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Déconstruire la rhétorique de la «blanchité», repenser l'altérité
Publié dans Albayane le 16 - 06 - 2020


Jean Zaganiaris*
Suite à la mort de George Floyd, des manifestations ont éclaté aux Etats-Unis et dans d'autres pays du monde. Des dizaines de milliers de personnes ont rendu hommage à cet homme, exprimant leur tristesse, leur colère, leur indignation et réclamant justice.
Les images de son arrestation diffusées sur les réseaux sociaux ont suscité de grandes émotions. S'il ne s'agit pas de nier les actes racistes et xénophobes, qui posent problème dans nos démocraties contemporaines, le but n'est pas pour autant de cautionner intellectuellement des remèdes aussi problématiques que les maux que l'on veut soigner. Aujourd'hui, accepter sur le mode de l'allant de soi cette «épistémologie» ou cette «rhétorique» de la «blanchité» ne va pas sans poser problème.
Le terme «épistémologie» pour parler des discours désignant «blancs» et «non-blancs» peut sembler déconcertant, voire provoquant, mais il me semble que l'on peut l'utiliser car ces discours sur la «blanchité» prétendent à une certaine validité cognitive que Max Weber, déjà à son époque, remettait en cause en invitant à se méfier de cette «frénésie» cherchant à tout ramener à la «race». Derrière la posture épistémologique des discours sur la «racialisation», la «blanchité», on trouve la volonté de créer une ontologie, une essence basée sur la couleur de peau, l'ethnicisation homogénéisante du social et la construction d'une identité imaginaire, masquant toute les pluralités et les hybridités du social sous prétexte de lutter contre des discriminations qu'il ne s'agit pas de nier.
L'épistémologie de la «blanchité» pose problème pour quatre raisons Tout d'abord, elle verse souvent dans les logiques de mépris identitaire. Ce mépris, voire cette haine au sens où l'entend Spinoza, ne mène pas tant vers un « acisme contraire» (le «racisme anti-blanc» est une expression fort contestable que nous ne reprendrons pas à notre compte) que vers un «contre-racisme» analogue à ce que la contre-révolution était à l'esprit révolutionnaire. S'en prendre à «l'homme blanc occidental hétérosexuel», adresser des diatribes méprisantes à «la femme blanche bourgeoise occidentale» ne fera certainement pas avancer la lutte contre le racisme et la xénophobie à l'égard des personnes et groupes sociaux concernés. Ces discours sont des forces réactives, un ressentiment exprimé sous la forme de propos haineux ou méprisant à l'égard de l'autre, ce «blanc» imaginaire et socialement construit par des savoirs réactifs, des savoirs qui «réagissent» mais qui «n'affirment» rien – pour reprendre les propos de Gilles Deleuze dans «Nietzsche et la philosophie».
Le deuxième problème posé par la rhétorique de la «blanchité» est de diviser le monde social entre « blancs » et «non-blancs» ou «racisés». Ces discours sur «l'ami non-blanc ou blanc» et « l'ennemi non-blanc ou blanc» rappelle la façon dont le penseur réactionnaire Carl Schmitt définissait le politique. Dans mon livre «Penser l'obscurantisme aujourd'hui» (Afrique Orient, 2009), j'avais dit que ces discours favorisaient la division, les antagonismes, insistaient davantage sur ce qui sépare les être humains et non pas ce qui les unit, les rapproche, les rassemble. Que cela plaise ou pas à certains, nous appartenons tous à un monde commun, constitué d'une pluralité de modes de vie et de penser.
Le troisième problème que posent ces discours sur la «blanchité» est de refuser les coalitions, les mixités, voire les solidarités. Depuis les slogans rejetant le «féminisme blanc» à des appels à la «non mixité » dans l'engagement, comme si le contact avec l'autre était source d'une contamination analogue à celle du COVID 19, certains de ces discours sur la « blanchité » construisent des communautés imaginaires, «les noirs», «les arabes», «les occidentaux», les nationaux de «souches» etc., et, sous prétexte de lutter contre des injustices, des discriminations, des actes de racisme bien réels, construisent certaines visions stéréotypées ou partielles du réel qui occultent d'autre minorités au sein des minorités et homogénéisent arbitrairement le social. Or, ce dernier comporte avant tout des multiplicités, des pluralités, des hétérogénéités, des fragmentations.
Le quatrième problème de cette rhétorique est de ne pas assez tenir compte des hybridités, des métissages, voire de les refuser et de les considérer comme un mal débouchant forcément sur l'acculturation des dominés. Quand on est lié de près ou de loin à différentes cultures, on est censé s'y retrouver où dans ces dichotomies ? Dalida, par exemple, est-elle «blanche» ou «non blanche» ? C'est oublier les belles paroles de Abdekébir Khatibi dans « Amours bilingue», évoquant la fusion de l'identité dans celle de l'autre, le remarquable ouvrage co-écrit par Rita El Khayat et Alain Goussot «Métissages culturels » ou la belle histoire d'amour dans «Il était une fois le Bronx» de Robert de Niro, où l'on voit Calogero recevoir le baiser de Jeanne sur fond de mépris identitaire réciproque entre la communauté italienne et la communauté afro-américaine. Aujourd'hui, la trans-culturalité ou l'interculturalité sont des formes de résistance beaucoup plus puissantes face au racisme que le rejet culturaliste de l'autre, notamment en évoquant sa couleur de peau.
Dans sa lettre de juin 2020 à ses «amis blancs qui ne voient pas où est le problème», Virginie Despentes écrit que la dernière fois qu'elle a été contrôlée par la police, c'est lorsqu'elle était avec un arabe, la dernière fois que l'on a refusé de la servir elle était avec un arabe. Ces états de fait, qui sont bien réels, ne doivent pas masquer «d'autres problèmes». On peut être avec des amis noirs ou arabes et ne pas se faire contrôler par la police, voire être secourus ou être traités correctement par les forces de l'ordre (ça m'est déjà arrivé de vivre cela avec des personnes arabes), on peut être servi de manière très poli par les serveurs en étant avec des amis arabes ou noirs. Et si les actes évoqués par Despentes nous arrivent, se dire que ce sont des personnes racistes qui les ont commises. On peut aussi être avec des amis noirs ou arabes dont les principaux « problèmes » ne sont pas d'être contrôlés par la police ou de ne pas être servis dans un café mais de trouver du travail, d'avoir des droits sociaux, de pouvoir scolariser correctement leurs gosses, avoir accès aux soins, ne pas voir leur bagnoles abimées ou bien vivre dans un logement décent.
Je suis arrivé en tant qu'immigré en France dans les années soixante-dix. Comme beaucoup d'autres étrangers, j'ai rencontré des propos xénophobes émis à mon égard, à l'égard de mon nom de famille, de mes origines, de mon physique méditerranéen, de mon accent, de ma couleur de peau et de mes cheveux crépus. A l'école, on m'a dit à plusieurs reprises dans la cour que je ressemblais à un arabe, j'y ai rencontré à certains moments des propos xénophobes et racistes tant de la part des élèves que de certains enseignants, qu'ils soient «blancs» ou «non blancs». Sauf qu'à cette époque, cette horrible épistémologie de la «blanchité» n'existait pas et que le problème, c'étaient les attitudes racistes, pas des couleurs de peau. Les racistes étaient ceux qui divisaient l'humanité entre des «blancs» et des « non-blancs ». Le sens du mot « racisme » est d'ailleurs entendu, selon les périodes, dans un sens plus ou moins extensif. On parlait à un moment de racisme « anti-jeunes», «anti-gros», «anti-fumeurs». Demain on parlera peut-être de racisme des universitaires du public à l'égard des universitaires du privé, de racisme anti-mini-jupe, anti-utilisateurs de Smartphone ou anti-adeptes des réseaux sociaux. Qui sait ?
D'ailleurs, faut-il se définir par rapport à cette dichotomie «blancs/non-blancs » socialement construite ? La réponse est non, bien évidemment. Je suis un être humain avant tout, pris dans le flux de la pluralité et de la singularité humaine, de ce monde commun que je partage avec tous les autres humains, également pluriels et singuliers. Etre blanc, pour reprendre encore une idée de Khatibi, c'est porter en soi le non-blanc, être non-blanc, c'est aussi porter en soi le blanc, son frère humain, sa sœur humaine, l'aimant ou l'aimante. Etre humain ne se limite à un repli identitaire sur soi ou sur sa communauté imaginaire. C'est être également capable de s'affranchir de son identité plurielle et singulière ou de la reconstruire sans ressentiment ni haine, pour parler comme Mamoun Lahbabi dans le roman «Où aller pour être loin ?», et de se fondre, amicalement, fraternellement ou amoureusement dans l'identité singulière et plurielle de l'autre, soit pour fusionner, soit pour s'agréger, soit pour cohabiter. Au final, on est toujours le «blanc» ou le «non-blanc» de quelqu'un qui nous voit comme tel, quelle que soit notre couleur de peau, et l'une des façons de lutter contre le racisme, les formes de discriminations ethniques, culturelles et cultuelles consisteraient à s'en prendre plutôt à des structures, des systèmes, des modes de perceptions arbitraires plutôt qu'à des identités, des couleurs de peau et des individus qui peuvent avoir aussi leur part de fragilité et de vulnérabilité.
*(Professeur de philosophie)


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