Dans une série de travaux intitulée ‘'L'œuvre au noir''— exposée à partir de jeudi soir à la Galerie 38 à Casablanca —, l'artiste plasticienne Fatiha Zemmouri jongle subtilement entre noirceur apaisante, ambivalence organique et luminosité à la manière d'un artisan-thérapeute. L'artiste plasticienne Fatiha Zemmouri voue un goût prononcé à la matière qu'elle façonne, polit, tord, durcit et transforme, avant de la mouler dans une noirceur onirique baignant dans l'apaisement. Dans « L'œuvre au noir », exposition visible dès jeudi soir à Casablanca à la galerie 38, l'artiste pose le noir comme socle et nous invite à une forme d'élévation. Pensées comme un espace vide à la composition épurée, où le dépouillement chemine vers un subtil enchevêtrement artisanal, ses œuvres font office de catalyseurs spirituels. En maniant les matériaux bruts, elle tente de tordre les plis et replis du mental, tout en déconstruisant les images du vécu. Quatre matières sont omniprésentes dans son exposition : le charbon, la céramique, le bois calciné et le fil. Le noir domine la démarche, il est le point de départ et l'aboutissement. « En alchimie, l'œuvre noire est la première étape de la purification. La matière, quelle qu'elle soit, passe par le feu et devient », explique-t-elle. Fascinant, le charbon s'amoncelle dans les recoins de ses toiles, comme un âtre embrasé par le soleil. Selon elle, « le charbon, dans son noir, attire la lumière, et recèle un coté sombre et lumineux à la fois. C'est une matière chaude qui conserve le feu et va au-delà du noir. Il n'est pas noir mais en nuances de gris, et accroche magnifiquement la lumière». « à la base, on rêve sa pièce ; puis on la réalise telle qu'on l'a pensée, et les choses se passent instinctivement. » Fatiha Zemmouri Les œuvres en céramique donnent une impression d'ouverture où la matière finit par s'échapper et s'évader. Conçue dans un espace vide et « silencieux », la matière tend vers l'air libre, vers une autre forme organique, vers des brèches salutaires. « Ce qui est intéressant dans la céramique, ce sont les éléments : la terre, l'eau, le feu et l'air. Mélangée avec de l'eau, elle devient malléable ; puis chauffée à 1 000 degrés, elle est tordue au séchage », explique-t-elle. Jonglant entre décomposition spatiale et déstructuration mentale, la matière est tantôt poncée et paisible, tantôt contorsionnée. Déconstruction acharnée Le fil, noir lui aussi, est sujet à un travail de déconstruction acharné. « Je pars d'une grande masse noire de fils imbriqués que je défais et que j'effeuille comme pour déconstruire les expériences qu'on accumule. C'est comme une envie d'avancer et de m'élancer, comme pour dire que les choses de la vie n'ont que l'importance qu'on leur donne. Cette masse imbriquée, je la laisse respirer et vivre sa vie. » Le bois calciné, travaillé de la même manière, dans une décomposition spatiale libre et oxygénée, est lui aussi coupé et trituré, puis sublimé. Plus fastidieux que d'autres matériaux, il est flambé puis éteint avec de l'eau, d'où la teinte noire. Flux et reflux Est-ce donc l'art qui est au service de la transformation spirituelle ou l'inverse ? « Qu'importe, c'est un flux et un reflux », répond-t-elle. « à la base, on rêve sa pièce, puis on la réalise telle qu'on l'a pensée, et les choses se passent instinctivement. » Portée auparavant sur la peinture, expression abstraite et acharnée, aujourd'hui elle fusionne totalement avec la matière. « Il y a moins de simplicité dans la peinture que dans le travail sur la matière. Dans la peinture, j'ai du mal à m'arrêter et je pousse toujours plus loin ; alors qu'avec la matière, je parviens à créer un dépouillement qui me paraît plus intéressant. » Fatiha Zemmouri façonne la matière depuis son plus jeune âge, où elle approchait la cire et le métal pour créer des bougies de toutes formes. L'artiste traite la matière comme un ingénieur et anticipe ses réactions. « J'ai fait les Beaux-Arts à Casablanca, mais j'ai vite été déçue vu qu'on était souvent livrés à nous-mêmes. Mon apprentissage était plus personnel qu'autre chose, et j'ai appris sur le tas, surtout en puisant dans les livres », déclare-t-elle. Dans « L'œuvre au noir » l'alchimie prime. L'appel à la transformation interne et l'évolution de l'être se placent au centre de la réflexion. « L'homme travaille sur son cheminement. L'homme n'est pas fini », conclut-elle. « L'œuvre au blanc » serait-elle sa prochaine ambivalence, une autre forme d'entrecroisement entre matière et esprit ? La question reste ouverte. En attendant, laissez-vous porter par l'esthétique du noir. Pour une fois, la noirceur vous fera du bien.