Au Maroc, la jeunesse peine toujours à trouver sa place dans l'économie et la société. Derrière l'acronyme NEET — pour « ni en emploi, ni en éducation, ni en formation » — se dessine un malaise structurel qui dépasse les simples conjonctures économiques. Cette catégorie, devenue un indicateur international de vulnérabilité, touche désormais près d'un quart des jeunes Marocains et révèle les limites des dispositifs d'insertion. Selon la note Brefs du Plan publiée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) en mai 2024, 25,2 % des jeunes de 15 à 24 ans se trouvent aujourd'hui en situation de NEET, soit environ 1,5 million de personnes. La majorité d'entre eux sont inactifs (72,4 %), tandis que 27,6 % sont actifs mais au chômage. Le phénomène frappe particulièrement les femmes (37,3 % contre 13,5 % chez les hommes) et certaines régions rurales comme Béni Mellal-Khénifra (30,6 %) ou l'Oriental (28,1 %). Ces constats font écho aux données publiées par le Fonds monétaire international : en 2018, près de 28 % des jeunes Marocains étaient déjà classés NEET, une proportion à peine en recul par rapport à 2010 (32,4 %). Cette stabilité illustre la résistance du problème aux politiques menées depuis plus d'une décennie. Les données du Policy Center for the New South, publiées début août et qui datent en 2022, révèlent un paradoxe inquiétant : dans plusieurs pays d'Afrique du Nord, dont le Maroc, l'Egypte et la Tunisie, un niveau d'éducation élevé ne protège pas systématiquement contre le risque de devenir NEET. Cette déconnexion croissante entre formation et marché du travail souligne les limites de l'économie à absorber ses jeunes diplômés. Lire aussi : Justice sociale et territoriale : L'exécutif place l'équité au cœur de sa stratégie de développement La situation est d'autant plus préoccupante que, comme le montre un rapport conjoint HCP–Banque mondiale de 2021, les véritables facteurs de protection résident moins dans le parcours académique que dans les caractéristiques du ménage : présence de membres instruits ou en emploi, soutien familial solide, capital social accru. Au-delà des données économiques, plusieurs variables psychosociales influent sur la probabilité d'appartenir à la catégorie NEET. L'estime de soi, la confiance envers les institutions ou encore la perception d'un soutien communautaire sont des déterminants significatifs, selon l'étude microéconomique régionale portant sur 7 815 jeunes originaires du Maroc, d'Egypte, de Tunisie et d'Algérie. Ces résultats invitent à considérer les parcours de vie dans leur globalité, et pas uniquement à travers le prisme du marché du travail. Les disparités régionales accentuent encore ce défi : les régions rurales, où les opportunités d'emploi sont limitées et les infrastructures éducatives plus fragiles, concentrent une proportion plus importante de NEET, ce qui aggrave les inégalités territoriales déjà dénoncées dans les rapports du HCP. Une question de cohésion nationale La persistance d'un quart de la jeunesse en marge du système productif pose, in fine, un problème de cohésion sociale et de stabilité économique. Les experts du FMI alertent sur le risque d'un « gaspillage de capital humain » qui pourrait freiner les ambitions de croissance et d'inclusion du pays. À long terme, l'incapacité à mobiliser cette ressource pourrait compromettre les gains attendus de la transition démographique. Face à ce constat, les recommandations convergent : développer des programmes d'insertion différenciés selon le genre, renforcer les capacités familiales et communautaires, intégrer le soutien psychosocial dans les politiques actives de l'emploi, et améliorer la qualité des données pour évaluer l'efficacité des interventions. La lutte contre le phénomène NEET au Maroc ne se jouera pas uniquement sur le terrain de l'économie. Elle exigera une approche transversale mêlant équité territoriale, accompagnement personnalisé et restauration de la confiance entre les jeunes et les institutions. Sans cela, le pays risque de voir s'installer durablement une fracture générationnelle difficile à résorber.