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Interview avec Ali Moussa Iye : «Mes ancêtres ont pensé un système holistique de droit et de philosophie»
Publié dans L'opinion le 03 - 02 - 2025

Le Xeer Issa, désormais inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO, est une approche de droit coutumier. Pour les communautés concernées (Djibouti, Ethiopie et Somalie) c'est un motif de fierté qui renforce la confiance en leur héritage. Explications avec l'auteur du livre «Le Verdict de l'Arbre : Le Xeer Issa : Essai sur une Démocratie africaine endogène», il y a de cela plus de 35 d'années.
* Le Xeer Issa vient d'être inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO. Qu'est-cela apporte-t-il aux trois pays (Djibouti, Ethiopie et Somalie) à l'initiative de cette démarche ?

C'est d'abord une reconnaissance internationale du patrimoine particulier d'un peuple pastoral habitant dans ces trois pays de la Corne de l'Afrique. C'est aussi la reconnaissance des principes et valeurs universelles portés par le Xeer Issa et de la sagesse ancestrale des communautés qui l'ont produit. Cela incitera ces pays à lancer des actions pour préserver, promouvoir et revaloriser ce patrimoine qui illustre leurs héritages communs. Cela fait partie des obligations des Etats membres prescrites par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO. Pour les communautés concernées, c'est un motif de fierté qui renforce la confiance en leur héritage.Il est intéressant de voir combien cette reconnaissance a déjà déclenché un incroyable enthousiasme dans les trois pays. Depuis plus de deux mois des manifestations culturelles se déroulent dans les différentes villes de ces pays pour célébrer cette inscription et se réapproprier cet héritage. Enfin cette inscription a donné lieu à des échanges intéressants dans ces pays pour discuter des similitudes et différences des différents patrimoines de ces pays. Je reviens de la région où j'ai participé à certaines de ces manifestations et débats interculturels.

* Vous êtes l'auteur du livre pionnier sur le Xeer Issa intitulé «Le Verdict de l'Arbre : Le Xeer Issa : Essai sur une Démocratie africaine endogène», il y a de cela plus de 35 d'années. Qu'est-ce que cette reconnaissance représente pour vous aujourd'hui ?

Je suis bien évidemment très heureux de voir que le sujet que j'avais choisi pour ma thèse de doctorat en sciences politiques, il y a plus de 35 ans, est devenu un patrimoine mondial. Cela confirme l'intuition que j'avais eue et mon argumentation pour démontrer la profondeur philosophique, politique et juridique du Xeer qui remettait en perspective des concepts et paradigmes que l'on nous présentait comme étant universels en sciences politiques. Cette intime conviction m'avait habité dès le début parce que le Xeer Issa nous introduisait à des conceptions des droits humains, de la gouvernance et du vivre ensemble qui élargissent la notion même d'universalité que les Occidentaux ont voulu monopoliser. J'avais été frappé à l'époque par l'articulation théorique, conceptuelle que les détenteurs du Xeer avançaient pour répondre à mes questions de chercheur.Mes rencontres avec ces hommes de connaissance ont profondément et durablement changé ma vision du monde, de la connaissance, du développement, du progrès et surtout de ma culture et de mon identité. Le fait de savoir que mes ancêtres ont pensé un système holistique de droit et de philosophie politique bien avant le fameux siècle des Lumières dont on nous rebattait les oreilles à l'école coloniale m'avait ouvert les yeux. C'est pourquoi je considère qu'il est tout à fait naturel que le Xeer Issa soit inscrit sur le patrimoine mondial.

* Peut-on dire que vous étiez en avance sur le temps ?

Il est vrai que, quand en1984 j'avais décidé de consacrer ma thèse de doctorat au Xeer Issa, peu de gens ont cru à la pertinence de ce sujet pour une thèse en sciences politiques. A commencer par mon directeur de recherche, pourtant très ouvert d'esprit, qui m'avait alerté sur les risques posés par le manque de documents écrits sur ce sujet. Même les dépositaires du Xeer que j'avais approchés n'avaient pas d'abord cru à ma démarche. Ils se demandaient ce qu'un jeune de la ville, sortant de «l'école des blancs», où l'on apprend à désapprendre nos cultures,pouvait comprendre de cette tradition. Il est vrai aussi qu'au début, je ne comprenais pas grand-chose à leur jargon juridique, très différent de ce que j'avais appris à l'université. C'est vrai qu'être pionnier n'est pas sans risque et sans peine. D'abord le manque de documentation m'avait poussé à développer toute une méthodologie pour collecter, croiser et vérifier les informations orales sur le sujet. Mais c'est lors de la publication de mon livre en 1990 que j'ai rencontré des problèmes avec des gens issus de la communauté dont je voulais promouvoir le patrimoine. J'étais loin de penser que ce travail de recherche sur le terrain qui se voulait «scientifique» soulèverait une controverse. Certaines personnes peu habituées à la démarche académique n'ont pas compris l'analyse critique des traditions que j'avais effectuée pour appréhender le patrimoine culturel du Xeer. J'avais notamment questionné certaines croyances profondément ancrées comme par exemple la réalité biologique de la généalogie ou la primauté des liens de sang sur le droit. Certes, c'est le sort de tout travail pionnier de secouer les certitudes acquises et d'ouvrir des nouvelles pistes de réflexion. Mais j'ai compris à mes dépens que l'on ne questionne pas impunément les mythes fondateurs des peuples. Vous comprenez donc ma satisfaction de voir que le même livre est aujourd'hui célébré comme l'ouvrage qui a servi à la reconnaissance par l'UNESCO du Xeer Issa comme un patrimoine mondial.

* Justement, parlez-nous de Xeer Issa. De quoi s'agit-il ?

Le Xeer Issa est un véritable contrat socio-politique au sens où l'entendait le philosophe français Jean-Jacques Rousseau. D'ailleurs je trouve très réducteur le terme de «droit coutumier» utilisé dans la présentation à l'UNESCO qui découle du vocabulaire colonial rejetant nos savoirs dans la catégorie des coutumes. Le Xeer est un système holistique qui comprend quatre principales composantes : un cadre ontologique et cosmogonique qui reflète la cosmovision ou la vision de l'Univers et de la finalité de la création des Somali-issa, une Constitution politique qui définit les différents organes de gouvernance, le partage et l'exercice du pouvoir, un Code pénal qui règle les conflits et protège l'intégrité physique, les biens et l'honneur des individus et groupes et, enfin, un Code de conduite éthique définissant les règles du vivre-ensemble. Ce système se distingue par la rigueur de sa structuration et par la codification précise de ses lois. Malgré son caractère oral, le Xeer Issa a fait l'objet d'une rigoureuse élaboration qui le différencie des autres corpus de connaissances. C'est donc un ensemble de principes, de normes et de lois qui forme un système au sein de la culture pastorale et possède son histoire, sa doctrine, sa littérature, ses spécialistes et même son «jargon».Le Xeer est un exemple de la créativité des sociétés africaines confrontées à des bouleversements sociopolitiques, démographiques et économiques. Il est le produit d'une histoire particulière, celle des peuples couchitiques de la Corne de l'Afrique. Selon les recoupements historiques que nous avons effectués, il fut élaboré vers la fin du 16ème siècle de l'ère chrétienne, un siècle charnière pour la Corne de l'Afrique. Le Xeer Issa a été une réponse à cette période d'anarchie, de violence et d'insécurité, un peu similaire à celle que vit aujourd'hui la Somalie après la guerre civile. Il est à la base de la confédération de communautés qui s'était reconstituée autour de la Loi du Xeer pour fonder une société de droit leur offrant un nouveau cadre éthique, politique et social, ainsi qu'une nouvelle alliance de défense, de solidarité et une cohésion sociale. Parmi ses principes clairement énoncés on peut citer le principe de l'origine humaine de la loi ; le principe de l'égalité ; le principe de l'Etat de droit ; le principe de la primauté de la loi ; le principe de l'inviolabilité de la loi ; le principe de la libre expression ; le principe de contre-pouvoir ; le principe d'une justice de compensation et de réparation.

* Dans le contexte actuel, et au regard des multiples conflits sur le continent, que peut apporter Xeer Issa ?

Au-delà de son étonnante technicité et de son intérêt anthropologique, le Xeer nous présente un autre type de droit, de gouvernance, de justice que j'appellerai plutôt de kritocratie, c'est-à-dire le gouvernement par les juges. Il nous introduit à une philosophie politique africaine qui pourrait inspirer la quête actuelle de modèles endogènes de gouvernance démocratique.Outre la conception d'un pouvoir qui doit d'être contrôlé dans sa tentation à l'absolutisme, le Xeer accorde la primauté au droit par rapport au lien de sang, au libre choix et à la libre adhésion au consensus socio-politique.Il institue une composition paritaire des assemblées où tous les clans de la confédération sont représentés à égalité et la transparence de la prise de décision assurée. Par exemple, la loi de la majorité en vigueur dans les démocraties modernes est remplacée par celle du consensus dans la prise de décision.L'existence de ce genre de patrimoines politiques et juridiques montre, si besoin est, que les sociétés africaines recèlent en leur sein des préceptes politico-philosophiques qui peuvent être exploités dans la recherche actuelle de systèmes endogènes de gouvernance démocratique. Ces enseignements pourraient inspirer tous ceux qui, après l'échec des prêt-à-penser importés, souhaitent construire un autre type de gouvernance adaptées à la réalité et aux inspirations des sociétés africaines. De patrimoines comme le Xeer Issa, la Charte du Manden ou le Gada System des Oromos nous invitent clairement à engager une véritable reconceptualisation de tous les paradigmes politiques importés que nous utilisons souvent machinalement comme des modèles universels.

* Vous êtes un observateur averti de la coopération économique et politique sur le continent. Quelle analyse faites-vous du partenariat entre le Royaume du Maroc et l'Afrique subsaharienne ?

Tout d'abord, il faut déconstruire ce terme d'«Afrique subsaharienne» qui fait du Maroc comme un pays à part, en dehors de l'Afrique. C'est une vision et division coloniale de notre continent. Le Sahara n'a jamais été une barrière entre une soi-disant «Afrique noire» et une soi-disant «Afrique blanche». Il a toujours été un espace de contact et d'échanges entre les peuples africains.Le Maroc a toujours fait partie de l'Afrique et il faut se réjouir que ce pays renoue donc avec les échanges historiques qui existaient de chaque côté du Sahara que la domination coloniale avait interrompus. Le renforcement de la coopération interafricaine dans laquelle le Maroc joue un rôle essentiel est une avancée concrète vers l'intégration continentale que l'Union Africaine appelle de ses vœux.Dans le contexte géopolitique actuel marqué par le repli sur soi et l'émergence de nouveaux acteurs, le potentiel de l'Afrique et de ses peuples en fait le continent de l'avenir qui va attirer de plus en plus de convoitises. Le grand défi pour l'Afrique sera celui de sa souveraineté sur ses ressources et de ses relations de coopération entre ses Etats et avec les nouveaux blocs en formation. Le renforcement du partenariat du Maroc avec le reste de l'Afrique s'inscrit donc dans cette optique.

Un parcours édifiant
M. Ali Moussa Iye est chercheur et écrivain djiboutien. Il a été journaliste, rédacteur en chef d'un journal hebdomadaire et Directeur de la Presse et de l'Audiovisuel à Djibouti avant de rejoindre l'UNESCO en 1996. Il a été Coordinateur du programme Culture de la Paix de l'UNESCO dans la Corne de l'Afrique, basé à Addis Abeba, de 1997 à 2000. Il a ensuite assuré le suivi de la Conférence mondiale de Durban contre le racisme (2001, Afrique du sud), de 2002 à 2004. Il a activement contribué à l'élaboration de la Stratégie de lutte contre le racisme et la discrimination raciale de l'UNESCO, adoptée en 2003. Enfin, de 2004 à 2019, Dr Moussa Iye a été à la tête du Département «Histoire et Mémoire pour le dialogue» et a dirigé trois programmes phares de l'UNESCO portant sur l'histoire, la mémoire et les héritages partagés : les Histoires générale et régionales, La Route de l'esclave et Les Routes de la soie. Il a notamment coordonné le développement des contenus pédagogiques sur la base de de l'Histoire générale de l'Afrique et la rédaction des trois derniers volumes de cette prestigieuse collection pour la mettre à jour et analyser les nouveaux défis de l'Afrique et de ses Diasporas. Il est le fondateur et actuel président du think tank AFROSPECTIVES : Une initiative pour l'Afrique globale.


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