À la fin du mois d'octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira pour aborder, une fois encore, la question du Sahara occidental marocain. Mais cette session ne sera pas une échéance comme les autres. Depuis l'adoption de la résolution 2756 en 2024, dans laquelle le Conseil se félicitait de «la dynamique récemment créée», les attentes se sont cristallisées autour d'un possible tournant : une rupture avec la routine du passé. Les Etats-Unis, à plusieurs reprises, ont appelé à l'ouverture de négociations sur l'autonomie, sans toutefois en préciser le cadre ni les participants. Deux scénarios s'esquissent alors. Le premier, vraisemblable : que le Conseil de sécurité, majoritairement acquis à l'option de l'autonomie, endosse cet appel dans des termes plus ou moins explicites, ouvrant la voie à des négociations selon un format encore à définir. Le second, moins probable mais non impossible : un simple «roll-over» de mandat prolongeant le statu quo, traduisant l'incapacité à dépasser l'impasse. Dans les deux cas, serait-il déraisonnable d'envisager des négociations parallèles, hors cadre onusien, mais nourries par la démarche américaine ? L'histoire révèle un paradoxe : si l'ONU a parfois établi le cadre juridique de la résolution de certains litiges, elle n'a pas toujours été le véritable lieu de conclusion des compromis politiques. Dans plusieurs cas, les solutions effectives ont émergé dans des conférences internationales restreintes ou des formats ad hoc, en marge ou en aval de l'ONU. Format restreint Ainsi, dans plusieurs règlements historiques, l'ONU a fourni le cadre normatif, tandis que le compromis effectif a été obtenu dans des formats restreints, sous la garantie de grandes puissances. Dans chacun de ces précédents, l'ONU avait accompagné ou légitimé, mais non conduit le processus : le règlement s'est imposé à travers un accord entre grandes puissances ou entre parties directement impliquées, dans un cadre circonscrit et pragmatique. Cette pratique illustre une constante : la primauté des négociations politiques encadrées par des parrains puissants, là où le multilatéralisme onusien se heurte aux blocages. L'ONU fournit le principe, mais les Etats influents en assurent la traduction opérationnelle. Dans la question du Sahara marocain, cette dynamique se retrouve. Les Etats-Unis, tout en appelant «les parties» à des négociations, n'ont préjugé d'aucun processus. Leur attitude témoigne d'une volonté de laisser ouverte l'option d'un format parallèle ou restreint, plus propice à un compromis rapide. La France, de son côté, qui souhaite faire avancer le processus de règlement ne devrait qu'encourager toute entreprise allant dans ce sens. Cette posture trouve un précédent direct dans l'expérience de l'ancien Envoyé personnel du secrétaire général (EPSG), James Baker. Dans son Plan I (2001), il avait mentionné les Etats-Unis et la France comme garants de l'application par les parties de l'accord final, confirmant ainsi l'importance d'un parrainage bilatéral puissant aux côtés de l'ONU. Baker avait affirmé qu'aucune solution ne pouvait aboutir sans l'aval et l'implication active de ces deux capitales. L'ONU, bien qu'indispensable comme source de légitimité, peut avantageusement être remplacée par un format restreint, où Washington et Paris assumeraient le rôle de co-parrains d'une conférence internationale restreinte. Une telle formule, fidèle à la logique des précédents historiques, pourrait permettre un règlement rapide, l'ONU ayant un rôle d'enregistrement du compromis. Jusqu'à présent, c'est le cadre onusien qui a prévalu : l'EPSG a réuni à plusieurs reprises les parties/Etats voisins pour des pourparlers informels ou des tables rondes selon un agenda découlant des résolutions du Conseil de sécurité. Aucun résultat significatif n'a été enregistré. Ce processus a pour le Maroc des avantages certains : le cadre de l'ONU offre en effet une sécurité juridique et politique, le droit de veto des alliés protège contre toute décision défavorable, le risque est limité et le cadre maîtrisé : tant qu'il n'y a pas de consensus au Conseil, le statu quo prévaut. Sortir de l'impasse Mais les inconvénients ne sont pas négligeables : l'ONU fonctionnant à l'équilibre, non à l'efficacité, il y a un blocage chronique, le processus est dans une impasse. Dans le format ONU-EPSG, le Maroc bénéficie de la légitimité institutionnelle, mais reste exposé à la lenteur, aux blocages procéduraux et aux manœuvres hostiles. Une «conférence internationale restreinte» pourrait être une entreprise portée par des co-parrains, les Etats-Unis et la France, éventuellement rejoints par d'autres membres permanents et/ou l'Espagne, ancienne puissance coloniale. Participeraient à la réunion, outre les garants internationaux, le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie et le polisario. Son objectif fondamental serait de produire un accord politique global, reposant sur l'autonomie marocaine. Pour le Maroc, un tel format présenterait plusieurs avantages. Il resserrerait le cadre de discussion en plaçant des Etats influents au cœur du processus, au lieu de s'en remettre aux équilibres parfois incertains des Nations unies. La voie étant balisée et les paramètres acceptés par tous, le schéma ne comporterait aucune surprise. Quelques rares Etats, ou certaines instances africaines, pourraient être tentés de contester la conférence, mais l'accord des parties neutraliserait toute protestation, tant il est vrai que «les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites». C'est, en droit, le principe pacta sunt servanda. Il va sans dire que l'abandon du cadre onusien, qui signifierait sortir de l'impasse, ne doit pas impliquer l'entrée dans une zone d'incertitude. Ainsi, le choix stratégique se formule de manière claire : faut-il rester dans le cadre onusien douillet mais stérile ou prendre le taureau par les cornes et franchir le pas d'une conférence internationale ? Le maintien à l'ONU constitue une option de sécurité, mais il faut en accepter la lenteur, l'immobilisme et une certaine ambiguïté. À l'inverse, le recours à une conférence internationale coparrainée représente un pari audacieux, susceptible de clore le dossier. Cette formule permet également de neutraliser le droit de veto qui, au Conseil de sécurité, peut bloquer tout projet substantiel. Dans une conférence ad hoc, ce risque disparaît puisque l'issue serait un accord politique négocié et non une résolution soumise au vote. Alternative stratégique Le risque, d'autre part, d'une internationalisation incontrôlée, est inexistant dès lors que le coparrainage servira de filtre, déterminant en aval la composition, le format et l'ordre du jour de la conférence. Les contours de la négociation seraient ainsi sécurisés dans un cadre ne laissant aucune place à l'improvisation ou aux issues incertaines. La conférence aurait pour fonction un objet précis : formaliser et garantir un schéma préétabli. Pour le Maroc, dès lors que la seule base de négociation est le plan d'autonomie, la formule n'offre que des avantages. La solution-cadre est en effet soutenue par plus d'une centaine de pays, dont les deux parrains majeurs, auxquels s'ajoutent le Royaume-Uni et l'Espagne. L'Algérie pourrait tirer avantage d'un format restreint qui lui offrirait la possibilité de sortir la tête haute d'un contentieux coûteux à tous les niveaux. Cette option impliquerait certes l'abandon des slogans dont elle s'est longtemps nourrie, mais c'est le prix à payer. Pour le polisario, l'avantage principal résiderait dans la possibilité d'obtenir une autonomie juridiquement solide et assortie de garanties. Néanmoins, il lui faudrait consentir un renoncement explicite à l'option d'indépendance, qui constitue la ligne historique du mouvement. L'Organisation des Nations unies, pour sa part, se verrait débarrassée d'un fardeau vieux de cinquante ans. Le mandat onusien serait, malgré tout, sauvé grâce à la validation du résultat. Reste une interrogation majeure : que se passerait-il si l'Algérie et/ou le polisario refusaient de prendre part à cette réunion ? Les implications d'un tel scénario feront l'objet d'une prochaine analyse.