ont pillé, tué, fait régner la terreur et affronté les forces de l'ordre. Cette politique de la terre brûlée témoigne des méthodes hideuses de l'appareil répressif organisé par un dictateur aux dérives mafieuses avérées et dont la belle famille, les Trabelsi, a mis l'économie du pays en coupe réglée.
Venir à bout des milices de Ben Ali
Jusqu'ici, les Comités de quartiers constitués partout pour protéger la population et démasquer ces miliciens ont fait preuve d'une maturité impressionnante. Ces comités étaient indispensables pour prêter main forte à une armée dont la retenue a empêché un bain de sang, mais dont les effectifs évalués à 36.000 hommes – quand on compte 12.000 para-militaires ! - sont très insuffisants pour assumer totalement le maintien de l'ordre. Ben Ali l'avait en effet marginalisée au profit d'une police à sa solde dont les effectifs évalués aujourd'hui à... 120.000 hommes ont quadruplé en vingt ans. L'ex-président a d'ailleurs limogé au début du soulèvement le chef d'état-major, le général Ammar, qui avait refusé qu'on tire sur la foule. Mais ces comités d'auto-défense ne doivent pas s'installer dans la durée sous peine d'une dérive qui les transformerait en justiciers incontrôlables.
En milieu de semaine, la sécurité semblait s'être améliorée même si on entend encore parfois des tirs ici ou là. Mais la traque de ces nervis est loin d'être achevée en dépit de l'arrestation de l'ex-chef de la sécurité de Ben Ali, le général Sériati qui tentait de fuir en Libye.
Autre urgence: couper le cordon ombilical existant entre le noyau dur des fidèles de Ben Ali et un ministère de l'Intérieur pléthorique où tout le monde a trempé directement ou indirectement dans la répression. Comment, et qui, éradiquera cette mafia qui, avec le RCD, le parti-Etat qui noyaute toute la société et compterait 1 million de membres, apparaît comme le cœur du système Ben Ali?
Casser la machine RCD
Personne ne semble aujourd'hui en mesure de répondre à cette question décisive. Or, comme le note Béatrice Hibou, auteur de plusieurs livres sur la Tunisie, «si on ne casse pas la machine RCD, si on ne remet pas en cause les réseaux politiques du RCD dans la société et dans l'économie, les racines de l'autoritarisme resteront intactes». Une manière de dire qu'un simple relookage du RCD reviendrait à confisquer le formidable mouvement qui a contraint Ben Ali à partir. Et à faire son deuil d'un réel changement démocratique.
C'est ce que refusent les Tunisiens et les syndicalistes de l'UGTT, le syndicat des travailleurs dont la direction était entièrement compromise avec Ben Ali, mais dont les cadres et militants intermédiaires ont été le véritable fer de lance de la contestation sociale. Tous l'ont signifié en manifestant par milliers le 18 janvier. Investissant les sièges du RCD en chantant l'hymne national et en scandant «le dictateur est parti, pas la dictature», ils protestaient contre le gouvernement annoncé la veille… qui a implosé en moins de 24 heures face à cette levée de bouclier populaire! Cinq des ministres dits «d'ouverture», en particulier ceux désignés par l'UGTT, ont en effet démissionné. Ils affirment que le gouvernement auquel ils avaient accepté de participer ne devait pas compter de barons du RCD et qu'ils ont été mis devant le fait accompli.
Il est vrai que ce premier cabinet de l'après Ben Ali était loin d'un changement radical! La présence d'une poignée d'opposants, dont Mustapha Ben Jaffar du Forum Démocratique, ne changeait rien au message délivré par ce cabinet où le RCD conservait non seulement six ministères, mais les plus importants (Finances, Affaires étrangères, Défense sans parler - véritable provocation - de l'Intérieur): c'est bien le parti honni qui continue à gérer l'Etat.
Réorganiser et renouveler l'opposition laïque
Un autre élément a alerté nombre de Tunisiens sur le risque de faire du Ben Ali sans Ben Ali : l'étalage de la seule prédation de l'ex-chef de l'Etat et de sa famille qui revient à suggérer que personne au sein de ce parti-pieuvre n'a profité de leurs largesses ou de leur protection…Tout indique dès lors que la démission du RCD du Premier ministre Mohammed Ghannouchi et du président par intérim Fouad Mebazaa ne sera pas suffisante pour calmer la colère de la rue. Pas plus que les promesses sur la liberté d'expression ou la suppression du ministère de la Communication - de la censure conviendrait mieux !
Après avoir contraint l'ex-président à la fuite, la pression populaire aura ainsi posé la question qui est au cœur de la situation actuelle : qui va gérer la transition jusqu'à la future présidentielle prévue dans six mois et que faire du RCD ? Ce problème est décisif si on veut organiser un scrutin digne de ce nom. Et le temps presse. Il faut en effet restructurer une administration dont tous les échelons sont gangrenés par le RCD. Il faut assainir l'économie dont des pans entiers ont été confisqués par Ben Ali et les Trabelsi. Il faut modifier le code électoral qui empêche par exemple de facto à tout opposant au RCD de se présenter. Les partis d'opposition laïcs laminés par Ben Ali doivent se réorganiser et se renouveler. Sans leader charismatique évident, cette opposition est en effet composée surtout de militants des Droits de l'Homme, d'avocats, de syndicalistes… «Globalement, ces partis ont vieilli, n'ont pas renouvelé leurs cadres et ne sont plus vraiment en phase avec le dynamisme et la jeunesse du mouvement», admettent même les plus farouches détracteurs de Ben Ali.
L'armée n'a pas vocation à mener la transition
Cette faiblesse de l'opposition constitue la force du RCD pour prétendre à une large part dans la conduite de la transition. Car jusqu'à preuve du contraire, l'armée n'en a ni la vocation - ni les moyens - même si cette institution apparaît aujourd'hui comme un élément de stabilisation. Et même si, comme l'affirment plusieurs sources, le chef d'état-major le général Ammar serait «trop échaudé» par l'expérience algérienne pour envisager que cette institution assume un rôle de premier plan.
Le RCD n'ignore pas le parti qu'il peut tirer de ce paysage politique dévasté et tissé par Ben Ali. Et nombreux sont ceux qui craignent qu'il tente aussi de profiter des divisions de l'opposition …et de la peur des islamistes pour se maintenir au pouvoir, moyennant quelques concessions. D'autres, plus prudents, estiment que le dissoudre reviendrait à prendre le risque du chaos et d'une contre-révolution.
Nul doute quoi qu'il en soit que les islamistes et la légalisation de leur parti Ennahda risquent de constituer une ligne de clivage au sein de l'opposition. Ses secteurs les plus attachés à la laïcité si caractéristique de la Tunisie redouteront en effet que leur légalisation entraîne leur participation aux élections et donc au pouvoir. Voire au gouvernement, y compris avant la future présidentielle, selon certaines sources. La question est ultra-sensible. D'autant que plusieurs centaines de cadres islamistes exilés s'apprêtent à rentrer en Tunisie, ainsi que leur leader Rached Ghannouchi, et que la libération de tous les opposants politiques annoncée par le Premier ministre concerne de nombreux islamistes.
Eviter une polarisation islamistes /ex-parti unique
Certes ces derniers ont été totalement absents du soulèvement et ils ne paraissent pas avoir été consultés jusqu'ici. Mais en vingt-trois ans de dictature, Ben Ali a créé sciemment un vide total entre les islamistes et lui. Ce vide lui a permis de se présenter comme le «seul rempart» contre l'islamisme…et il y a fort à parier qu'un RCD aux manettes de la transition utilisera le même épouvantail pour ne pas lâcher prise.
Les Tunisiens n'ont, on le voit, que quelques mois pour éviter que le paysage politique de l'après Ben Ali se résume à une polarisation entre islamistes et ex-parti unique. Et surtout que ces deux acteurs ne soient pas les seules forces vraiment organisées du futur scrutin. C'est dire l'urgence de l'organisation des formations démocratiques et de l'émergence de personnalités nouvelles. Avec en attendant pour seul mais fragile garde-fou : la capacité, ou non, de la rue à se remobiliser pour défendre sa liberté reconquise et combattre chaque tentative de s'inscrire dans la continuité.
La dynastie Ben Ali Trabelsi
Mouna Izddine
Les Trabelsi, maîtres de Tunis
Dans un télégramme de l'ambassade des Etats-Unis en Tunisie datant de 2009, révélé par Wikileaks et publié par Le Monde, un diplomate constate que les Tunisiens ont le sentiment que, «comparé à la force et à la profondeur de la mainmise des Trabelsi sur la Tunisie, Ben Ali est inconsistant». Les deux clans se seraient, en gros, partagé le pays en deux territoires exclusifs : aux Trabelsi le Grand Tunis, le plus prospère, aux Ben Ali, la zone côtière du centre, région natale du président déchu.
Hajja Nana, la mamma
Dite aussi «la doyenne», Saïda Trabelsi, née Dhrif, était une mamma sicilienne dans le vrai sens du terme, veillant sur ses 11 rejetons, les protégeant bec et oncle jusqu'à sa mort, le 21 avril 2008, en pleine visite officielle de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni à Tunis.
Leïla Trabelsi, la régente
«La régente de Carthage» (du nom du livre de Catherine Graciet et Nicolas Beau), est née le 20 juillet 1957 dans une famille pauvre de la médina de la capitale, au milieu d'une fratrie de 10 garçons. Elle rencontre le général Zine El Abidine alors que celui-ci est marié et encore chef de la Sûreté générale. Une première fille naît de cette union officieuse, Nesrine, en 1986. En 1988, Ben Ali divorce de sa première femme, Naïma Kefi (épousée en 1964), avec laquelle il a eu trois filles. 5 ans après avoir déposé Bourguiba, il épouse Leïla Trabelsi en secondes noces. Sa deuxième femme, dont on le dit follement amoureux, lui donne deux autres enfants, Halima (1992) et Mohamed Zine El Abidine (2005). Coiffeuse de profession, Leïla connaît une ascension fulgurante dès son accession au statut de première dame. Une situation dont elle fait largement profiter sa famille. Son pouvoir et son influence sont tels qu'on la disait à l'origine des nominations et révocations des hauts fonctionnaires. D'autres n'hésitent pas à lier la fortune personnelle du couple Ben Ali, estimée en 2008 par le magazine Forbes à cinq milliards d'euros, aux détournements de fonds opérés par le clan Ben Ali-Trabelsi durant ces 23 ans de pouvoir absolu. Accusée par les meneurs de la révolution de jasmin d'avoir généralisé la corruption et le clientélisme en Tunisie, Leïla, symbole de la voracité des Trabelsi, sera la première de sa famille à prendre la poudre d'escampette.
Belhassen Trabelsi, le frère mégalomane
Belhassen «l'arrogant», alias «Sony Corleone», né en 1969, était réputé pour son tempérament belliqueux et son gargantuesque appétit du gain. La légende raconte qu'il posait son pistolet sur la table des restaurants de la capitale. Belhassen, qui a commencé dans la spéculation foncière, terminera à la tête d'un empire colossal, représenté en grande partie par le Groupe Karthago, présent en force dans tous les secteurs rentables du pays : immobilier, tourisme, transport aérien, technologies de l'information, médias, banques et industrie. Affairiste dans l'âme, Belhassen était membre du comité central du RCD, et mari d'une des filles du patron des patrons tunisiens, Hédi Jilani, président de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA). Pointé du doigt dans de nombreuses affaires de dessous de table et d'expropriation, perçu par la rue tunisienne comme le parrain du clan Trabelsi, alors qu'il tente de fuir pour Lyon avec des membres de sa famille le vendredi 14 janvier 2011, Belhassen est contraint de descendre de l'avion, le commandant de bord, Mohamed Ben Kilani (devenu un héros depuis) refusant de décoller. Arrêté par l'armée, il sera placé aux arrêts dans la caserne d'El Aouina.
Sakhr El Materi, le gendre vautour
Fils du général Moncef El Materi, un des instigateurs du putsch manqué contre Bourguiba en 1962 et camarade de promotion de Zine El Abidine Ben Ali à l'Ecole militaire de Saint-Cyr, Mohamed Sakhr, né en 1980, est surtout, depuis 2004, le mari de Nesrine, la fille aînée de l'ancien couple présidentiel. Sakhr El Materi s'enrichit à une vitesse vertigineuse, grâce notamment, affirment ses détracteurs, aux fruits de la privatisation de la Banque du Sud en 2005, dont il aurait acquis 16% du capital grâce à son beau-père. A la tête de Princesse El Materi Holding depuis 2004, élu sous la houlette du quasi-parti unique du RCD en 2009, le gendre de Ben Ali fait prospérer son argent dans l'immobilier, la distribution automobile (la société Ennakl Automobiles lui aurait été «offerte» via des crédits accordés sans aucune garantie par la banque nationale agricole), l'agriculture, le tourisme de croisière, et plus récemment, la finance et les médias islamiques (radio Zitouna FM, groupe de presse Dar Assabah, banque islamique Zitouna, etc). Wikileaks, toujours, rapporte le récit d'un ambassadeur américain qui aurait vu, lors d'un dîner dans la luxueuse villa de Sakhr à Hammamet, un lion en cage. Le fils du général putschiste aurait, à en croire l'Express, rêvéjusqu'au bout de prendre la succession de beau-papa à la tête de la république tunisienne. Persona non grata en France au lendemain de la révolution de jasmin, les rumeurs le disent caché avec Nesrine au Qatar.
Imed Trabelsi, le neveu voyou
Imed, fils de Moncef (frère aîné de Leïla Trabelsi), et neveu chouchou de l'ex première dame, s'est fait connaître comme «délinquant international» après avoir été accusé par la France d'être le commanditaire, avec son frère Moez, du vol de trois yachts de luxe dans le port corse de Bonifacio en mai 2006, dont un appartenant au banquier français Bruno Roger, ami de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. La justice de son pays, qui refusera son extradition, l'acquittera le 30 janvier 2010. Entretemps, Imed continue le train de vie de nabab qui a toujours été le sien, narguant ceux qui l'accusent de racketter honnêtes citoyens et hommes d'affaires sous le silence complice des autorités. Il devient ainsi en août 2007, suite à un rachat controversé des parts du businessman Faouzi Mahbouli, propriétaire de la franchise Bricorama en Tunisie (Mahbouli, depuis son exil forcé en Europe, déposera une plainte pour extorsion devant la justice hexagonale). En mai 2010, Imed Trabelsi est élu maire de La Goulette, mythique cité balnéaire au nord de Tunis. Le neveu favori de l'ex première dame finira poignardé par l'un de ses gardes du corps le vendredi 14 janvier 2011. Il rend l'âme le lendemain à l'hôpital militaire de Tunis.
Les Ben Ali, sauvés par les gendres
La fratrie Ben Ali, sournoisement écartée par les Trabelsi de son fief tunisois, a beaucoup perdu de sa vigueur depuis la mort mystérieuse en 1996 de Habib Ben Ali, frère aîné de Zine El Abidine et «parrain» du clan. Condamné par contumace en 1992 à 10 ans de prison par la justice française pour trafic de stupéfiants dans l'affaire de la «couscous connexion», Habib mourra sans avoir purgé sa peine. Les Ben Ali se sont rabattus pour la plupart sur leur ville natale, Sousse, et sa région. La relève des affaires familiales sera assurée par les gendres du président déchu, époux des trois filles nées de l'union de Zine El Abidine avec sa première femme, Naïma Kefi, fille de son mentor, le général Kefi.
Dorsaf Ben Ali et Slim Chiboub, l'argent du sport
Si Slim Chiboub (né en 1959) ne traîne pas autant de casseroles que les autres gendres de la Grande Famiglia, il n'en demeure pas moins que cet ancien handballeur reconverti dans le business sportif doit beaucoup dans sa success story à son mariage avec Dorsaf Ben Ali, la fille cadette de l'ancien président tunisien avec sa première épouse. Millionnaire controversé (sa fortune proviendrait de pots-de-vin sur les marchés publics), président du prestigieux club de football l'Espérance Sportive de Tunis de 1989 à la fin 2004, sa popularité a été boostée par les 15 titres remportés par l'EST durant sa présidence. Quand il quitte son siège à la tête de l'EST, il part s'occuper de son écurie Al Badr Stud, avant d'être élu en juin 2009 président du Comité national olympique tunisien. Il serait actuellement réfugié en Lybie. Dans une interview accordée au site Infosfoot au lendemain de la destitution de son beau-père, Slim Chiboub affirme ne plus entretenir de rapports avec Ben Ali depuis 11 ans, se présente comme un commerçant aux mains propres, et accuse Leïla Trabelsi d'avoir «détruit son mari».
Cyrine Ben Ali et Marouane Mabrouk, entre gosses de riches
Contrairement à d'autres beaux fils du clan Ben Ali, Marouane Mabrouk, 39 ans, descendant d'une riche famille bourgeoise tunisienne, naît avec une cuillère d'argent dans la bouche. Il épouse Cyrine Ben Ali en 1996. De la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT) aux concessions automobiles privatisées (Mercedes et Fiat) en passant par la grande distribution, l'homme d'affaires fait fructifier sa fortune dans les secteurs les plus porteurs de l'économie, non sans s'attirer les commentaires cyniques de la rue tunisienne sur l'opacité de transactions commerciales aux relents de «cadeaux de famille». A la tête du groupe Mabrouk avec ses deux frères Mohamed Ali et Ismaïl, et après un bras de fer avec Sakhr El Materi, il lance, en février 2010, les services d'Orange Tunisie, né du consortium Divona Télécom et France Télécom. Alors que sa femme Cyrine, au lendemain de la chute de son père, aurait fui au Qatar avec sa demi-sœur Nesrine, après une courte escale en France, Marouane Mabrouk, lui, serait toujours sur le territoire tunisien, à en croire les assertions de Stéphane Richard, Directeur général d'Orange, à Challenges.fr.
Ghazoua Ben Ali et Slim Zarrouk, love and business
Slim Zarrouk, à l'instar de sa femme Ghazoua, et contrairement aux autres gendres du président déchu, n'a jamais aimé être sous les feux de la rampe. Discret et réservé, Slim Zarouk n'en est pas moins un redoutable homme d'affaires. Son dernier coup dans le business remonte au printemps 2010, avec la création d'une société dans le secteur plastique, Injection Plastiques Systèmes, dotée d'un capital de 1,5 million de dinars. Un projet lancé en partenariat avec le groupe français Plastivaloire, déjà associé au couple Slim et Ghazoua Zarrouk dans la société Tunisian Plastic Systems, fondée en 2007. D'après, Abdelaziz Belkhodja, auteur de «La véritable nature du régime de Ben Ali» (janvier 2011), Slim Zarrouk se serait fait délivrer par le gouvernement Ben Ali la licence d'une nouvelle banque, Mediobanca, peu de temps avant la chute de son beau-père. Le couple aurait été arrêté par les militaires en même temps que Belhassen Trabelsi à l'aéroport de Tunis.
Les dernières heures des Ben Ali
Mouna Izddine
Les Ben Ali, réfugiés de luxe chez les Al Saoud ?
Depuis leur départ forcé de Tunisie, les commentaires sarcastiques vont bon train sur Zine El Abidine Ben Ali et Leïla Trabelsi : «Une tonne et demi d'or pour une cleptomane, entre nous, c'est pépite !», «Ben Ali a créé la caisse de solidarité. Il s'est cassé avec la caisse, il nous a laissé la solidarité», «Leïla, avoue que c'est plus difficile de crâner à Dubaï qu'à Tunis», «Zine, n'oublie pas de mettre ton niqab avant de sortir», et autres railleries populaires sur le couple présidentiel fleurissent partout sur des espaces d'expression tunisiens libérés d'un musèlement de 23 ans. D'après les dernières informations, fournies par Europe 1, le président déchu se serait ainsi réfugié en Arabie-Saoudite avec six membres de sa famille, dans l'ancien palais du roi Fahd à Jeddah (ouest), reconverti en résidence officielle pour les invités du royaume. Dans cette somptueuse citadelle de marbre blanc nichée au cœur d'une verdoyante palmeraie, et bâtie sur une île artificielle à quelques lieues de Jeddah, sur les bords de la Mer rouge, Zine El Abidine et sa famille bénéficieraient de la protection rapprochée de l'armée saoudienne. Dans son exil wahhabite, l'ami tunisien du prince Nayef Ben Abdel Aziz (ministre de l'Intérieur saoudien, homologue de Ben Ali dans les années 80), aurait été rejoint par quelque 400 proches, effrayés à l'idée de se faire lyncher par une rue vengeresse. Entre les portraits de Ben Ali brûlés sur la place publique, la mise à sac des résidences de l'ancien couple présidentiel à Tunis et à Hammamet, et les manifestations déchaînées contre le gouvernement provisoire formé par Mohamed Ghannouchi, les Tunisiens paraissent vouloir en effet en découdre une bonne fois pour toutes, et sans pitié, avec tous les symboles de l'ancien régime.
Prends 1500 lingots et casse-toi
Quant à l'ex première dame, elle aurait plié bagage avec d'autres membres de sa nombreuse famille pour le prospère émirat du Golfe, où elle possèderait moult commerces et biens immobiliers. Auparavant, dès l'éclatement des premiers troubles, sentant le vent de la révolte se lever, Leïla Trabelsi, croit savoir la presse française (citant «les suppositions» des services secrets de l'Hexagone), aurait retiré de la banque centrale de Tunis, le 19 décembre 2010, 1500 lingots d'or, soit une tonne et demi du précieux métal, l'équivalent de 45 millions d'euros. Un butin qu'elle aurait déposé en Suisse, et qui ne constituerait qu'une infime partie de la fortune amassée par l'empire Trabelsi, depuis le mariage en secondes noces de Leïla avec Zine El Abidine en 1992. Elle aurait depuis rejoint son conjoint à Jeddah, mais il est probable que les Ben Ali écourtent leur séjour saoudien doré pour élire domicile en Lybie. Le «bienveillant» colonel Kadhafi s'est dit prêt à recevoir «son ami de toujours», celui que «l'impatient peuple tunisien a eu tort de chasser» et contre lequel se sont retournés les «alliés d'hier». Ce sont en tout cas là les assertions de nombreux journalistes de la région, convaincus que la «très laïque» ancienne famille régnante ne pourrait supporter plus de quelques semaines l'austérité religieuse du royaume des Al Saoud. Pas plus que l'ex-président tunisien ne saurait s'accommoder bien longtemps de la cessation de toute activité ou même déclaration politique, conditions imposées par les autorités saoudiennes en échange de sa protection.
Bruits de bottes autour d'une capitulation
Mais comment a été décidé le soudain départ du président Ben Ali ? Comment, après plus de deux décennies d'une mainmise politico-économique féroce, vorace et autoritaire, les clans Ben Ali et Trabelsi ont-ils accepté de quitter leur république de cocagne du jour au lendemain? Pour nombre d'observateurs, le président tunisien aurait en fait abdiqué au moment où il a été «lâché» par son armée, celle-ci ayant refusé de tirer à balles réelles sur les manifestants. Ordre auquel a en revanche obéi la police, faisant 66 morts parmi les civils en moins d'un mois de troubles. D'après l'amiral Jacques Lanxade, ex-chef d'état-major français et ancien ambassadeur en Tunisie, cité par Le Parisien, le général Rachid Ammar, chef d'état-major de l'armée de terre tunisienne, aurait même déclaré à Ben Ali: «Tu es fini», démissionnant et recommandant par la même occasion au président de partir. Une thèse d'autant plus plausible selon l'amiral Lanxade que l'armée tunisienne, qui a toujours été maintenue à l'écart de la politique, n'est pas «une armée de coup d'Etat», mais plutôt un «élément stabilisateur et modérateur».
Mohamed Bouazizi, le marchand qui fit chuter le maître de Tunis
D'autres analystes versent dans le même sens, affirmant que Ben Ali a été poussé aux portes du Palais de Carthage et que son départ en catastrophe n'a rien de volontaire. Il aurait même, rapporte Le Monde, enregistré une nouvelle allocution pour calmer les foules, ignorant jusqu'à son ultime jour à Tunis, le vendredi 14 janvier 2011, qu'il quitterait sa fonction suprême. Quoi qu'il en soit, il est certain que la chute du président tunisien s'est faite en un temps record, eu égard à la réputation «d'indéboulonnable» acquise par le mégalomane successeur de Bourguiba, au même titre que son voisin algérien ou son allié libyen. La descente aux enfers de Zine El Abidine Ben Ali a commencé alors que l'année 2010 touchait à sa fin, le 17 décembre plus précisément. Ce jour-là, Mohamed Bouazizi, diplômé chômeur de 26 ans, s'immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid pour protester contre la confiscation de sa charrette de fruits et légumes par la police municipale. S'identifiant au marchand, les jeunes habitants de cette petite ville de 40.000 âmes enclenchent de violentes émeutes, qui ne tardent pas à s'étendre à tout le centre-ouest du pays. Une région enclavée ravagée par un chômage endémique de 30%, aggravé par une inflation galopante et par une décennie de crise économique.
Des promesses sucrées pour un peuple assoiffé Le 28 décembre, alors que d'autres jeunes chômeurs se sont immolés par le feu ou suicidés par électrocution, et que les troubles ont gagné plusieurs villes touristiques côtières considérées pourtant prospères, le président Ben Ali donne son premier discours depuis le déclenchement des émeutes, quelques jours après sa visite au jeune Bouazizi. Il dit comprendre les difficultés des chômeurs, non sans dénoncer une prétendue instrumentalisation politique. Une semaine plus tard, le 4 janvier 2010, Mohamed Bouazizi rend l'âme sur son lit d'hôpital. Les 5000 personnes l'accompagnant dans son ultime demeure à Garaat Bennour pleurent leur «martyr», et jurent de le venger. Le décès de celui qui deviendra le symbole de la révolution de jasmin embrase les trois localités principales du centre-ouest. Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre à Kasserine, Regueb et Thala font plus de 50 morts selon les syndicats, 21 selon les autorités. Le lendemain de ce week-end sanglant, Zine El Abidine Ben Ali intervient de nouveau à la télévision. Il promet la création de 300.000 emplois d'ici 2012, tout en fustigeant des «actes terroristes impardonnables perpétrés par des voyous cagoulés» et initiés par des «éléments hostiles à la solde de l'étranger». Les propos stigmatisants du président ajoutent de l'huile sur le feu de l'ire populaire, elle-même alimentée par les vidéos bouleversantes des tués par balles et des blessés postées par les jeunes cyber-dissidents. «Ammar», le grand censeur, ne peut rien contre la puissance de frappe de Twitter et autres réseaux sociaux.
Et Tunis se soulève…
Alors que le gouvernement ordonne la fermeture des écoles et des universités, les étudiants, à l'appel des militants sur Facebook, descendent dans la rue à Tunis. Ils sont rejoints par les artistes, les journalistes et autres intellectuels qui réclament liberté d'expression, justice sociale, démocratie, et exigent le départ du clan corrompu des Ben Ali et de leur belle-famille. «Ben Ali, nous n'avons plus peur», scandent les manifestants, tandis que des anonymes, aux côtés de militants des droits de l'homme, de syndicalistes et d'artistes de renom sont battus au sang par la police anti-émeute… La contestation socio-économique vire à l'insurrection politique. La plus grande depuis les émeutes du pain de 1984. Dans la soirée du 11 janvier, la cité ouvrière de Ettadamoun, à 15 kilomètres de Tunis, bat le pavé à son tour, incendiant véhicules et administrations publiques. Les Tunisois se réveillent dans un décor de guerre civile, et sur la nouvelle du limogeage du ministre de l'Intérieur, Rafik Belhaj Kacem, remplacé aussitôt par Ahmed Friaa. Le Premier ministre promet la libération des personnes arrêtées lors des émeutes, en sus de la création d'une commission d'enquête sur la corruption. Le couvre-feu nocturne est décrété sur Tunis et sa banlieue, tandis que l'armée investit les grandes artères de la capitale et les quartiers populaires environnants. Mais rien ne semble plus pouvoir arrêter le tsunami de la rébellion, malgré une nouvelle allocution du chef de l'Etat, le jeudi 13 janvier, assurant qu'il s'engage à quitter le pouvoir en 2014, à réduire le prix des produits de première nécessité et à arrêter toute censure médiatique. Le lendemain, dans la matinée du vendredi 14 janvier 2010, devant l'ampleur prise par le soulèvement à l'encontre de son gouvernement, Ben Ali annonce la dissolution de ce dernier, la tenue d'élections législatives anticipées dans les six mois à venir et charge Mohamed Ghannouchi de former une nouvelle équipe gouvernementale avant lesdites élections.
Aller simple pour Jeddah
Mais alors que la journée touche à sa fin, le Premier ministre informe les Tunisiens qu'il assurera l'intérim de la présidence, le chef de l'Etat n'étant «temporairement pas en mesure d'exercer ses responsabilités». L'information de la fuite des Ben Ali, simple rumeur au départ, se confirme au fil des heures. Zine El Abidine et les membres proches de sa famille ont embarqué à 17 heures 30 pour Jeddah, où ils atterrissent vers le coup de minuit, après avoir été annoncé en France, en Italie puis à Malte. Le samedi 15 janvier, Imed Trabelsi, neveu préféré de Leïla, richissime et puissant maire de La Goulette, est tué à coups de poignard par son garde du corps. Le même jour, le Conseil constitutionnel destitue officiellement et définitivement Zine El Abidine Ben Ali de sa fonction, et nomme Foued Mebezza, président de la Chambre des députés, au titre de président de la République par intérim, dans l'attente de la tenue, dans 2 mois maximum, d'élections législatives. A l'heure où nous mettons sous presse, et alors que Foued Mebazaa et Mohammed Ghannouchi ont annoncé leur démission du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), et la radiation de Ben Ali de cette même formation qu'il a créée en 1987, le nouveau gouvernement d'union nationale peine à tenir sur ses jambes…Et la rue tunisienne revendique à présent le remboursement des 5 milliards d'euros «volés par la mafia des Ben Ali», et de «toutes les richesses subtilisées au peuple par la coiffeuse et sa famille»... Qui a dit qu'accoucher d'une démocratie se faisait sans douleurs ?
Typologie des chutes de dictatures
Vincent Hervouët
Jean Claude Duvalier, ancien «Président à vie» d'Haïti, est rentré chez lui à l'improviste. A l'heure où le monde entier scrutait les évènements de Tunisie, après la chute de Zine El Abidine Ben Ali. Le télescopage de ces deux actualités est fascinant, le rapprochement des deux hommes, des deux destins.
A priori, la Tunisie et Haïti n'ont pas grand-chose en commun, sinon la taille et la langue française héritée de la colonisation. Les deux autocrates exilés ne sont pas de la même génération.Ils n'ont pas reçu la même formation, ni hérité du pouvoir dans les mêmes circonstances. Ben Ali était encore dans l'antichambre en 1986, quand Jean Claude Duvalier s'enfuyait en pleine nuit de Port au Prince, dans un avion avec des lingots d'or plein la soute. Enfin, les bilans des deux règnes sont incomparables.
Pourtant que de points communs dans leur chute. Comme le Tunisien, le Haïtien a jeté l'éponge après un mois de tension et une semaine de crise ouverte. Le déclencheur de la crise a été la mort d'un écolier, tué par une balle perdue. Négligence d'un policier de province, assuré de son impunité. En Tunisie, c'est le désespoir d'un homme poussé à bout par une police tout aussi aveugle. Ici et là, on a vu la protestation monter et les forces de sécurité tirer dans le tas, en vain. Dans les deux cas, c'est l'armée tenue pourtant en suspicion qui a fait pencher la bascule au moment fatidique.
L'un et l'autre ont tenté de reprendre la main en montant au front. Trop tard et trop peu. Ils ont fui subitement, avec leur épouse avide et détestée. Et à leur suite, la belle famille qui cristallisait toutes les rancœurs. Les maisons abandonnées par les privilégiés ont été illico pillées dans les faubourgs de la capitale, à Pétionville comme à la Marsa. Enfin, chacun a fait mine d'assurer un semblant de transition, en confiant ses pouvoirs à une autorité présentable mais qui est apparue rapidement beaucoup trop compromise avec l'ancien régime. Surtout, ils ont abandonné derrière eux des miliciens et des policiers prêts à vendre leur peau en semant le chaos.
Enfin, lorsque la peur change de camp et qu'un dictateur tombe, il n'a plus beaucoup d'amis. Cette loi implacable s'applique aujourd'hui à Ben Ali comme elle s'est imposée à Duvalier pendant un quart de siècle, qu'il a vécu dans la précarité et une chambre de la banlieue parisienne.
Dernier point commun entre les deux hommes : le mépris dans lequel les ont tenus les grands médias européens ou américains. Les réquisitoires dressés dans les journaux contre le régime tunisien et les rumeurs sur l'accaparement des richesses et les extravagances du clan déchu valent les légendes colportées en son temps contre Duvalier, sa collection imaginaire de Ferrari et les manteaux de fourrure de sa femme, d'autant plus scandaleux qu'ils sont incongrus sous les tropiques…
On pourrait dans la foulée rappeler les outrances prêtées à Nicolas et Helena Ceausescu, leur vaisselle de vermeil et leur vanité, sans oublier la cruauté et l'omniprésence des loups garous de la Securitate. Les révolutions ont besoin de diables à haïr, ce qui donne aux tyrans déchus un air de famille jusque dans le récit de leur chute. Il faut aussi ajouter que derrière le spectacle de la révolution, le Roumain a été victime d'un coup d'Etat ourdi au Kremlin et le Haïtien d'une déstabilisation manigancée par la CIA.
Pourtant, quand Jean-Claude Duvalier est arrivé à l'aéroport de Port au prince, qui s'appelait autrefois l'aéroport Duvalier, il y avait foule à l'attendre et à le fêter ! 25 ans après, le nom de Duvalier reste synonyme de nationalisme, de vaudou, de «noirisme», version caraïbe du populisme et de l'anti-américanisme. On peut imaginer que le gouvernement Préval qui est aux abois l'a laissé rentrer pour engranger ce capital politique. D'autres plus fatalistes relèvent que depuis un an, les Haïtiens ont eu droit à tous les malheurs. Qu'ils ont connu la fin du monde avec le séisme, l'épidémie de choléra, l'invasion étrangère, l'effondrement de l'Etat, des élections qui tournent court. Duvalier serait juste un malheur supplémentaire.
On peut aussi rappeler que depuis la chute de ce tyran, l'île s'est enfoncée dans la violence et la misère. Avant le tremblement de terre, le PNB avait fondu des deux tiers par rapport aux années 80. Duvalier ne faisait pas grand-chose, ses proches prélevaient leur dîme sur les aides et le peu qui était produit. Mais ils avaient laissé naître un petit courant d'affaires, quelques manufactures s'étaient installées en banlieue et l'élevage reprenait dans les campagnes. La dictature mollassonne de Jean Claude qui paraissait tellement scandaleuse au reste de la planète semble avoir été en définitive la période la moins tragique de toute l'histoire d'Haïti.
Evidemment, penser la même chose de Ben Ali serait ignorer les réalisations du pays depuis un quart de siècle et plus grave, insulter l'avenir et le courage des Tunisiens. C'est juste une invitation à la vigilance.
Tunisie Le ratage
Mireille Duteil
Presque une trahison. Alors que les jeunes descendaient jour après jour dans les rues pour réclamer la liberté, aux Etats-Unis, en Europe, y compris en France où les Tunisiens ont tant d'attaches, les responsables, frileux, se gardaient bien de les soutenir. Pire, à Paris, quelques jours avant la fuite en Arabie saoudite de Zine El-Abidine Ben Ali, la ministre française des Affaires étrangères proposait aux forces de l'ordre de leur envoyer du matériel moderne pour répondre à la situation … et le ministre de la Culture, entre autres, louait le régime tunisien qui n'est pas aussi répressif qu'on veut bien le dire…
Aveuglement? Hypocrisie? Souci de conserver ses intérêts? Probablement tout cela à la fois. Certes, sur les bords de la Seine, il y a toujours eu un «lobby tunisien» très actif. Ces amoureux de la Tunisie, qui souvent y sont nés, y retournent régulièrement, y ont nombre d'amis et parfois des résidences, ont toujours préféré se souvenir de la «douceur de vivre» du pays du jasmin plutôt que du caractère policier de son régime.
Plus importante encore, était cette conviction, pour nombre de responsables, de gauche comme de droite, que Ben Ali était le meilleur rempart contre l'islamisme. La France a toujours été tétanisée à la pensée de voir les «barbus» arriver au pouvoir sur la rive sud de la Méditerranée. La guerre civile algérienne des années 90 l'a incitée à regarder le président Ben Ali avec les yeux de Chimène. Son pays était stable et économiquement prospère. On lui pardonnait beaucoup. Il était mal vu à Paris de rappeler que le régime tunisien s'était lancé dans une chasse aux démocrates et aux militants des droits de l'homme après avoir éliminé les islamistes ou, pire encore, que le pays était dirigé par un clan mafieux. La France fermait les yeux et ouvrait sa porte aux opposants tunisiens qui lui demandaient l'asile.
Il est vrai aussi que si Paris, et les pays occidentaux en général, ont volé au secours des Tunisiens après qu'ils aient emporté la victoire, les pays arabes sont restés muets, l'Afrique ne s'est pas fait entendre pas plus que la Chine ou la Russie. D'ailleurs, aucun de ces pays n'a protesté dans le passé contre la politique de l'ex-président Ben Ali lorsqu'il faisait enlever ou emprisonner des opposants.
Le silence du monde arabe s'explique. Les populations comme les dirigeants ont une seule interrogation en tête : la «révolution de jasmin» peut-elle faire école? Y-a-t-il un risque de contagion? La chute du mur de Berlin en 1989 a donné le signal de l'effondrement de l'Europe de l'Est. La théorie des dominos chère à Kissinger s'est pleinement appliquée. La Tunisie peut-elle jouer le même rôle? L'Histoire se répète rarement. Pour certains cependant, la multiplication des immolations par le feu de jeunes désespérés en Algérie, en Egypte, en Mauritanie, et même à Marseille, ces derniers jours, est la preuve que la théorie des dominos existe déjà dans les esprits. Une certitude : les jeunes Tunisiens, comme les jeunes d'Europe de l'Est il y a vingt ans, n'ont pas tant fait la révolution pour obtenir des emplois que la liberté et la dignité d'être considéré comme des citoyens. En un mot se voir donner une raison de vivre.
Réactions
Taoufik Ben Brik* Journaliste et écrivain. Auteur de Une si douce dictature et de Chroniques tunisiennes 1991-2000.
«La Tunisie censure toujours et de plus belle.»
Les démocrates laïcs, ceux qui ont été à l'écoute de la rue survoltée, ceux-là mêmes qui ont été les porte-parole de la révolution du jasmin sont interdits d'antenne à El Jazira qui s'est mue en télévision nationale. Les télévisions locales, les radios, la presse écrite sont toujours fermées. La Tunisie censure toujours et de plus belle. Nos communications téléphoniques sont filtrées et sur écoute. Nos pages facebook piratées. Nos adresses e-mail perturbées. Nos déplacements limités. Nos vies menacées. La désinformation bat son plein. C'est un appel de détresse, il nous faut un comité de vigilance.
*Publié sur sa page Facebook le 17 janvier 2010.
Wissem Sghaier Secrétaire général du bureau fédéral de l'Union générale des étudiants tunisiens.
«L'Etat benalien doit être démantelé.»
La révolution n'est pas terminée. Si la révolution française a aboli tous les symboles de l'ancien régime, la nôtre non. Nous avons encore un ministère de l'Intérieur omnipotent, les structures de l'Etat Benalien doivent être démantelées. Certes, l'absence de forces politiques qui dirigent ce mouvement n'a pas aidé à aller jusqu'au bout. A cela s'ajoute la peur qu'ont créée les milices de Ben Ali dans les esprits de la population. Ce qui fait que les Tunisiens demandent avant tout la sécurité et non pas la démocratie. Concernant les islamistes, on soutient qu'ils soient présents dans le champ politique, même chose pour les partis nationalistes ou de la gauche radicale. C'est dans l'esprit même de notre révolution.
Fathi Chamkhi Professeur universitaire et vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (section Tunis).
«On ne les laissera pas voler notre révolution.»
Nous sommes très optimistes pour l'avenir de notre pays. La révolution sociale et démocratique nous a réconforté et a balayé tout pessimisme et désespoir. Politiquement, le parti Ennahda (islamiste), qui a été sévèrement réprimé dans les années 90, se voit aujourd'hui promettre la légalisation. Même chose pour le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT). Chose que je demande et j'approuve. Reste que le gouvernement de transition est exactement la version proposée par Ben Ali dans son dernier discours. Cet exécutif est un gouvernement Ben Ali sans Ben Ali et on ne lui fait pas confiance, il est contre-révolutionnaire. La répression actuelle, contre les manifestants qui demandent le départ du RCD, est exactement la même que du temps du régime précédent. Nous sommes en train de nous remobiliser contre les symboles de l'ancien régime. La décision de l'UGTT est un pas dans ce sens. On ne les laissera pas voler notre révolution
Mahmoud Chercheur et membre du Parti démocrate progressiste.
«L'ancien régime doit rendre des comptes.»
La révolution du peuple ne doit pas être détournée. Ceux qui ont contribué au renversement du régime dictatorial doivent être écoutés, ainsi que l'ensemble de la société civile. On demande que l'ancien régime rende des comptes.
Lina Ben Mhenni Universitaire, bloggeuse et activiste tunisienne. Médaillée d'argent des jeux mondiaux des transplantés d'organes en Australie en 2009.
«La Tunisie veut tout reconstruire.»
Les Tunisiens commencent à rejoindre leur travail malgré les pillages. Bien que la vie reprenne doucement son cours normal, les universités sont fermées jusqu'à nouvel ordre. A Bizerte, les confrontation;mmms ont repris de plus belle malgré le calme qui règne sur les autres villes. En revanche, des manifestations contre le RCD sont toujours menées aux quatre coins du pays. Les Tunisiens sont unanimes sur la question : on refuse que le RCD soit majoritaire et prenne la relève. Actuellement, on ne sait pas qui nous gouverne ni qui décide du sort de notre pays. Tout est flou ! La Tunisie a lutté pour sa liberté et exige à présent un gouvernement digne de son combat. On n'admet pas que notre victoire soit volée et ne serve qu'à meubler l'histoire du pays. Les Tunisiens ont attendu 23 ans avant de mener leur révolution. Ils réfutent à présent toute oppression qui leur rappelle l'ancien régime de Ben Ali. La Tunisie veut tout reconstruire. Malgré la crise qu'on traverse, on est fier de notre parcours. Notre lutte n'est pas vaine. On est désormais un exemple pour tous les pays opprimés. On a pu acquérir notre liberté dans un temps record. La Tunisie a gagné son combat pour la liberté d'expression et toute censure est définitivement levée… Ce n'est que le début !
Ahlam Belhaj Pédopsychiatre et militante des droits de l'homme.
«Optimiste pour la Tunisie de demain.»
On vit des moments exceptionnels. Sans leader, sans armes, sans participation partisane, sans intervention étrangère, notre révolution a réussi à mettre à plat une dictature robuste, soutenue par tous les Etats du monde, c'est une victoire. Par contre, l'après-Ben Ali n'est pas encore clair, il se dessine. Ceci dit, le processus révolutionnaire en cours promet de belles choses. Quand les jeunes ont demandé le départ de Ben Ali, personne n'a cru en leur revendication. Aujourd'hui, la rue a une autre demande : le départ du RCD et des anciens symboles du régime, personne n'y croit non plus. Sur ces points, je suis optimiste pour la Tunisie de demain à condition de faire une rupture avec l'ère précédente. Au sujet de la gestion du champ politique, elle ne doit plus se faire avec une logique sécuritaire, islamiste ou gauche radicale, tout le monde doit avoir le droit d'être présent sur la scène.


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