La dernière lettre de conjoncture du CMC tombe à point nommé. Quelques jours seulement après que le FMI ait maintenu le bénéfice de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) pour le royaume -décision motivée notamment par la récente mesure d'indexation des produits pétroliers- le Centre marocain de conjoncture revient dans son étude sur la réforme de la caisse de compensation. Le FMI, qui a salué la décision d'indexation, n'a pas manqué de relever que celle-ci devrait s'inscrire dans le cadre d'une réforme globale, une réforme qui, parmi tant d'autres, tarde à voir le jour. Pour le CMC, la caisse de compensation est devenue, en raison du montant de subvention qui a dépassé les 50 MMDH, le «bouc émissaire» du déficit public, qui a culminé à 7,5% en 2012 et que l'on espère ramener à 5,7% à la fin de 2013. C'est pourquoi le FMI appelle à cette réforme en priorité, faute de quoi il remettrait en cause la facilité accordée au Maroc par le biais de la LPL. Dans ce contexte, le CMC, tout en critiquant les mesures de réformes déployées jusqu'ici, tente d'apporter son propre éclairage pour trouver des solutions viables. Pour l'observatoire privé de l'économie marocaine, le temps presse, et une vraie réforme doit être opérée au plus vite: «une réforme générale devient urgente afin d'ancrer les bonnes anticipations sur l'évolution future des prix des produits pétroliers, d'appréhender les mutations en cours au niveau des systèmes de consommation et de production et de rendre le système fiscal national plus re-distributif en ciblant les populations nécessiteuses». Ce lourd chantier s'est accompagné jusqu'ici d'une «démarche gouvernementale peu engagée». Le CMC revient notamment sur la décision de hausse des prix du carburant décidée en 2012. Il estime que «les mesures prises ont pour seul objectif d'inclure dans les prix finaux à la pompe le différentiel au niveau des conditions d'achat des produits pétroliers sur le marché international, sans pour autant remettre à plat toute la structure du système de compensation». En outre, cette réforme de tarification n'a été précédée d'aucune annonce offrant aux agents économiques le temps de s'adapter et d'amortir le choc. Cette tendance se poursuit aujourd'hui, donnant l'impression que le gouvernement navigue sans boussole en eaux troubles. «À ce jour, aucune trajectoire sur l'évolution des prix du pétrole n'a été donnée», souligne le CMC. Cette situation ne permet pas aux opérateurs de se préparer à cette nouvelle ère, caractérisée par un pétrole cher, par la promotion d'un nouveau modèle de production et de consommation basé sur des ressources alternatives. L'avis du CMC est tranché: «jusqu'ici, la réforme s'apparente plutôt à un choc exogène qu'à une réforme structurelle bien réfléchie, dont l'objectif est une réallocation optimale des ressources et une mobilisation des potentialités locales». Autrement dit, cette réforme reste confinée à un esprit purement comptable et budgétaire qui limite largement son rôle incitatif, consistant à infléchir les comportements. Le CMC demande également plus d'audace, avançant que l'ère du pétrole bon marché fluctuant autour de 20 dollars le baril est derrière nous. Pour sa vision concernant la réforme, le CMC estime que l'objectif d'une tarification régulée des prix des produits pétroliers devrait être d'assurer la stabilité des prix en lissant à court terme les fluctuations de ses composantes variables. Sur un plan macroéconomique, le but serait de maintenir le pouvoir d'achat des ménages et de soutenir les coûts de production des entreprises ouvertes à la concurrence internationale. «À moyen et long terme, la politique de tarification devrait inclure progressivement les grandes tendances qui se dessinent sur le marché mondial de la ressource et encourager les mutations au niveau des comportements de production et de consommation». Gare aux faux pas ! Le CMC ne se fait pas d'illusion, la réforme de la compensation est à manipuler avec beaucoup d'habilité et de dextérité. Certains éléments sensibles sont à recadrer avec prudence. C'est le cas notamment du pouvoir d'achat, qui «ne peut être réduit à une obole, même si elle soutient les populations les plus démunies», souligne l'observatoire. Son maintien à un niveau qui favorise l'accès aux biens et services permet d'entretenir la dynamique économique entre la sphère productive et le marché, ce qui a, notamment, un impact direct sur le marché de l'emploi. Ce n'est pas tout: le CMC estime que la mise en place d'un volume important de monnaie au profit de plus de huit millions de consommateurs créera une demande solvable, orientée vers de nouveaux besoins, autres que ceux préalablement subventionnés. Ceci contribuera, selon les prévision du centre, à alimenter la spirale inflationniste qui ne manquera pas de s'enclencher sous l'effet de la libéralisation des produits pétroliers. Le CMC met également en garde contre la mise en place du mécanisme consistant à adopter la vérité des prix, de manière progressive, en subventionnant les consommateurs les plus démunis. Pour les experts, ce système repose sur un simple transfert qui induit une distorsion susceptible d'engendrer une paupérisation tout aussi progressive de la classe moyenne, particulièrement celle vivant à la frontière de la précarité et qui serait exclue du ciblage. Cela aura un impact important sur la capacité de ces ménages à épargner et à s'endetter pour des besoins d'équipement. Le danger réside dans le fait que cela pourrait conduire à une réduction du taux d'investissement global et à un affaiblissement de la croissance. Du côté des entreprises, la spirale inflationniste attendue risque d'«hypothéquer» la compétitivité. Le pays se retrouvera ainsi dans un processus d'enchérissement des produits nationaux qui favorise l'importation et pénalise les exportations. Enfin, une inflation plus forte que celle de nos principaux partenaires ne manquera pas de mettre en péril l'équilibre de la balance commerciale, déjà fort malmenée par un lourd déficit. Le ciblage, un exercice périlleux S'il y a une constante dans la vision du gouvernement concernant la réforme de la compensation, c'est bien celle des avantages du système de ciblage des catégories nécessiteuses. À en croire les prévisions, cela permettra de ramener les charges de compensation, qui ont culminé à 6,8% du PIB en 2012, à des niveaux plus acceptables. Selon l'étendue du ciblage, ces gains pourront se traduire par une réduction des dépenses de compensation pour atteindre 0,7% du PIB. Bien que confirmant ces prévisions, le CMC met en garde sur les inconvénients d'une telle démarche. Le premier tient à la nature même des subventions qui, pour plus de la moitié, bénéficient directement non pas aux ménages, mais au système productif. Cet élément est à prendre en compte, sachant que le système de compensation s'est également fixé pour objectif de soutenir l'activité économique. Par conséquent, une bonne partie des subventions appliquées aux produits pétroliers contribue à alléger les coûts de production, et donc à soutenir la compétitivité. Pour l'observatoire présidé par Habib El Malki, «la suppression d'un tel soutien se traduirait de toute façon par une hausse des coûts pouvant atteindre selon les secteurs des taux variant entre 7 et 12 %». Pour le CMC, même dans le cas d'une mise en œuvre progressive de cette «décompensation», les effets seront néfastes sur l'économie. Autre souci, ce système de ciblage des allocations présente également des difficultés au niveau pratique des transferts aux ménages, et plus particulièrement au niveau des opérations d'identification des populations nécessiteuses. «Quels que soient les critères retenus pour la sélection des bénéficiaires potentiels, la mise en application de ces critères nécessite, sur le plan opérationnel, l'élaboration d'une base de données étendue et complexe ainsi que la mobilisation de toute un appareil administratif pour la gestion du dispositif», prévient le CMC. En outre, les changements continus de l'environnement socio-économique nécessitent un suivi régulier dudit dispositif pour l'actualisation des données, ce qui ne risque pas d'être évident. Au regard de ces obstacles, le CMC préconise de maintenir le système de compensation tout en cherchant à récupérer une partie des charges incombant à l'Etat, à travers la TVA sur les produits de consommation des catégories les plus aisées. «Cette voie de réforme a l'avantage de dépasser tous les inconvénients du ciblage tout en cherchant à intégrer la réforme de la compensation dans un cadre plus général, celui de la réforme fiscale», ajoute le CMC qui considère cet impôt comme «le prélèvement le plus indiqué pour supporter, au moins en partie, les charges de la compensation». L'impératif de redistribution impose toutefois qu'un tel prélèvement porte sur les produits de consommation finale des catégories de population les plus aisées.