Festival d'Asilah Asilah est un miracle de la modernité. Il y a un quart de siècle, elle était tapie hors du temps, dans un autre âge. Aujourd'hui, elle imprime son cachet de ville résolument ouverte sur le monde. Un carrefour culturel, un brassage humain de tous les horizons, le temps d'un festival qui fait désormais partie de l'éternité de la citadelle. On gardera pour longtemps en mémoire ce dialogue entre le Monde arabe et les Etats-Unis d'Amérique, l'un des thèmes majeurs de l'édition 2004 du moussem d'Asilah. Des deux bords, un foisonnement de points de vue sur la réalité du monde. Une analyse dépassionnée sur les clivages. Une approche, des approches pour la construction d'un échange entre deux modes de vie et de pensées qui, au-delà des antagonismes, pourraient bâtir des ponts de dialogue. Du chemin encore… à parcourir Et le dialogue est ici partie prenante de la vie des «Zwalech». Ils en ont fait une deuxième nature qui fait pendant à une aisance toute nordique. Finalement, ce sont là deux combinaisons de deux natures profondément enracinées dans leur entourage. D'un côté l'homme du Nord qui troque sa nonchalance pour d'autres exercices mentaux, de l'autre une atmosphère de réflexion qui tire vers elle toute une panoplie humaine, férue d'échanges. Le Zaïlachi n'a pas le complexe de l'autre. Il a vu en plus d'un quart de siècle défiler les grands noms de ce monde. Artistes, hommes de lettres, figures politiques… Il leur parle, les aborde dans un jeu égal de découverte et d'exploration des richesses de l'autre. On comprend aisément à sillonner les venelles de la citadelle que feu Hassan II ait dit d'elle qu'il fallait «laisser Asilah ouverte comme un coin dans le jardin de Hyde Park à Londres» ! Chacun y tient sa chaire, le temps d'un discours, d'un point de vue. Un parfait cheminement vers la démocratie mentale. Et Asilah a vu le temps passer avec cette acuité propre aux villes éclairées. Il est loin le temps des balbutiements d'une fête urbaine en marge du brouhaha des grandes métropoles. Loin aussi l'incertitude de l'avenir puisque la pérennité a été dévoilée chaque année, sous des manifestations inoubliables.“Lorsque nous avions commencé le projet du Moussem culturel d'Asilah en 1978, souligne Mohamed Benaïssa, maire de la ville et fondateur de l'événement, il n'y avait même pas d'électricité suffisante, ni d'eau potable, il n'y avait pas de pharmacie, ni de port de pêche et même pas un télex à la poste... Il n'y avait évidemment pas d'hôtels à l'époque dans la ville. Aujourd'hui, Asilah est dotée de petites infrastructures d'accueil. Je pense d'ailleurs que la réussite de ce projet se reflète dans l'infrastructure de la ville, particulièrement culturelle. Dans ce domaine, l'idéal que l'on peut trouver dans une cité existe aujourd'hui à Asilah : le Centre Hassan II des Rencontres internationales, le Palais de la Culture, la Bibliothèque Bandar Ibn Soltane. Ceci est à mes yeux essentiel. Evidemment, il reste beaucoup de choses à faire. Cela coûte d'ailleurs cher au Festival de faire habiter les participants à Tanger. Nous espérons, chemin faisant, que les investisseurs viendront construire une autre infrastructure, notamment hôtelière, nécessaire pour la ville». Aujourd'hui, les jalons du futur sont mobiles. Le rêve a pris le temps de grandir. Asilah est entrée de plain-pied dans l'éternité. Les saisons du cœur À Asilah, il y a une seule saison. Celle du cœur, mêlé à l'esprit. Asilah, ville littéraire avec des imaginaires vastes puisant leur force chez un Tayeb Salah, Salah Niazi, Kassem Haddad, un Mohamed Zafzaf ou encore un autre « nordique » Mohamed Choukri. Azilah c'est le sanctuaire des poètes du monde. On entend encore les échos de cet hommage rendu, il y a un an à Pablo Neruda. Les lieux inspirent cette clarté de la pensée, une certaine sérénité créatrice. Entre la crique et le fleuve, il y a dans les dédalles de la cité une présence tutélaire, comme un vœu secret pour les belles choses. On y est un peu à côté du temps qui s'écoule. À Asilah, on pourrait gagner pour peu qu'on s'y laisse aller, quelques minutes de bonheur en plus sur le passage des jours. La ville offre le bonheur à chacun selon ses dispositions mentales. On pourrait oublier les contingences de l'être à travers la blancheur des murs. On y traverse des univers imaginaires, on y embrasse du regard les rêves secrets des artistes, on y aime son humanité. La mer, gardienne des lieux, veille sur ce mystère. Et comme à chaque moussem, elle fait sa récolte et la mélange au sable pour toujours. Avec cette promesse que demain est déjà ici, parmi nous, en éclaireur. Une place africaine…désormais Asilah, c'est des dates à retenir, qui font leur entrée dans l'histoire. C'était le cas avec les rencontres sous le thème de "L'Afrique et les espoirs perdus". Un événement capital pour revoir la géopolitique mondiale actuelle. C'était l'un des colloques les plus marquants de l'année 2004. Les participants ont tenu à préciser qu'il y a toujours une place pour le rêve au sein d'une famille africaine qui se doit de reposer la question de son développement, de sa démocratisation, de son essor économique et social sans se laisser berner par les discours défaitistes souvent le cru de forces malveillantes qui veulent tuer l'espoir et l'ambition chez les Africains. Les paroles passionnées et très justes du ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidjiane Gadio mettent fin à la discorde et au désordre des pensées : "nous ne sommes pas des afro-pessimistes, mais des afro-inconditionnels (…) Nous aimons l'Afrique dans sa stature majestueuse du temps de l'Egypte pharaonique, d'authentiques Africains du continent ont bâti des pyramides à la gloire de l'éternité... nous aimons l'Afrique qui a souffert de l'agression européenne et qui, après avoir connu l'apogée au Moyen- âge alors que l'Europe vivait encore certaines formes de barbarie historiquement attestées, était devenue vulnérable de par son déclin. Nous aimons l'Afrique qui a survécu à l'esclavage, un vrai crime contre l'humanité dont les livres de comptabilité attendent d'être complétés. Nous admirons l'Afrique qui a survécu au colonialisme et à ses méfaits. Nous admirons l'Afrique post-coloniale, malgré les errements dans la recherche effrénée de l'Unité fédérale et de la renaissance multiforme". Les participants au colloque sur “l'Afrique et les espoirs perdus” ont convenu d'initier la création d'un institut panafricain de la Culture et de Développement qui aurait pour siège la ville d'Asilah. Ils ont envoyé dans ce sens un message à S.M. le Roi Mohammed VI. Ces intellectuels veulent cet institut ouvert toute l'année pour que l'élite africaine, mais aussi politique du continent puissent s'y rencontrer de temps en temps et débattre des questions qui les préoccupent, étudier et examiner les différents problèmes que rencontre aujourd'hui l'Afrique.