L'idée que le clonage existe est acceptée. L'idée que la guerre en Irak aura lieu est acceptée. Qu'elles soient pour ou contre, les opinions publiques ne spéculent plus que sur la date. La deuxième moitié du siècle dernier a été marquée sans conteste par le développement fulgurant de ce phénomène qu'il est convenu d'appeler la communication. Cela va de la promotion d'un produit inutile à l'instillation dans les esprits de la fatalité d'une guerre. Ainsi, l'individu peut être amené à abdiquer sa liberté. On en veut pour preuve l'exemple courant des gens qui sollicitent un organisme pour dépenser modérément à leur place, se jugeant incapables de gérer leur propre liberté. Communiquez, communiquez, il en restera toujours quelque chose. Ceux qui exercent un métier public le savent, et s'ingénient à faire parler d'eux le plus souvent, même en mal. La conspiration du bruit dont parlait Jean Cocteau il y a longtemps est leur moyen d'existence. C'est le cas du guru d'une secte française installée en Floride, par ailleurs immensément riche. Les adeptes sont toujours très généreux. Depuis quelques temps, cette secte a ouvert ses installations aux médias occidentaux qui ne se sont pas fait prier, friands qu'ils sont d'exotisme, à l'image du public qu'ils ont fabriqué. La philosophie de cette secte est que l'être humain doit sa naissance au clonage. Philosophie reçue avec des ricanements, mais reçue quand même. Le terrain étant préparé, la présidente sectaire pouvait convoquer le 25 décembre dernier la presse américaine pour lui annoncer que la veille, le 24, était née une petite fille issue d'un clonage et prénommée Eve. C'eût été un garçon, il aurait été baptisé Adam. Une nouvelle vie va s'offrir au genre humain. Aussitôt, la nouvelle a été répercutée aux quatre coins du monde. A voir la tête de cette présidente, on a frémi à l'idée que la cellule aurait pu être prélevée sur sa personne. On se demande pourquoi la première expérience a porté sur une fille et non un garçon. La polémique n'a pas eu lieu mais elle est probable. On imagine les empoignades futures sur le point de savoir qui d'Adam ou Eve a habité la terre en premier. Cela pour ceux qui ne se sont pas fait une religion. D'autre part, une autre question s'impose, liée à la première, c'est de savoir comment se comportera la nouvelle Eve à la saison des amours. Est-ce qu'entre temps un Adam cloné aura été mis en circulation ? Attirés l'un par l'autre, c'est facilement qu'ils trouveraient une pomme, sauf que le paradis n'est pas américain. En terre d'Islam, tout cela n'est que fumisterie, à juste titre. Cela n'empêche pas de s'interroger sur les autres, et d'imaginer les questions qu'ils peuvent se poser. La philosophie de cette secte est qu'à l'origine des extraterrestres s'étaient posé sur terre pour y cloner des humains. Justement, à l'origine, où diable ont-ils pu dénicher des cellules humaines ? Si le prélèvement a été fait sur des singes, on comprend pourquoi l'homme est un loup pour ses semblables. Si on a bien compris la philosophie de cette secte, les extraterrestres s'étant retiré de la terre, il ne restait plus aux hommes et aux femmes qu'à s'aimer pour se cloner et préserver l'espèce. Du reste, dès qu'un nouveau-né voit le jour, on dit toujours aux parents que c'est le portrait craché de son père ou de sa mère, cela dépend. Pourquoi craché, le mystère restera entier. Il est intéressant de noter que le célèbre guru est un chaud lapin qui adore les jolies adeptes. Ainsi donc, après avoir commis leur méfait, les extraterrestres s'étaient prudemment retirés, probablement sur la face cachée de la lune, car la face éclairée allait fasciner les hommes au point d'y alunir, quelques millénaires plus tard. Les Américains ont été les premiers à y planter leur bannière étoilée. Cela avait donné lieu à une gigantesque campagne de communication couvrant toute la planète –la mondialisation pointait déjà le nez- et pour peu qu'on disposât d'un téléviseur, on pouvait admirer en direct l'alunissage et le drapeau américain qui claquait au vent, sur un astre où l'atmosphère n'existe pas. Ce n'est que des dizaines d'années plus tard que des scientifiques se posent la question. Peut-être qu'à la hampe du drapeau était intégrée une soufflerie miniature. Etant toujours dans la lune, on ne peut témoigner. Sauf que la campagne de communication avait été parfaite. Il s'avère que c'est Stanley Kubrick (2001, Odyssée de l'espace) qui avait réalisé en studio la fin du reportage donné pour du direct. Depuis de nombreux mois une autre campagne de communication encore plus gigantesque est engagée par les Etats-Unis. Il s'agit de familiariser le monde entier avec l'idée de la prochaine guerre contre l'Irak. Walker Bush est évidemment le commanditaire. Les visées réelles américaines sont connues, mais la Maison-Blanche a ferré les opinions publiques occidentales. Le président américain affirme détenir les preuves que l'Irak dispose d'armes de destruction massive. Il refuse cependant de communiquer ces “preuves” à l'opinion internationale, pas plus que la secte des cloneurs ne fournit la preuve de la naissance par clonage. Dans les deux cas, l'essentiel est que tout le monde soit atteint par la communication. C'est fait. L'idée que le clonage existe est acceptée. L'idée que la guerre contre l'Irak aura lieu est acceptée. Qu'elles soient pour ou contre, les opinions publiques ne spéculent plus que sur la date. Même éveillé, on peut se retrouver pris dans les filets de la communication, ce totalitarisme insidieux, qui impose les vessies pour des lanternes.