Le roi veut expliquer la gravité de la décision et sa portée. Lui aussi est manifestement sincère, sa sympathie pour notre pays et son admiration pour Bourguiba sont évidentes. Dans un court échange de vues, nous convenons qu'il est urgent d'attendre la mutation de l'Algérie, qui passe par des transes révolutionnaires avant de retrouver, par la force des choses, un certain équilibre. Il est près de 23 h 30. Je rentre au palais où vinrent d'arriver pour une même mission de bons offices, Hosni Moubarak, alors vice-président de la République égyptienne et Séoud Fayçal, ministre des Affaires étrangères d'Arabie saoudite. Nous veillons tant soit peu, nous convenons que le calme et la sérénité s'imposent. Nous devisons sur les tribulations de Kadhafi et sur le sort de l'unité arabe. Je suis agréablement surpris par le réalisme de Moubarak et la pondération de Fayçal. Le lendemain, 2 février, je rencontre le Premier ministre, et discute encore longuement avec Moulay Ahmed Alaoui qui entrecoupe ses interventions impétueuses de ses habituels traits d'humour. J'arrive à Tunis vers 18 h 30 où je déclare à l'aéroport : «Les recommandations du Président ont permis d'obtenir deux résultats concrets : mettre fin à une situation qui aurait pu se dégrader davantage et devenir très dangereuse pour l'ensemble de la région, et réfléchir à une solution politique et pratique pour un règlement pacifique, respectant les droits fondamentaux de chaque partie». Nous nous retrouvons, à 19 heures, chez le Président : le Premier ministre, le directeur de cabinet, Mongi Kooli, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et moi-même. Dans mon compte rendu, je rapporte intégralement les propos du roi, je souligne «sa surprise» devant la position de Bourguiba de «déplorer et dénoncer» toute escalade. Je mets, toutefois, en valeur la bonne volonté de Hassan II et son fameux geste de «l'enveloppe» annonçant l'arrêt de l'avancée militaire marocaine. Nous étudions tous les aspects de la trêve obtenue, sa fragilité et convenons d'agir pour la préserver… Le Président est réconforté. Il rappelle certaines de ses positions politiques dans le passé et ses bons réflexes dans de telles conjonctures. Il demande au Premier ministre de déclarer son soutien total à ma mission. A l'issue de cette longue séance de travail, Nouira déclarera : «Le ministre de l' Intérieur à fait au chef de l'Etat un compte rendu de son entretien avec Sa Majesté le roi du Maroc et a évoqué les complications qui se sont produites à la suite du problème du Sahara occidental. Ce compte rendu a été fait, selon les directives que le ministre de l'Intérieur avait reçues, auparavant, avant de quitter Tunis pour Rabat». Dans sa dernière partie, ce texte souleva la surprise de certains observateurs, il était destiné au Maroc. Bourguiba, quant à lui, préfère appeler personnellement Hassan II au téléphone pour le féliciter de son réalisme et l'assurer de son soutien personnel. Au président Boumediene, il annonce l'arrêt des hostilités à Amgala en l'adjurant au calme et à la sérénité. Les Algériens me feront, néanmoins, le reproche de n'avoir pas fait escale à Alger, à mon retour de Rabat. • Tahar Belkhodja