l Depuis le début de lannée, les questions qui se murmurent concernent la sortie de crise. Quand les rapports officiels tentent de calmer les craintes, certains analystes continuent de tirer la sonnette dalarme. Que devons-nous donc penser de laprès-crise ? Comment devons-nous analyser leffondrement de lEuro ? Quelles sont les réformes nécessaires au développement économique et financier du pays ?... Autant de questions auxquelles El Mustapha Belkhayate, Expert en finance internationale, répond en apportant sa vision sur ce qui fait lactualité des marchés financiers internationaux et leurs impacts sur le Maroc. - Finances News Hebdo : Pensez-vous que la crise est derrière nous et que nous abordons le début de la reprise ? - El Mostafa Belkhayate : Il faut oublier définitivement la notion de reprise. Et arrêter de rêver. Nous sommes entrés depuis plusieurs années déjà dans une zone de turbulence et tout est orchestré pour nous baigner dans lillusion du fameux rebond qui est loin darriver. Il est essentiel de comprendre que, désormais, les gouvernements civils ont perdu le contrôle sur larchitecture financière mondiale. Cest un petit groupe dentreprises élites, bénéficiant du soutien de la puissance militaire américaine, qui fait ce quil veut sur cette planète et sur les marchés financiers. - F. N. H. : Comment pouvez-vous avancer quelque chose daussi terrible avec autant de certitude ? - E. M. B. : Je partage ma conviction et mes 20 années dexpérience sur les marchés. Leur écroulement en 2008-2009 est dû tout simplement à une fraude financière de grande ampleur cautionnée par des institutions américaines quon naurait jamais soupçonnées. Et le remède quelles ont proposé est le hold-up du siècle : ces mêmes institutions en ont profité pour organiser le plus grand transfert de richesse au monde. - F. N. H. : A votre avis, la situation de la zone Euro engendrée par la crise grecque aura-t-elle des répercussions sur le Maroc ? - E. M. B. : Ce nest pas la crise grecque qui va impacter notre pays, mais bien ce dont je parle plus haut : un chamboulement planétaire dans tous les domaines, financier, immobilier, industriel, social Nous devons rester vigilants et étudier avec sérieux les alternatives dun tel drame. Et, surtout, arrêter de prendre pour argent comptant les analyses des soi-disant experts américains, ou même européens. Les média sont linstrument qui a permis cette situation et sera loutil de base pour tenter de nous plonger le plus longtemps possible dans lillusion. Le Maroc doit sattendre à recevoir un énorme uppercut. Puis un autre Pour être prêts à encaisser, nous devons non seulement être bien préparés mais surtout savoir comment répliquer. Ma proposition est de rassembler lélite marocaine nationale et internationale pour un congrès urgent qui aura un thème du genre. «Donc, que doit faire le Royaume pour faire face au TGV qui nous fonce droit dessus ?». Surtout ne pas continuer à jouer à lautruche, ne rien faire et prier que le train nous évite. Nos dirigeants doivent savoir quils ne pourront pas se réfugier derrière la crise mondiale... pour justifier leur manque dinitiative et de compétence. Ils doivent assumer leur responsabilité aujourdhui pendant quil est encore temps pour protéger au mieux possible le citoyen. Lenjeu est trop important pour le laisser entre des mains frileuses. IL NOUS FAUT REAGIR. Et tout de suite. - F. N. H. : Cette crise a sensiblement impacté la valeur de lEuro face au Dollar; sagit-il dune incidence conjoncturelle ou bien dun acheminement vers la hausse de la monnaie américaine ? - E. M. B. : Pour répondre avec précision à cette question, très importante pour les opérateurs marocains, il faut commencer par expliquer pourquoi la mondialisation détruit les économies nationales, telles que la nôtre. Toutes les crises financières ont la même origine : un déséquilibre entre loffre et la demande. Et la mondialisation génère une offre croissante de biens et services grâce aux gains de productivité ; tout en maintenant une demande décroissante puisque les bénéfices ne sont pas équitablement distribués : seule une minorité de plus en plus riche saccapare de la vie, sans aucune conscience pour les autres consommateurs de plus en plus pauvres, endettés et pris dans le piège du crédit. Le fameux libre-échange est une escroquerie à grande échelle qui va mettre à genoux nos braves entrepreneurs. Ils auront beau combattre, le jeu est truqué. Il suffit de demander à un producteur marocain, au hasard, soit dans lagriculture, le textile, le tourisme, etc. Aucun ne peut dire que la mondialisation ne létouffe pas. Dernièrement, lEuro a été attaqué fortement. La Grèce na été quun prétexte. Le manipulateur est lAmérique. Cest simple et de bon sens : on ne cherche pas à détruire la devise européenne, mais juste à décourager les Arabes, Chinois et Russes, très grands détenteurs de dollars, de commencer à considérer que lEuro pourrait être la devise alternative au Dollar mourant. Non, il fallait montrer urgemment qui est le maître du monde. Car la situation devenait périlleuse : la confiance dans la civilisation américaine même commençait à sécrouler. Il fallait frapper fort et vite. Je rappelle que la réserve américaine, la plus grande banque au monde, contrôle directement et indirectement, à travers JP Morgan, Merryl Lynch, Goldman Sachs, le FMI et Cie plus de 75% de la fortune planétaire. Cest un gag pour elle de faire joujou avec le petit bébé quest lEuro. Nous avons cru participer de manière positive à lhistoire lorsque le GATT a été signé chez nous à Marrakech, mais en réalité cétait le début de la décadence de la souveraineté des Etats signataires. Il nous faut les rassembler de nouveau à Marrakech, mais cette fois-ci pour nouer entre nous des liens totalement en dehors du «Libre Echange». Des liens qui respectent la particularité de chaque pays signataire pour lui permettre de se développer sainement. Bref, le Dollar ne pourra à terme continuer à être manipulé de la sorte. Les grands détenteurs commencent à y voir clair et la dernière offre qui a été faite par le FMI à travers son directeur français DSK, ne va certainement pas être acceptée : il propose la création dune devise mondiale et dune banque mondiale. Autrement dit, que lEuro se disolve dans le Dollar. Une blague mais pourquoi ne pas essayer ? Jusquà présent, plus cest gros, plus ça passe Pour moi, le Dollar va perdre au moins 35% de sa valeur dans moins de 5 ans. - F. N. H. : Vous avez toujours prévu une ascension des prix de lor ; cette progression devra-t-elle se poursuivre encore ? - E. M. B. : Lor va progresser avec puissance et à un niveau qui va surprendre le monde entier. La raison est simple : le système financier actuel nest plus fiable. Et la solution proposée est une autre arnaque. La seule monnaie qui ne simprime pas est lor. Il est en train dêtre stocké en lieu sûr chaque jour par des investisseurs qui ne veulent plus du Dollar. Aujourdhui, lonce est à 1.215 dollars, contre 275 dollars en 1999. Dans 5 ans, lonce vaudra plus de 4.500 dollars. - F. N. H. : Le Maroc possède peu de réserves de ce métal précieux comparativement à dautres pays similaires ; quelle est votre analyse de cette situation sur léconomie nationale et le marché monétaire ? - E. M. B. : Comme vous le savez, jai été très déçu par notre Banque centrale qui na jamais voulu étudier mes nombreuses propositions dachat dor physique. La gestion du stock dor dun pays est hautement stratégique et ne doit surtout pas rester statique sur des trentaines dannées. Elle doit être dynamique et sadapter à la situation réelle du marché. Le gérant or de notre pays a entre les mains lavenir de tout un peuple. Il doit en être conscient et en assumer pleinement la responsabilité. Chaque année, ce sont des milliards de dollars, en plus ou en moins, qui sont en jeu. La voilà, la parade du gouvernement contre la crise à venir. Nous devons acheter un maximum dor physique, car toutes les devises vont baisser contre le métal jaune. Rassemblons lélite marocaine de Chicago, New York et Londres et posons deux questions : «Le Royaume doit-il acheter de lor ? ». «Si oui, combien par rapport à ses réserves de change ? ». A lépoque, on mavait rétorqué quil fallait un Conseil des ministres pour toucher à notre réserve dor. Alors, que ce Conseil convoque lélite marocaine à Rabat - F. N. H. : Pourquoi la Bourse de Casablanca reste-t-elle en méforme, alors que les fondamentaux des principales sociétés cotées sont très positifs ? - E. M. B. : Le marché financier marocain reflète exactement ce qui se passe dans le monde : une minorité de plus en plus riche et la majorité qui peine, qui sendette pour acheter un logement, une voiture Peu dopérateurs font la Bourse de Casa. Ils se connaissent tous et donc pas de surprise. Un seul opérateur peut changer le cours de la plupart des actions. Léconomie marocaine est sur la bonne voie, surtout depuis laccession au Trône de Mohammed VI, mais elle a besoin de diversification urgente tant au niveau des secteurs que des acteurs. Limmobilier et le tourisme vont souffrir Innovation et initiative seront les maîtres-mots de léconomie marocaine moderne. Internet y jouera un rôle décisif. - F. N. H. : Estimez-vous que la place boursière a besoin de certaines réformes ? - E. M. B. : Voici entre autres les premières idées : 1) Commencer par intégrer le marché de lor à la Bourse marocaine. Cest indispensable. On y arrivera tôt ou tard, alors pourquoi pas dès aujourdhui ? 2) Assurer une promotion plus agressive à linternational pour notre place boursière. Etre présent dans la majorité des salons de linvestissement ; 3) Inviter régulièrement des gérants de fonds en quête de marchés émergents et leur montrer leurs intérêts ; 4) «Se battre» avec les autorités qui donnent une cote au pays pour améliorer chaque année la solvabilité de notre place. Cest essentiel, car plusieurs investisseurs internationaux commencent par cette note pour considérer un placement dans un pays; 5) Offrir des avantages considérables aux capitaux marocains venant de létranger ( de manière à intéresser les milliards qui dorment en Suisse et ailleurs). - F. N. H. : Pensez-vous que la Bourse de Casablanca est assez mature pour accueillir un marché à terme ? - E. M. B. : Il faut commencer un jour oui. Casablanca peut lancer un contrat à terme sur le Madex, par exemple, pour permettre la spéculation et la couverture des portefeuilles. Pourquoi pas un contrat sur le phosphate et sur les bons de Trésor ? En tous les cas, ce sera un grand jour pour le marché financier marocain - F. N. H. : Quelles sont alors les mesures qui doivent accompagner la mise en place du marché à terme pour en assurer le succès ? - E. M. B. : Au niveau technique, nous sommes bons. Cest au niveau promotionnel que nous risquons de manquer de punch, peut-être de moyens financiers. Pourtant, cest là quon doit être agressif. La promotion et la communication doivent être parfaites. Car tout le Royaume va en bénéficier. Il nous faut être présents sur tous les média financiers internationaux, TV, presses écrite et online et faire plusieurs reportages sur le nouveau dragon de lAfrique.