En cette mi-juillet, la médina de Fès semble baignée d'une ferveur singulière. Entre les ruelles séculaires de la vieille ville, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, résonnent des salutations en wolof, en peul et en bambara. Ce vendredi 11 juillet, la capitale spirituelle du Royaume a accueilli, presque quotidiennement dans l'année, des dizaines de fidèles venus du Sénégal, du Mali et de Guinée, pour accomplir un pèlerinage qui, pour eux, revêt une signification profonde : celui vers la zawiya du saint soufi Cheikh Ahmed Tijani, fondateur de la confrérie Tîjaniya, enterré à Fès. Reportage. La présence de ces pèlerins, discrets mais fervents, illustre l'attachement immuable entre le Maroc et les sociétés ouest-africaines, tissé par les routes spirituelles et la mémoire soufie partagée. Si les ressortissants d'Afrique subsaharienne se pressent à Fès, ce n'est pas seulement pour une quête religieuse, mais aussi pour honorer une filiation doctrinale qui transcende les frontières. « Les Marocains sont accueillants, simples, et toujours prêts à rendre service », glisse sereinement un pèlerin sénégalais, croisé à proximité de la mosquée Cheikh Ahmed Tijani. Originaire de Kaolack, bastion de la Tîjaniya au Sénégal, il explique faire ce voyage au moins une fois dans sa vie. « C'est ici que repose notre guide. Il est le petit-fils du Prophète, et Fès est sa ville. Venir, c'est renouer avec notre spiritualité. » Ce sentiment est partagé par des pèlerins maliens et guinéens rencontrés lors de cette visite. Tous saluent non seulement l'importance symbolique du site, mais aussi l'accueil réservé par les habitants de Fès : une disponibilité bienveillante, marquée par un respect instinctif des visiteurs ouest africains. Certains évoquent des hôtes qui leur la facilite à se repérer et se faire aider, y compris sans parler arabe. Lire aussi : La Chine et l'ASEAN finalisent les négociations sur la modernisation de leur zone de libre-échange Loin des stéréotypes, cette hospitalité n'est pas superficielle. Elle s'inscrit dans une longue tradition d'échanges religieux, culturels et humains qui remontent à plusieurs siècles, à l'époque où les érudits ouest-africains venaient étudier à l'université Al Quaraouiyine, et où les caravaniers sahéliens faisaient escale à Fès, carrefour du savoir islamique. La zawiya de Cheikh Ahmed Tijani, située au cœur de la médina, reste un lieu de pèlerinage central pour des millions de fidèles à travers le continent. Cheikh Ahmed Tijani, né en 1737 en Algérie, s'est établi à Fès où il a fondé la confrérie qui allait connaître une expansion remarquable vers le sud, jusqu'au fleuve Sénégal, au Niger et en Guinée. Aujourd'hui encore, Fès continue de rayonner comme un centre de référence spirituelle. Pour les Tîjanes d'Afrique de l'Ouest, visiter la zawiya, réciter les litanies dans la mosquée attenante, se recueillir devant le mausolée, revêt une valeur initiatique. Et cette centralité religieuse nourrit un soft power discret mais puissant du Maroc en Afrique subsaharienne. Un levier diplomatique assumé Le Royaume n'a jamais cessé de valoriser cette diplomatie spirituelle, qui complète sa politique africaine. Sous l'impulsion de SM le Roi Mohammed VI, descendant du Prophète et Commandeur des croyants, le Maroc s'est positionné comme un acteur de référence dans la formation des imams, le dialogue interreligieux et la promotion d'un islam du juste milieu. Des centres de formation pour imams africains ont été créés à Rabat et Fès, accueillant chaque année des dizaines de futurs cadres religieux du Sahel, sélectionnés en concertation avec leurs Etats respectifs. À cette présence institutionnelle s'ajoute une dimension humaine, vécue sur le terrain : la piété partagée, la langue du Coran et les rites communs unissent les fidèles bien au-delà des considérations géopolitiques. Les visiteurs rencontrés à Fès le confirment : au-delà du pèlerinage, le Maroc attire pour sa stabilité, sa tolérance religieuse et son ancrage africain affirmé. « Nous nous sentons chez nous ici. Et tout le monde connaît Cheikh Ahmed Tijani, affirme un Guinéen venu de Conakry, qui décrit son séjour comme « une retraite spirituelle dans une ville bénie ». Ce sentiment est renforcé par les politiques marocaines d'intégration des étudiants africains, l'octroi de bourses d'études, et le développement de corridors religieux, commerciaux et académiques. Si Rabat et Dakar entretiennent depuis longtemps des relations solides, la dimension religieuse ajoute à cette proximité un socle affectif et populaire, difficilement réplicable par d'autres acteurs régionaux. La scène observée à Fès ces deux jours traduit bien plus qu'une simple tradition confrérique. Elle illustre une géographie affective entre le Maroc et l'Afrique de l'Ouest, où la spiritualité agit comme un ciment invisible des relations humaines. Elle montre aussi que la Tîjaniya, loin d'être un simple courant mystique, structure encore aujourd'hui des réseaux d'influence, des fidélités et des circulations de savoir entre les deux rives du Sahara. Au moment où plusieurs puissances étrangères cherchent à s'implanter ou à se repositionner en Afrique, le Maroc, lui, capitalise sur un héritage vivant, tissé de respect, d'éducation religieuse et de liens sincères. Fès, plus que jamais, en est le cœur battant.