Dans une région souvent livrée à la surenchère verbale et à l'enflure martiale, le souverain marocain Mohammed VI se distingue par une ligne étrangère d'une sobriété tenace, selon l'analyse du géopolitologue Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris, publiée ce jour dans L'Express sous le titre : «Mohammed VI ou le courage d'une diplomatie modérée». «Vous êtes Satan», «je ferai couler des rivières de sang», «votre châtiment sera éternel»... L'auteur recense ces fulminations proférées par plusieurs dirigeants du monde arabe ou iranien – de Nasser à Khamenei, en passant par Saddam Hussein, Kadhafi, les Assad ou les actuels chefs des Houthis – et constate que cette rhétorique d'exaltation tragique, souvent dirigée contre Israël ou l'Occident, débouche systématiquement sur «défaite et déshonneur, jusqu'au ridicule pour certains». Le refus de la fureur et des coups d'éclat Le roi Mohammed VI, souligne M. Encel, se tient à distance de cette théâtralité dévastatrice. Depuis son accession au trône, il conduit une politique extérieure fondée sur «l'équilibre et la modération», sans «coup de menton» ni «logorrhée complotiste». Son attitude dans le dossier israélo-palestinien est, à cet égard, révélatrice. Le Maroc a adhéré en 2020 aux accords d'Abraham, rétablissant des relations diplomatiques avec Israël. Pour autant, le souverain n'a jamais renoncé à rappeler la nécessité d'un règlement fondé sur «deux Etats». Descendant du Prophète et, à ce titre, commandeur des croyants, le roi du Maroc préside également le comité Al-Qods (Jérusalem) au sein de l'OCI (Organisation de la coopération islamique). Il aurait pu se contenter, note M. Encel, «de la ligne traditionnelle dite du Front du refus». Il a préféré une orientation moins spectaculaire mais plus féconde : faire valoir la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental tout en œuvrant à une normalisation réfléchie, y compris au prix de tensions avec Alger ou d'une partie de la classe politique nationale. Une parole ferme et des choix autonomes Rabat n'a pas pour autant déserté la cause palestinienne. Le palais royal a réagi avec sévérité à la tragédie humanitaire de Gaza. Mais le royaume s'est gardé de verser dans les amalgames ou les excès. La politique d'acquisition militaire et technologique demeure, elle aussi, guidée par une logique d'indépendance : le Maroc, observe M. Encel, choisit ses partenaires en fonction de la pertinence de leurs offres, «à l'instar d'émergents comme l'Inde ou le Vietnam», sans allégeance exclusive à quelque puissance que ce soit. Cette constance dans la retenue s'exprime également sur le plan intérieur. Au lendemain des attentats islamistes de Casablanca en 2003, le monarque choisit non pas le repli, mais la réforme de la Moudawana (code de la famille), en faveur des femmes. En 2011, la Constitution inclut officiellement les composantes berbère et juive dans le patrimoine national. Lors des manifestations pro-palestiniennes de 2024 – parmi les plus importantes du monde musulman – aucun slogan antisémite ne fut relevé, selon l'auteur : «Une réalité qu'on adorerait connaître à nouveau en France...» Une voix attendue sur la scène internationale Cette approche mesurée vaut aujourd'hui à Rabat d'être l'invité d'honneur des 10e Rencontres géopolitiques de Trouville-sur-Mer, prévues du 19 au 21 septembre prochains, sous l'égide de L'Express. Pour M. Encel, la posture du roi ne relève ni de la tiédeur, ni de la passivité, mais d'un calcul subtil, d'une «tendance à la pondération voulue constructive», dont les effets concrets se font déjà sentir au-delà des frontières du royaume.