Driss Basri. Le nom est presque magique ; aujourd'hui encore. Il a toujours été un produit vendeur. Quand il était ministre d'Etat, parler de lui en bien générait des prébendes, en mal, une réputation de courage. Dans les deux cas, c'est rentable ; aujourd'hui encore. L'interview qu'il a accordée au “Journal Hebdomadaire” est, de ce fait, une bonne affaire, mais le contenu en grande partie fort malheureusement déçoit. En dehors de deux ou trois petites choses à retenir, on y reviendra, Driss Basri n'apporte sur sa personne, son rôle et son travail rien de plus que ce qu'on lui a déjà reconnu. Voici ce qu'on écrivait de lui dans “La Gazette” du 18 mars 1998 dans l'exercice de ses fonctions : “Par l'instinct et par l'acquis, [D. Basri] sait que l'information, c'est le pouvoir (…) dans cette acception où savoir c'est pouvoir. Le coût de l'anticipation est là : savoir tout avant les autres et de préférence mieux que tous les autres. C'est à ce prix là que la politique de prévention “de tout ce qui est de nature à troubler l'ordre public”… intègre l'urbanité. Driss Basri sait que toute action de police qui en arrive à la répression physique signe, d'une certaine manière, son échec. Récupérer, c'est toujours mieux. On peut résumer le ministre d'Etat à l'Intérieur : la gestion des élections, la gestion des régions, la gestion des communes, les impôts, les affaires sahariennes, les chômeurs diplômés, les émeutes, l'agriculture, le golf (…). Ce serait cependant réduire à sa caricature un travail de fond et plus profond. “La biographie des hommes politiques n'est pas encore un genre littéraire très couru au Maroc. Mais si l'on devait un jour faire celle de Driss Basri, on lui définirait [deux] escales. Le ministre d'Etat a été pour quelque chose dans la réintégration des forces politiques de l'opposition dans le jeu institutionnel qu'elles avaient quitté en 1965 après la proclamation de l'Etat d'exception. Il s'est employé à rendre aussi à l'administration et aux autorités publiques leurs attraits auprès des intellectuels qui répugnaient à les fréquenter. De cette manière, le pouvoir, de centrifuge est redevenu centripète. Cette force de séduction n'a plus eu de limite, si bien qu'à l'effort de débaucher les cadres de l'opposition et de l'université, s'est substitué l'effort des intellectuels d'être bien vus du makhzen (…) ”. “Le système Basri, puisque c'en est un, n'a, en fait, aucun secret : outre sa grande force de travail, le ministre d'Etat à l'Intérieur est un grand consommateur d'hommes dont il sait s'entourer et faire travailler jusqu'à l'usure - sans oublier de les récompenser-”. “Ces hommes constituent une bonne partie des “90 %”, de ceux qui n'ont pas, dit-il maintenant, le courage de démissionner de leurs responsabilités actuelles”. Comme si lui l'aurait fait si on ne l'avait pas prié de rendre le tablier. Du vent en conséquence ? Pas entièrement. L'interview nous apporte quelques éclairages neufs sur l'homme dont l'entretien se distingue par deux ou trois petites nouveautés: l'ancien ministre d'Etat à l'intérieur n'accole plus, ce qu'il faisait auparavant avec tant de zèle, la révérencieuse Majesté au nom des souverains Hassan II et Mohammed VI. Evoque pour la première fois le rôle de l'armée dans la répression. Et de “paratonnerre” du système et sa “femme de ménage”, il transforme sa tentation de noyer le passif de son œuvre dans la rubrique de “la responsabilité de tout un régime” en tentative. Le reste se réduit à “tout est clair, je ne vous dirai pas plus”, “ce n'est pas si simple” et autre “comprenne qui voudra”. Sauf une fois, lorsque dans la question des journalistes, l'officiellement accident du général Dlimi devient “assassinat”. La réponse de Driss Basri est une non-réponse qui en est une tout de même : “Je ne réponds pas à cette question”, dit-il. Qui ne dit mot, consent ? Plausible et fort possible, mais ce n'est pas assez et beaucoup en même temps. Pas assez pour qu'on sache vraiment et assez pour laisser nos imaginations vagabonder. A mots couverts, l'ancien ministre nous met à mi-chemin de ce qu'il peut dire et ne dis pas encore. Si bien que les maîtres-mots de son discours donnent l'impression de préfigurer un autre maître dont les cordes vocales, pas nécessairement mélodieuses, peuvent mener loin.