Les opérations bancaires en Afrique traversent une phase de profonde recomposition, où le Maroc émerge comme l'un des pivots majeurs de cette réorganisation. Depuis la pandémie de Covid-19, plusieurs grandes banques britanniques et françaises se sont retirées du continent, laissant place à un mouvement inverse amorcé, quoique timidement, par certains établissements américains. Si les périodes d'instabilité mondiale entraînent généralement un repli des marchés dits «frontières», African Business, dans son dernier rapport, souligne que «ce double mouvement laisse entendre qu'il n'y a pas eu de crise de confiance spécifique ni envers l'Afrique dans son ensemble, ni à l'égard de son secteur bancaire». Le royaume chérifien s'illustre particulièrement dans cet essor, ses groupes bancaires figurant parmi les principaux acquéreurs d'actifs européens en Afrique. Attijariwafa Bank, le Groupe Holmarcom et Saham Group ont ainsi pris une part active dans le rachat d'anciennes filiales françaises, renforçant la position de Casablanca comme place financière incontournable. Les désengagements observés relèvent principalement d'une volonté des banques européennes de se recentrer sur leurs marchés domestiques, conformément à une tendance générale observée dans de nombreux secteurs. À cet égard, la montée des coûts d'exploitation, la persistance de taux élevés de créances douteuses (NPLs), les exigences réglementaires accrues et la faiblesse des rendements ont motivé ces cessions, l'Afrique apparaissant, selon de nombreux indicateurs, moins attrayante que d'autres régions émergentes. Sous la pression des régulations, les banques européennes se délestent d'actifs Entre 2016 et 2022, la rentabilité des cinq plus grands marchés bancaires africains – Egypte, Kenya, Maroc, Nigéria et Afrique du Sud – a reculé de 2 %, selon les calculs de McKinsey & Co. Ce phénomène s'explique notamment par la mise en œuvre des normes prudentielles de Bâle III, qui contraignent les banques à renforcer leurs fonds propres. Par ailleurs, les législations relatives à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme ont imposé aux établissements financiers un contrôle accru de leurs opérations, même dans les marchés de moindre envergure. La prudence des banques internationales a été exacerbée depuis que BNP Paribas a écopé, en 2014, d'une amende colossale de 8,9 milliards de dollars infligée par les autorités américaines pour violation d'embargos visant le Soudan, Cuba et l'Iran. Le secteur de la banque de détail demeure généralement peu lucratif dans de nombreux pays africains, où la connaissance fine des contextes locaux s'avère cruciale. Par ailleurs, la montée en puissance des services bancaires mobiles a intensifié la concurrence, alors que de plus en plus de banques africaines proposent désormais des comptes en devises. Selon le document susmentionné, le processus de désengagement européen a débuté en 2016 lorsque Barclays a commencé à céder ses actifs africains. La banque britannique a ainsi vendu sa filiale égyptienne à Attijariwafa Bank la même année, puis son entité zimbabwéenne à First Merchant Bank du Malawi en 2017. En parallèle, Barclays a réduit progressivement sa participation de 62,3 % dans Absa, l'une des quatre principales banques sud-africaines, une opération achevée en 2022, lui faisant perdre l'accès aux activités d'Absa dans une douzaine de marchés africains. Standard Chartered reconfigure sa stratégie africaine En 2022, la banque britannique Standard Chartered, jusque-là tournée vers l'Asie et l'Afrique, a annoncé son retrait de cinq pays africains. Ses filiales en Angola, au Cameroun, en Gambie et en Sierra Leone ont rapidement été cédées à Access Bank du Nigéria. Plus récemment, en juin 2025, Standard Chartered a finalisé la vente de ses activités de banque de détail et de gestion de patrimoine en Tanzanie, toujours au profit d'Access Bank. Toutefois, elle conserve ses activités de banque d'entreprises et d'investissement en Tanzanie, au Botswana, en Ouganda et en Zambie. En novembre 2024, la banque a indiqué envisager la cession de ses activités de gestion de patrimoine et de banque de détail (WRB) au Botswana, en Ouganda et en Zambie, afin de «financer des investissements supplémentaires dans son activité de gestion de patrimoine, qui constitue une priorité stratégique». Il convient de souligner que le programme de cessions de Standard Chartered ne se limite pas à l'Afrique ; il concerne également la Jordanie et le Liban. Toutefois, le groupe demeure fortement implanté dans la majeure partie de l'Asie. S'agissant de l'Afrique, il semble se concentrer sur les marchés qui ont affiché les meilleures performances ces dernières années, à l'instar du Kenya, où ses actifs sous gestion ont progressé de 25 % en 2023 pour atteindre 185,5 milliards de shillings kényans (1,4 milliard de dollars). Bill Winters, directeur général du groupe, a précisé : «Nous évaluons constamment l'efficacité de notre modèle d'affaires mondial et prenons régulièrement des mesures pour concentrer nos ressources là où notre offre client est la plus distinctive. Nous avons investi massivement en Afrique ces dernières années, où nous opérons depuis 170 ans, et qui reste au cœur de notre réseau mondial». Il a ajouté que la banque avait plus que doublé ses actifs sous gestion en Afrique subsaharienne depuis 2021, en grande partie grâce à la forte croissance enregistrée au Kenya et au Nigéria. De son côté, HSBC prévoit de finaliser la vente de ses activités sud-africaines à FirstRand Bank, un groupe local, d'ici octobre. Bien qu'elle n'ait jamais exercé d'activités de détail en Afrique du Sud, la banque britannique y proposait des services d'investissement et d'affaires depuis la fin de l'apartheid. Toutefois, elle a conclu un accord avec Absa Bank pour continuer à offrir à ses clients l'accès au marché sud-africain dans le domaine des actions et des titres. La tendance au désengagement ne se limite pas aux petits marchés africains. BNP Paribas et Crédit Agricole ont ainsi mis un terme à leurs activités en Afrique du Sud, le second ayant également cédé sa filiale marocaine en 2022. Société Générale, quant à elle, est en train de céder ou a déjà cédé ses implantations dans une douzaine de pays d'Afrique du Nord, de l'Ouest et du Centre, tout en mettant fin à son service de portefeuille mobile YUP, incapable de s'imposer face à une concurrence acharnée dans le secteur de l'argent mobile. Les banques africaines s'emparent des actifs cédés par les groupes européens La vente d'actifs par les banques européennes entraîne inévitablement des conséquences négatives pour les marchés locaux : accès réduit aux devises, diminution de la concurrence et perte de relations de correspondant banking. Cependant, cette évolution ouvre des perspectives considérables pour les banques africaines, qui se renforcent progressivement et s'empressent de combler le vide laissé par les groupes européens. African Business indique à cet égard que «les banques africaines, dans leur ensemble, deviennent de plus en plus solides, ce qui permet à certaines d'entre elles de s'étendre rapidement». Nombre d'entre elles ont racheté les actifs cédés par les banques britanniques et françaises, ou profitent de la réduction du nombre d'acteurs pour accroître leur part de marché. Access Bank, forte de ses récentes acquisitions auprès de Standard Chartered, a accéléré son développement à l'échelle continentale. Roosevelt Ogbonna, directeur général du groupe, a ainsi déclaré : «Nos nouvelles filiales soutiendront notre plan de croissance quinquennal, en nous permettant de nouer de nouvelles relations en Afrique et à l'international, facilitant ainsi la gestion des paiements mondiaux et des transferts de fonds». Outre Access Bank, des groupes comme Vista (Guinée) et Coris (Burkina Faso) ont acquis plusieurs actifs cédés par les banques françaises. Au Maroc, ce sont le Groupe Holmarcom et Saham Group qui se sont portés acquéreurs d'anciennes filiales françaises, plutôt que les grandes banques traditionnelles du royaume. JP Morgan avance prudemment sur le continent africain Alors que les banques européennes se retirent de certains marchés ou réduisent leur présence à des segments spécifiques, un géant américain, JP Morgan, semble adopter une trajectoire opposée. Déjà implanté au Nigéria et en Afrique du Sud, le groupe prépare son entrée sur les marchés bancaire et d'investissement au Kenya et en Côte d'Ivoire, dans le cadre d'un plan d'expansion progressive sur le continent. Néanmoins, cette percée s'avère laborieuse. African Business précise que «malgré sa stature parmi les plus grandes banques mondiales, rien n'indique que les autorités de régulation africaines accélèrent les procédures pour les banques américaines». JP Morgan a ainsi obtenu en 2024 l'autorisation d'ouvrir des bureaux de représentation dans ces deux pays, sans pour autant disposer encore des licences bancaires nécessaires à l'exercice d'activités commerciales. La concurrence sera d'autant plus rude que le Kenya, hub bancaire régional, compte plus de quarante établissements commerciaux, ce qui en fait l'un des pays les plus bancarisés du continent. JP Morgan devra également rivaliser avec les banques chinoises, telles qu'Industrial and Commercial Bank of China et China Development Bank, notamment sur les segments du financement du développement et des infrastructures. Si les banques américaines disposent d'une présence plus limitée en Afrique que leurs homologues européennes, leur rôle dans le secteur des grandes entreprises demeure crucial. Citigroup, qui opère dans douze pays africains, est l'établissement américain le mieux représenté, tandis que JP Morgan, Goldman Sachs et Bank of America ne disposeront, même après leurs prochaines implantations, que de six implantations combinées. Cependant, les établissements américains restent des acteurs prépondérants dans les grands dossiers financiers. African Business rappelle que «les cinq principales opérations de fusions et acquisitions en Afrique au premier semestre 2024 ont toutes été pilotées par des banques américaines, Morgan Stanley en tête». Ce regain d'intérêt américain pour le continent contraste avec le retrait européen, preuve que ce phénomène ne découle pas exclusivement d'un déficit d'attractivité des marchés africains. Bien que la rentabilité demeure inférieure aux standards internationaux, les perspectives de croissance portées par l'AfCFTA et la dynamique démographique du continent en font un espace où les opportunités s'annoncent majeures. Toutefois, African Business avertit qu'il serait erroné d'ignorer le rôle central des banques africaines dans ce processus. «Elles connaissent mieux leurs marchés, déploient rapidement les nouvelles technologies et ont su acquérir les actifs abandonnés par les groupes européens. Sans le dire ouvertement, certains groupes occidentaux se sont peut-être trouvés dépassés par leurs homologues africains, du moins dans le secteur de la banque de détail».