Des livraisons massives de gazole russe vers l'Espagne, via le territoire marocain, ont récemment provoqué une vive controverse dans la presse ibérique, révélant les multiples entorses aux sanctions de l'Union européenne contre Moscou. Selon plusieurs sources concordantes relayées par Deutsche Welle, jusqu'à 123 000 tonnes de gazole en provenance de Russie auraient été acheminées chaque mois depuis le Maroc vers le port de Carthagène. Ces cargaisons, bien que manifestement d'origine russe, ont été présentées par certains analystes comme des importations licites, le Maroc n'étant pas soumis aux sanctions européennes. En effet, la marchandise, une fois débarquée et prétendument transformée, était réputée «marocaine». Cette tentative de justification a été vertement moquée par le chef d'entreprise madrilène Antonio Prieto, actif dans le commerce international, cité par le média allemand. «Les Marocains ne disposent d'aucune installation industrielle pour produire du gazole. Parler de gazole marocain revient à évoquer les bananeraies du Groenland», a-t-il déclaré, estimant que cette opération constitue «une des nombreuses manœuvres de contournement des sanctions européennes, sur lesquelles, espérons-le, les autorités espagnoles se penchent sérieusement». Machines-outils pour la Russie militaire Cette affaire s'ajoute à d'autres dossiers qui ont secoué l'Espagne ces derniers mois. Une entreprise d'import-export, basée à San Vicente del Raspeig dans la province d'Alicante, a été démantelée en juin après plusieurs mois d'enquête menée par la police nationale, les douanes et les services de renseignement. Cette société se procurait en Europe des machines-outils de haute précision, utilisées dans l'industrie de défense russe, notamment l'aéronautique. Selon les enquêteurs, les dirigeants falsifiaient les documents de transport et détournaient les équipements vers la Russie en les faisant transiter par la Turquie. Tous deux ont été incarcérés dans l'attente de leur procès. Produits chimiques militaires interceptés à Barcelone Autre opération déjouée : l'expédition, en 2024, d'une cargaison de produits chimiques vers la Russie, officiellement destinée à l'Arménie et au Kirghizistan. Treize tonnes de substances ont été saisies dans le port de Barcelone. Parmi elles figuraient du diéthylamine – précurseur d'armes chimiques –, de l'acide nitrique à usage militaire, ainsi que de l'hexaméthylènetétramine, employé dans la fabrication d'explosifs. Les propriétaires de la marchandise, affiliés à trois sociétés extérieures domiciliées à Valence et Barcelone, ont été arrêtés en février 2025. Cinq individus sont actuellement détenus. Une tentative avortée de livrer des radios à l'armée russe L'un des cas les plus notoires demeure celui de l'homme d'affaires hispano-hongrois Bence Horváth, arrêté à San Francisco après avoir tenté d'exporter des radios portatives de marque Motorola vers la Russie. Ces appareils, interceptés à l'aéroport de Miami, avaient été réglés par une entreprise espagnole. Le point de livraison déclaré était Riga ; de là, le matériel devait être discrètement acheminé vers le territoire russe. L'intéressé, qui possédait un vaste réseau de sociétés-écrans réparties entre l'Espagne, la Hongrie, la Serbie, la Lettonie et les Emirats arabes unis, était soupçonné d'activités similaires depuis plusieurs années. Un commerce motivé par l'appât du gain Interrogé par DW, Francisco Álvarez, politologue à l'université de Madrid, a tenu à dissiper deux idées reçues : «Contrairement à ce que l'on imagine souvent, ces réseaux ne sont pas le fait de la diaspora russe, mais de commerçants espagnols, même si des ressortissants russes peuvent y figurer», affirme-t-il. «Ce type de trafic suppose des connexions solides dans les administrations locales et une fine connaissance des rouages européens». Il ajoute que les motivations sont essentiellement pécuniaires : «Il ne s'agit nullement d'actes politiques. Ces personnes agissent par pur intérêt personnel», conclut-il.