Il est jeune, beau et Marocain. Il habite Los Angeles, travaille à Hollywood. Il est compositeur de musique de film et côtoie les plus grands, notamment des aînés, et fonce tête baissée. Au Maroc, la presse commence à peine à faire écho de son existence et pour cause : il est nommé pour la musique de « The Deep State » aux 68èmes Grammy Awards dont les résultats seront annoncés le 1er Février 2026. Quant au Maroc « officiel », il dort. Profondément. Ni CCM ni ministère de la Culture ne paraissent concernés par les performances passées de Youssef Guezoum. Rencontre avec un grand compositeur. L'annonce du choix du compositeur marocain pour les Grammy 2026, est plus qu'un évènement nous dit le concerné : « C'est un mélange d'émotion, de gratitude et d'incrédulité. Quand on compose, on vit souvent dans un univers très intérieur : entre le silence du studio, les longues nuits de travail, et cette quête incessante d'une note juste, d'un souffle musical qui épouse l'image. Alors quand un projet comme ''Deep State'' franchit toutes ces étapes et se retrouve reconnu par une institution comme les Grammy, c'est bouleversant. On se dit que tout ce temps passé à douter, à recommencer, à chercher le bon son, n'a pas été vain. Cette nomination, je la prends comme une respiration, un moment où le monde extérieur renvoie un écho bienveillant à ce qu'on a essayé de créer. » D'autant que fouler une telle scène relève du rêve : « Oui, un rêve lointain, presque irréel. Enfant, je regardais les Grammy Awards à la télévision avec admiration. Pour moi, c'était un monde inaccessible, réservé à des artistes d'un autre univers. Jamais je n'aurais imaginé, à l'époque, qu'un jour ma musique pourrait être associée à cette cérémonie. Mais ce rêve s'est transformé au fil du temps : il n'est plus une fin en soi, mais une étape dans un parcours fait de passion, d'apprentissage et de rencontres. Les Grammy symbolisent aujourd'hui la reconnaissance d'un travail collectif, celui d'équipes entières qui croient à la puissance de la musique de film. » Pour cette 68e édition, Youssef Guezoum est mis aux prises avec des monuments de la composition de musique de film : Brandon Roberts, Danny Elfman, Jeff Russo, Hans Zimmer, Volker Bertelmann, Jeff Cardoni... Voilà qui n'est pas sans impressionner Guezoum. « Bien sûr. Être nommé dans la même catégorie que des compositeurs dont j'ai étudié les partitions ou dont j'ai analysé les orchestrations pendant mes années de formation est impressionnant. Mais au lieu de me paralyser, cela m'inspire. Je vois cette compétition non pas comme une rivalité, mais comme une conversation entre créateurs.
« Je vois cette compétition non pas comme une rivalité, mais comme une conversation entre créateurs » Chacun a sa voix, son univers, ses blessures et ses lumières. Et dans cette diversité, il y a quelque chose de très beau : la preuve que la musique de film reste un art vivant, en perpétuelle évolution. » Cela se trouve et se vit à Hollywood, terre des rêves et parfois de leur réalisation si on répond favorablement à ses exigences : « Hollywood m'a appris la rigueur, la précision, et le respect du collectif. Là-bas, la musique de film est une industrie, mais aussi un laboratoire de créativité. J'y ai découvert l'importance du détail: comment une seule note peut changer l'intention d'une scène, comment une nuance de timbre peut traduire une émotion mieux que des mots. J'ai aussi appris que la réussite ne se mesure pas seulement aux distinctions, mais à la capacité de rester fidèle à soi-même dans un système immense. Hollywood m'a également rappelé que derrière chaque grand projet, il y a une somme de sacrifices, d'insomnies, de doutes — mais aussi une immense passion partagée par tous ceux qui aiment raconter des histoires avec des sons. » Et le talent et les bons circuits dans tout ça ? « Le talent ne suffit pas. Il faut une discipline quasi monastique, une endurance mentale et émotionnelle. Le plus difficile, ce n'est pas de percer, c'est de durer. Trouver les bons circuits, c'est avant tout comprendre les gens, bâtir des relations de confiance, et surtout savoir écouter. Dans ce métier, chaque projet est une aventure humaine avant d'être une aventure artistique. Et il faut accepter l'échec, car c'est lui qui forge l'oreille, le regard et la patience. » Ainsi, on peut arriver à séduire l'Académie en charge de l'évènement : « L'équipe de production de ''Deep State'' a soumis la bande originale dans la catégorie "Best Score Soundtrack". Ensuite, c'est l'Académie qui procède à un processus de sélection extrêmement rigoureux, basé sur l'écoute attentive des œuvres. Quand j'ai appris que la musique avait été retenue, j'étais seul dans mon studio. J'ai mis un moment avant de réaliser. Ce n'est pas un simple ''oui'' administratif, c'est un regard posé par des professionnels du monde entier sur ton travail. C'est une forme de validation artistique qui donne envie d'aller encore plus loin. » A l'arrivée, partir ou non avec le Grammy, importe peu pour Youssef Guezoum. A le croire... : « Oui, c'est déjà un accomplissement. On pense souvent aux prix, aux trophées, mais la véritable consécration, c'est d'être reconnu par ses pairs, d'être écouté avec attention. Pour moi, cette nomination, c'est un pont entre mon parcours personnel, mes origines, et ce que je représente aujourd'hui dans cette industrie. C'est aussi une victoire partagée : avec les musiciens, les ingénieurs du son, les réalisateurs, et tous ceux qui ont cru à cette musique dès le départ. » Avec cela, l'inspiration marocaine n'est jamais loin, quasi présente : « Toujours. Même si mes projets sont internationaux, mes racines marocaines sont indissociables de ma manière de ressentir et de traduire la musique. C'est une empreinte invisible, mais profonde. On la retrouve parfois dans un mode andalou, dans une rythmique gnawa, ou dans la façon dont j'aborde le silence. J'aime dire que ma musique est "bilingue" : elle parle à la fois le langage du monde et celui de mes origines.
« C'est l'Académie qui procède à un processus de sélection extrêmement rigoureux » Le Maroc est ma source d'inspiration, une terre de contrastes et de poésie, où chaque son raconte une histoire. » Si Youssef réalise progressivement ses rêves, il lui en reste un, réalisable peut-être à long terme : « C'est mon rêve le plus fou. Il serait de contribuer à un grand film marocain capable de toucher le monde entier, sans renier son identité. De diriger un orchestre symphonique qui mêlerait des musiciens marocains et internationaux, dans une grande production tournée ici, avec notre lumière, nos paysages et nos âmes. Et au-delà du cinéma, j'aimerais créer un espace de transmission — une école ou une résidence — pour les jeunes compositeurs d'Afrique du Nord qui rêvent, eux aussi, de raconter des histoires à travers la musique. » Avis aux amoureux du cinéma, aux décideurs et agitateurs. Entre-temps, Guezoum nous conte une anecdote : « Une fois, à Los Angeles, un réalisateur m'a dit : "Je veux que le désert ait une mémoire." Cette phrase m'a hanté. J'ai passé des nuits à expérimenter : j'ai enregistré le vent du Sahara, des percussions étouffées dans le sable, et des cordes frottées jusqu'à la rupture. Il a écouté la version finale en silence, puis il m'a dit : "Tu as fait parler le silence." Cette phrase est restée en moi. Elle symbolise ce que je cherche à faire à travers chaque projet : traduire l'invisible, donner une voix à ce qu'on ne peut pas dire. » A aujourd'hui 50 ans, Youssef Guezoum a plusieurs années de formation derrière lui : à Vancouver (Canada) pour le son, à Bruxelles pour un diplôme en musique classique. A Hollywood, il fait ses classes avant de signer avec Paramount Pictures, Universal Music Group, Lionsgate Films. Il compose la musique de « Power Rangers » avec Noam Kaniel, du film « Frenchy » de Jean-Claude Van Damme, de séries télévisées telles que « Les Experts : Miami », « Secret & Lies », « Hell's Kitchen » et d'autres du Moyen-Orient. Maintenant, c'est au Maroc de se réveiller.