La Chine et la Russie, longtemps réputées pour leur réserve sur le dossier du Sahara marocain, semblent amorcer une évolution convergente, selon un rapport publié ce mois-ci par le Policy Center for the New South, un document de vingt-deux pages consulté par Barlamane.com. Intitulée «La Chine et la Russie face à la question du Sahara marocain : vers une convergence des intérêts stratégiques», cette étude signée par Fadoua Ammari et Rida Lyammouri retrace avec minutie les trajectoires diplomatiques respectives de Pékin et de Moscou en les confrontant aux principes mis en avant par le Maroc depuis la présentation, en 2007, de son plan d'autonomie sous souveraineté nationale – proposition qualifiée par les auteurs de «seule base sérieuse et crédible d'une résolution durable» du conflit. Pragmatisme chinois, constance verbale et gestes implicites Si la Chine s'en tient officiellement à une posture de neutralité, fondée sur «le respect de la légalité internationale et la recherche d'un règlement pacifique», plusieurs indices suggèrent un rapprochement discret avec les positions marocaines. Le vote de Pékin en faveur de la résolution 2602 du Conseil de sécurité de l'ONU (2021), qui saluait une solution fondée sur le «réalisme» et le «compromis», a été interprété comme un «signe d'évolution vers une compréhension accrue des arguments marocains». Cette orientation s'est confirmée lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) de 2024, où le Polisario n'était pas convié. La déclaration finale a soutenu «l'intégrité territoriale du Maroc», confirmant l'exclusion tacite du front séparatiste comme acteur légitime de la scène diplomatique. Le rapport souligne en outre que la Chine évite désormais les abstentions critiques aux Nations unies, préférant s'aligner sur la majorité du Conseil de sécurité. Les auteurs y voient «la traduction d'une disposition croissante à appuyer, en actes sinon en mots, le projet marocain». Pékin, tout en ménageant ses relations avec Alger, aurait ainsi pris acte du rôle pivot que joue Rabat dans ses ambitions économiques transcontinentales. En témoignent l'essor des échanges bilatéraux (près de 8 milliards de dollars en 2023), la montée en puissance des investissements chinois au Maroc (premier investisseur en projets greenfield cette même année) et la signature d'accords d'envergure dans la fabrication de batteries, les infrastructures et les énergies renouvelables. Le rapport rappelle que «la Chine représentait en 2023 près de 29 % des projets d'investissements directs greenfield au Maroc». Moscou entre calcul diplomatique et intérêt géoéconomique La position de la Russie a, elle aussi, évolué avec précaution. Si Moscou continue de proclamer son attachement au principe d'autodétermination, elle s'abstient désormais régulièrement lors des votes onusiens relatifs au Sahara, notamment pour les résolutions renouvelant le mandat de la Minurso (missions de 2021 et 2023). Le rapport insiste sur le fait que «le choix répété de l'abstention, et non du veto, illustre une inflexion tactique assumée». Cette réserve bienveillante s'accompagne de déclarations où l'on perçoit un glissement : le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov s'est dit, en janvier 2025, prêt à «contribuer activement à la résolution du conflit» et à offrir une médiation. Si Moscou ne s'est jamais opposée publiquement au plan d'autonomie, elle évite également d'en faire l'éloge explicite. Une prudence interprétée par les auteurs comme «le souci de ménager à la fois Rabat et Alger», dans un contexte de rivalité stratégique régionale. Parallèlement, la Russie développe sa présence économique dans les territoires sahariens sous contrôle marocain. Après la suspension de l'accord de pêche entre le Maroc et l'Union européenne en 2023, en raison d'un arrêt de la Cour de justice de l'UE, Moscou s'est vu attribuer des quotas dans les eaux atlantiques sahariennes, sans que ni le Front Polisario ni l'Algérie ne protestent officiellement. Cette absence de réaction est analysée dans le rapport comme «la marque d'une redéfinition du rapport de force régional», la Russie devenant un acteur difficilement contournable. À l'échelle géopolitique, Moscou perçoit le Maroc comme un point d'appui diplomatique dans un Maghreb tendu. Depuis la déclaration de partenariat stratégique approfondi signée à Moscou en 2016, les relations russo-marocaines se sont densifiées, même si les flux commerciaux demeurent modestes (1,6 milliard de dollars en 2021). Le Royaume, qui s'est abstenu lors des votes de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'Ukraine, reste un partenaire jugé fiable dans une région marquée par les recompositions d'alliance. Le rapport précise que «la stabilisation de la question du Sahara permettrait à la Russie de ne pas avoir à choisir entre deux partenaires stratégiques», évitant ainsi un dilemme diplomatique préjudiciable à ses intérêts régionaux. Enfin, le document relève que tant la Chine que la Russie, tout en s'abstenant de toute déclaration tonitruante, semblent de plus en plus disposées à accepter une résolution du conflit conforme aux paramètres marocains, pour peu qu'elle garantisse une stabilité durable et une continuité des partenariats. «Sans rompre avec leur prudence coutumière, elles modifient leur langage, ajustent leurs votes et multiplient les gestes à portée symbolique», concluent les auteurs.