En rassemblant plus d'un million de personnes qui ont occupé environ 150 000 m2 de la banlieue Sud de Beyrouth, le secrétaire général du Hezbollah a ainsi prouvé au monde entier qu'il a non seulement battu Israël, mais que son parti est plus que jamais prêt à libérer ce qui reste du Liban occupé. La réapparition triomphale de «Sayed Hassan», vendredi dernier, au quartier de Jamous de la banlieue Sud de Beyrouth a mis fin aussi bien aux spéculations des responsables israéliens que de certains hommes politiques libanais. En effet, à la veille de la célébration de la victoire du Hezbollah, le premier ministre israélien, Ehud Olmert est monté au créneau pour affirmer que Nasrallah, caché dans des bunkers depuis la fin de la guerre du Liban, le restera toute sa vie. Idem pour Avni Bazner, ancien ambassadeur de France qui est passé sur la chaîne française LCI, jeudi dernier, pour dire la même chose. Ce qui n'est pas du tout de l'avis des dirigeants du mouvement libanais de résistance islamique. Interrogé dans ce sens par La Gazette du Maroc, cheikh Nabil Kaouk, s'est contenté de répondre sur un ton à la fois confiant et rassurant : «Assayed Hassan ne décevra pas Inchallah ni les familles des martyres ni les Libanais qui viendront par centaines de milliers pour célébrer cette victoire divine». Effectivement, Nasrallah était bien au rendez-vous, mettant encore une fois de plus les responsables israéliens en porte-à-faux. Ce, alors que la popularité du premier ministre israélien Olmert est au plus bas avec 7%, et celle de son ministre de la Défense, Amir Peretz, ne dépasse pas la barre de 1%. «Je ne pouvais accepter de m'adresser à vous via un écran» , a-t-il déclaré à la foule dont la moitié s'est rendu à pied de tout le Liban-Sud jusqu'au lieu du meeting. Ce qui prouve, contrairement aux analyses des Israéliens, Américains et de certains ministres européens qui ont visité récemment le Liban dans le cadre de la participation de leurs pays aux forces de la FINUL, que le Hezbollah, ne s'est pas affaibli ; et, qu'il s'est beaucoup renforcé après cette guerre. L'homme qui est plus que jamais dans le collimateur de l'Etat juif qui se sent humilié, a persisté et signé. Ce, en délivrant une série de messages qui ne manquent ni de courage ni de défi. Deux de ces «missives» n'ont jamais été formulées auparavant. Il s'agit de l'armement du Hezbollah qui «n'est pas destiné à durer éternellement» ; mais il sera maintenu aussi longtemps que les «causes» dont il n'est que «l'effet» n'auront pas été éliminées. A savoir : l'occupation israélienne des fermes de Chabaâ et des dunes de Kfar Chouba, la détention de Libanais prisonniers en Israël, le détournement par l'Etat juif des eaux des fleuves libanais, Ouazzani et Hasbani et les agressions quotidiennes contre la souveraineté du Liban aux yeux de la FINUL New-look. En dépit de ce message considéré par certains observateurs comme étant positif, Nasrallah a néanmoins exclu de «remettre les armes au pouvoir actuel au Liban, car ce serait maintenir le Liban à découvert face à Israël». C'est le fond du deuxième message adressé à la Communauté internationale qui croit que l'actuel Exécutif conduit par le premier ministre, Fouad Sanioura, sera capable de diriger le pays dans de pareilles circonstances. Ce qui implique la formation d'un gouvernement d'Union nationale. Ce dernier serait, le cas échéant, apte à donner naissance à un «Etat fort, résistant et juste» qui pourra redonner confiance à la population et reconstruire le Liban. De ce fait, et d'après Nasrallah, les armes du Hezbollah seront alors liées à cet Etat. Le secrétaire général du Hezbollah a toutefois répété dans son discours que son parti ne sera guère responsable des garanties sécuritaires données par l'ONU. Surtout que depuis l'arrêt des hostilités et l'implantation des 5000 soldats de la FINUL, de la présence des dizaines de navires de guerre dans les eaux territorialement libanaises, les Israéliens violent chaque jour la souveraineté du pays du Cèdre. C'est d'ailleurs, pour cette raison, que le président français, Jacques Chirac, tient à répéter devant ses visiteurs arabes dont le dernier en date, l'ancien premier ministre palestinien, Ahmed Qoreih, que la situation sécuritaire au Sud-Liban demeure fragile. Patriotisme et vigilance En appelant les Libanais, ses partisans en premier, à éviter les polémiques, Nasrallah a insisté à mettre désormais en garde contre toute exploitation à des fins communautaires des profondes divisions actuelles qui empoisonnent le climat politique. Message qui a eu de suite des échos favorables. Dans ce contexte, les proches collaborateurs du premier ministre, Fouad Sanioura, l'ont qualifié de «positif et constructif». Toutefois, il faut attendre maintenant la réaction des forces politiques dites du «14 Mars», représentant la majorité au pouvoir. En tout état de cause, la réapparition de Nasrallah défiant les Israéliens et les messages ciblés qu'il a adressé à qui de droit sur les plans international, régional et interne, a été un triomphe par excellence. Ce que la majorité des analystes politiques et des médias s'est accordée à confirmer. Les médias occidentaux aussi bien anglo-saxon que latin, le quotidien français Le Monde, en tête, ont titré sur leur première page par la manchette suivante : «Nasrallah triomphe à Beyrouth». Ce n'est pas donc par amour pour ce parti qu'ils avaient qualifié tout le long de la guerre du Liban comme étant un mouvement terroriste que ces médias parlent aujourd'hui objectivement. Mais parce que les réalités du terrain parlent d'elles-mêmes ; et qu'il est difficile de les masquer comme cela a été le cas lors des combats aux frontières israélo-libanaises durant un peu plus d'un mois. Nasrallah, qui n'a pas ménagé dans son discours les dirigeants arabes qui préfèrent leurs «trônes sur la souveraineté de leurs pays et les intérêts de leurs peuples» a affirmé que son parti détient «plus de 20 000 roquettes» et que la guerre n'a fait que renforcer ses combattants. Sayed Hassan est allé encore plus loin dans sa mise en garde en disant que «le blocus maritime, aérien et terrestre n'affaiblira pas la volonté de la résistance ni son armement», faisant allusion par là, à quelques déclarations émanant de certains responsables occidentaux qui menaçaient le Hezbollah à travers leur présence au sein de la Force intérimaire des Nations Unies. Message reçu cinq sur cinq, estiment les observateurs à Beyrouth. Notamment, après la démonstration de force du vendredi dernier qui est venue jeter à l'eau toutes les évaluations faites jusqu'ici par leurs services aussi bien diplomatiques que sécuritaires. Les Etats qui avaient participé à la force onusienne doivent maintenant compter jusqu'à 100 avant de tenter de s'ingérer dans les affaires internes libanaises, en se basant sur les informations émanant de certains membres de la majorité actuelle loin d'être représentative de tout le peuple libanais. Il suffit de constater qu'un peu moins de la moitié de ceux qui ont participé à la célébration de la victoire du Hezbollah sont venus du Sud-Liban ; plus particulièrement des villes et des villages frontaliers où se sont positionnées les forces de la Finul. Le discours de Nasrallah à l'égard de ceux qui véhiculent l'idée de désarmer son parti a été qualifié de «déclaration de guerre». Il rappela ainsi les casques bleues de l'ONU que leur mandat consiste «à appuyer l'armée libanaise et non espionner le Hezbollah», ni se «laisser entraîner par certains dans un conflit avec la résistance ou à s'ingérer dans lesc affaires intérieures libanaises » Allusion faite au leader druze Walid Joumblat et Saâd Rafic Hariri, qui critiquaient, d'une part, l'enlèvement des soldats israéliens qui a abouti à la destruction des infrastructures et d'une partie du Liban ; et, de l'autre, appelant au désarmement du Hezbollah. Celui-ci, d'après eux, devrait se plier aux exigences de l'Etat. Cet Etat qui, selon Nasrallah, n'est pas, à l'heure actuelle, en mesure de «protéger le Liban, ni de le reconstruire, ni de l'unifier». De ce fait, il réclama un gouvernement d'union nationale qui n'exclurait personne ; et à qui reviendrait la tâche de créer un «Etat fort, résistant et juste». Nouvelle étape Le rassemblement du vendredi dernier est considéré par les observateurs comme étant une nouvelle étape qui se répercutera sans doute sur les rapports de force existant au Liban. Les paris de la majorité au pouvoir, soutenue, notamment, jusque-là, par les Etats-Unis et la France se sont avérés aujourd'hui inconcevables. La détermination aussi bien politique que militaire du Hezbollah, à laquelle s'ajoute l'énorme capacité de mobilisation populaire, devra inciter toutes les parties concernées par l'avenir du Liban de réviser leurs évaluations, leurs positions voire leurs objectifs. De ce fait, il serait indispensable pour les joueurs internes de composer, bon gré mal gré, avec ce mouvement qui, d'un côté, tend sa main à ses contestataires ; et, de l'autre, met sur les rails ses revendications. Si ces derniers déclinent la proposition du Hezbollah, ils seront alors responsables de tous les dérapages engendrés, y compris le risque de frôler à nouveau la guerre civile. Dans tous les cas de figure, les forces du 14 Mars dont chacune des composantes a des objectifs nuancés voire contradictoires lorsqu'ils touchent l'essentiel ; en d'autres termes, les privilèges communautaires et les intérêts personnels, ne feront le poids que si le conflit prend un tournant plutôt dangereux. Les erreurs commises jusque-là par le gouvernement en place, notamment sur le plan socio-économique, qui se sont aggravées avec l'échec cuisant enregistré par le retard du processus de reconstruction et d'indemnités aux familles déplacés, faciliteront la tâche au Hezbollah et à ses alliés politiques de l'opposition de faire tomber dans la rue le gouvernement de Fouad Sanioura. Le fait de dire que lui-même, cette fois, ne pourra plus laisser passer les critiques virulentes envers son parti ; celles-ci, qui avaient dépassé toutes les limites, Nasrallah a voulu faire comprendre à certains symboles des forces du 14 Mars, que le temps de la tolérance est révolu ; et que chacun de ceux qui osent franchir les lignes rouges devra assumer dorénavant ses responsabilités. Ce qui affirme qu'une nouvelle étape a déjà commencé ; et qu'il faut que toutes les parties en question soient désormais consients du changement de la donne. Et, surtout, qu'ils comprennent, une fois pour toute, que ni les Etats-Unis, ni la France seront prêts à payer le prix à leur place. Dans ce contexte, on apprend de sources concordantes à Paris, Beyrouth et Damas, que des contacts indirects ont été pris avec le Hezbollah portant sur l'échange des prisonniers avec Israël ; et sur les modalités concernant l'appel de ce dernier à la formation d'un gouvernement d'union nationale. Le rassemblement du vendredi dernier dans la banlieue Sud de Beyrouth est une preuve tangible que Hezbollah a non seulement gagné la guerre contre l'Etat hébreu, mais continue à le défier. Ce, au moment où sa classe politique et ses généraux s'enlisent dans une guéguerre sans précédent.