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Le Morisque par Hassan Aourid | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 13 - 08 - 2012

Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re)découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable, ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs.
épisode 13
« La nature était belle, les rigoles regorgeaient d'eau, en arrière fond, les cimes du Dern, coiffées de neige ».
Jamais printemps ne fut si beau dans les contrées de Marrakech que celui qui avait coïncidé avec la harka du Sultan sur Fès. Il avait dépêché son fils Moulay Zidane, régent du Tadla, sur les voies menant vers Fès pour empêcher le trafic, par la plaine du Tadla et les montagnes du Fazaz. Il avait envoyé, par ailleurs, un contingent au niveau de Sala pour contrôler le trafic par les plaines de Tamesna. Il fallait couper le Prince Mamoun d'informations sur le mouvement de son père. Le contingent du Sultan comportait douze mille soldats, dont les Spahis, les artilleurs tobjis, le corps d'élite de l'armée du feu commandé par Jawdar Pacha, plus bien sûr, les fraïguia, et les auxiliaires chargés de la mise en place de l'enclos du Sultan dans ses déplacements. Tradition qui remonte aux Almohades au XIème siècle. Le Sultan délégua son fils, Abou Farès, gouverneur de Marrakech, en tant que son vicaire. L'ambiance au Palais, à Dar al Mulk, devenait délétère. On en profita, nous autres auxiliaires pour nous occuper de nos familles. Antati me proposa une promenade en famille, la nzaha, aux faubourgs de Marrakech. Nous enfourchâmes, un jeudi, la veille du jour chômé, nos mules. Nos femmes respectives montaient des ânes et nous prîmes le chemin sud de Ghmat. La nature était belle, les rigoles regorgeaient d'eau, en arrière fond, les cimes du Dern, coiffées de neige.
Nous dépassâmes le jardin d'al Mouchtaha et attaquions le pâturage de l'Agdal, l'apanage du Sultan pour son bétail, quand je fis part à Antati de ce que les gens colportaient.
Les gens disent que le Sultan ne reviendra pas de sa harka de Fès. Je l'ai entendu après la séance de dhiker dans le mausolée du Saint Ibn Soleiman al Jazouli.
Balivernes que tout cela, lâcha Antati, comment peuvent-ils savoir ?
Les maîtres du temps le disent. Ils interprètent les signes.
Tu me déroutes, Chihab Eddine. Sur quelles bases peuvent-ils prédire l'avenir ? Je ne crois pas à ce genre de choses et toi non plus tu ne devrais pas y croire.
Nous autres, Morisques, avions développé, devant le drame qui nous frappait, une culture superstitieuse où on sollicitait les signes pour conjurer notre malheur. Il m'a fallu beaucoup de temps pour me départir de cet atavisme.Le silence nous enveloppait. Nos montures continuèrent leur chemin tranquillement, ma femme avec mon fils Hakam sur le dos. Les enfants d'Antati nous ont précédés du côté de Ghmat pour dresser la tente et préparer le repas. On en avait pour trois heures de route avant d'arriver au flanc de la montagne.
« Ils avaient dansé leur danse collective Ahwach, ponctuée de cris et de coups sur le tambourin ».
Antati méditait, puis il lâcha :
Cela fait longtemps que le feu couvait entre le père et le fils, mais ce n'est là que l'apparent d'un grand abîme. Il n'y a qu'un fils pour déceler les contradictions d'un père. Le fils est le miroir du père, et cela fait longtemps que le père refusait de se voir en glace. Il était trop suffisant pour voir la réalité telle qu'elle est. La chance lui a souri et il s'est tout permis. Depuis la bataille d'Oued al-Makhazin. Il s'est débarrassé des Renégats, suppôts de son frère. Il a maté les tribus, mis hors d'état de nuire ceux qui pouvaient le gêner, et puis il s'est lancé dans ses folies de grandeur. Qu'est ce qui justifie l'expédition au Songaï ? L'attrait de l'or ? Chimères. L'expédition a coûté plus qu'elle n'a rapporté. Douze mille soldats ont péri sur vingt cinq mille. Le Jihad ? Mais les Asakias du Songaï sont musulmans. Et puis la folie du Palais Badii. Qu'est ce qui justifie tant de lucre ? De pauvres gens écrasés d'impôts pour la folie de grandeur du Sultan qui n'entendait que sa propre voix. Ses mercenaires de Renégats ont jeté une chape de plomb sur toute la population.. Tout cela devrait avoir un point de rupture. Le fils Mamoun est le miroir sur lequel se réfléchit l'égoïsme du Sultan. Il refuse de se voir en glace, et il va à Fès briser la glace que lui montre son fils. C'est peut-être ce que les « gens du temps », comme tu dis, appellent la fin. C'est la fin d'une texture. Al-Mansour, pour génial qu'il soit, n'a cessé de se répéter alors que le monde change autour de nous. Il est à court d'idée et ne s'en rend même pas compte. Il est face à sa propre vérité. J'écoutais attentivement. Antati faisait partie d'un jeu, d'un antagonisme. Pas moi. Je n'avais pas le droit d'avoir d'engagement politique. Je ne pouvais interférer dans un jeu subtil qui m'échappait. Je devais m'en tenir à l'obligation qui incombe à l'hôte : écouter, observer, mais m'abstenir d'interférer dans un jeu qui n'était pas le mien. Antati de continuer : L'avenir s'annonce sombre. Trois enfants en lice pour le pouvoir. Ils s'entredéchireront et feront éclater le pays en lambeaux. Le drame, c'est qu'ils n'ont pas été préparés pour la haute charge et considèrent le pouvoir comme héritage et non comme un legs. Mamoun est à l'image de son père, rusé, homme de poigne, lascif aussi. Zidane est certes lettré, mais rongé par la rancœur. Abou Farès vit dans sa bulle. Il mange et il dort. Il dort et il mange, et quand il se ressaisit, il crie que les djinns l'habitent. Aucun n'est capable de mener le pays. Ils se remettront tous aux mercenaires qui les mèneront par le bout du nez. Ils n'hésiteront pas, pour le pouvoir de faire appel, qui aux Turcs, qui aux Espagnols. Ils oublieront tout l'argumentaire de l'Islam, du Jihad ou de l'indépendance. On
Tadla a été fondée en 1687 par le sultan Moulay Ismaïl
s'arrêta du côté d'Ourika pour que nos femmes pussent souffler. Nous nous désaltérâmes autour d'une source. Je ne pouvais imaginer l'arrière fond politique du Maroc et les tourments qui le disputaient. J'ai eu subitement de la nostalgie pour mon Andalousie natale. J'ai pensé à ma sœur assassinée, à mon père mort de chagrin, à ma mère recluse dans un couvent qui serait peut-être morte, j'ai pensé à Jaïmi qui n'a quitté l'Andalousie que pour mourir dans un combat qui n'était pas le sien. C'était injuste. Pourquoi nous avoir chassés de notre terre ? Après tout, c'est la terre de nos aïeux. On aurait pu y vivre en symbiose avec les chrétiens et les juifs. J'avais trop idéalisé la communauté musulmane ou dar al islam. Le cri de mon fils me ramena sur terre. Mon fils et ma femme me rappelèrent que le chemin de retour était définitivement clos. Et pourtant, à ce moment précis où on s'était assis près de la source dont l'eau dégoulinait vers une rigole, j'avais pris conscience que je refoulais quelque chose, je refoulais mon amour pour la terre où j'étais né, je refoulais aussi mon statut d'exilé. Je l'étais et le serais pour toujours. Je ne pourrais jamais, à l'instar d'Antati, parler comme lui, passionnément de son pays, de son histoire, de son avenir. Je prétextai le désir de découvrir le paysage pour m'isoler et réfléchir. Je fis quelques pas en direction du village. Quelques habitations en pierre incrustées au flanc de la montagne. Des fillettes portaient des gourdes d'eau en s'échangeant des paroles en Amazigh. D'autres se prenaient les mains de manière juxtaposée et chantaient en arabe dialectal. Je prêtai l'oreille et essayai de déchiffrer leurs chants. Le souvenir de l'Andalousie est vivace dans la mémoire collective, même dans ce coin isolé. Elles chantaient Séville qui pleurait.
Tik-chbilia, tiwliwla
Ma qutluni, ma hyawni.. La voie de Séville sanglote, Ils m'ont gardé entre vie et trépas… C'était un peu moi. Oui, je pris conscience de mon état d'exilé. Je compris enfin la tragédie du juif et j'eus de la compassion pour lui. Je ne sais si demain quelqu'un nous présentera des excuses pour toutes les souffrances que nous avions subies et subissons toujours, nous, Morisques. Une larme a coulé sur ma joue. Cinq longues années que je refoulais ma blessure, appelée à être éternelle. Je rebroussai chemin. Antati était en train d'arranger le bât de sa mule. Je m'arrêtai et le regardai pour la première fois de manière dépassionnée. C'est l'expression d'un génie, mais je ne savais pour quelle raison j'avais le sentiment qu'il y avait quelque chose d'inachevé chez cet être d'exception. Peut-être était-ce l'amertume qui l'obérait ? Le ressentiment aussi. La rupture consommée entre les deux rives ? Un génie qui pouvait se rendre négatif et destructeur. Il n'y aurait plus de reprise de la fresque almohade. Il y aurait tout au mieux des Antatis conscients individuellement de leur génie, parmi eux des lettrés, des Saints ou quelques aventuriers politiques dont l'élan finirait par se briser. Un produit qui aurait à louvoyer avec les pouvoirs en place, comme dirait Antati. Il ne s'accommoderait d'aucun ordre et aucun ordre ne l'accepterait. Ce fut comme une révélation. Je ne pourrais l'exprimer, et surtout pas à Antati. Il avait un côté susceptible que je devais ménager. Antati eut la délicatesse de ne pas me parler. Nos montures marchaient au pas, côte à côte. A notre gauche le tombeau du poète sévillan al Mouatamid Ibn Abbad, ce prince noceur, déchu par un prince Amazigh sobre, Youssef Ibn Tachfine. Nous étions, Antati et moi-même, l'incarnation de ces deux génies. Antati incarnerait le génie amazigh dans sa puissance, et je me voulais l'incarnation du génie andalous dans sa splendeur. Chimères. Les deux modèles n'étaient plus en cours, comme une monnaie qui n'est plus en circulation. Nous n'avions plus de valeur, ni Antati ni moi. Nous étions des reliques d'un passé révolu. Mon statut d'exilé me fit prendre conscience de cette réalité. En était-il de même pour Antati ? Se couvrait t-il d'illusions et de chimères ? L'Histoire avait changé de donne depuis 1492. De cette déchirure, nous sommes les reliques. Nous autres, Morisques, on mit un siècle pour comprendre que nous serions d'éternels exilés, non seulement du fait d'être orphelins de notre terre, mais d'une idée ; de l'idée que nous nous faisions de notre terre et des rapports entre notre communauté défaite et la communauté chrétienne victorieuse. Loin de notre terre on végétera. On aura des cas de réussites individuelles dans des domaines techniques. On fera appel à nous en tant que mercenaires. En somme, on sera une pâle figure de ce que nous étions chez nous. Il y aura le rebut de cette déchirure, comme les éclats d'un boulet : Jawdar, les Renégats, des chefs sans scrupules, et que sais-je encore ? Il fallait que je visse ma condition de manière dépassionnée. Nous arrivâmes à notre campement sur les berges d'un oued. L'eau coulait à flot et se brisait sur de gros galets et des roches. On me présenta les frères d'Antati. Ils affichaient une bonhomie heureuse. Ils avaient dansé leur danse collective Ahwach, ponctuée de cris et de coups sur le tambourin. Antati les observait sans broncher. Il ne semblait pas prendre plaisir à leurs chants. Sa conscience historique devait-elle le ronger ? J'avais le sentiment qu'il était exilé lui aussi. Exilé parmi les siens. C'était peut-être pire que ce que je vivais.
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