Gilles Kepel a fait un tour d'horizon des questions géopolitiques de l'heure, le 7 mai au Radisson Blu à Casablanca, dans une rencontre autour de « L'exception marocaine dans le monde arabe ». Le politologue français a surtout montré à cette occasion, comme il l'avait fait dans d'autres, que les crises qui se succèdent dans le monde – même si elles ne se ressemblent pas – « ne sont pas des suites aléatoires ». Elles auraient concordé, d'après lui, pour déboucher en Europe sur la guerre en Ukraine et pour ramener Trump au pouvoir aux Etats-Unis, entre autres. Gilles Kepel parlant géopolitique Gilles Kepel applique cette même grille de lecture des concordances en parlant des missiles de longue portée lancés par les Houthis sur Israël. Il y voit une tentative de l'Iran de montrer sa force de nuisance pour peser sur les négociations en cours sur le programme nucléaire iranien. Au milieu de ces tumultes, le conférencier a mis en exergue « le dynamisme marocain, qui est inégalé dans sa région ». Le Royaume avance dans le bon sens avec la « multiplication des alliances à l'international », note le spécialiste du monde arabe en soulignant que « la verticale marocaine, qui est sans pareil dans les autres pays du continent » s'avère tout aussi payante. « La diaspora marocaine est un élément important dans la constitution d'un réseau n'ayant pas son équivalent dans le monde », ajoute l'analyste. En revanche, dans le voisinage immédiat du Royaume, l'Algérie périclite sur tous les plans, constate Gilles Kepel. Il constate aussi que l'armée algérienne est dans une situation complexe pour son approvisionnement puisque la Russie a besoin d'utiliser ses armes. Le politologue estime que, malgré tout, l'ouverture serait fatale au régime algérien et que c'est pour cela qu'il a besoin du Maroc comme ennemi pour se donner une raison d'être. Asma Lamrabet appelant à la désacralisation des textes Le 8 mai, il a été très peu question de géopolitique dans un autre débat qui a eu lieu à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Aïn Chock à Casablanca. La réflexion lancée ce jour-là à travers les questions posées par Aïcha Barkaoui, professeure chercheuse en Genre, a été axée sur les enjeux relatifs à l'islam et aux féminismes. En réponse, l'essayiste Asma Lamrabet a souligné l'importance de parler de « féminismes au pluriel » pour les inscrire légitimement dans une perspective décoloniale et locale au lieu de tenter de les uniformiser dans un universalisme qui pourrait s'avérer trompeur. Une précision que la militante Touria El Amri a appuyée avec force. Les deux intervenantes ont plaidé pour une lecture réformiste et humaniste de l'islam au lieu de se limiter à celle patriarcale qui reste partout de mise. Pour Asma Lamrabet, le fiqh peut bien faire avancer la pensée religieuse dans le sens de l'histoire grâce à l'ijtihad (l'exégèse), comme l'avait fait Allal El Fassi à son époque, par exemple. Il n'y a pas d'exégèse qui tienne face aux antiféministes, selon la militante sénégalaise Maïmouna Yade. Réputée pour ses sorties tonitruantes, cette juriste, qui est directrice exécutive à Dakar de l'ONG JGEN Women Global Entrepreneurship, a réclamé des actions radicales. Ce à quoi Lamrabet a opposé un appel à l'apaisement, tout en affirmant avec force son opposition à l'ethnisation de l'islam et à la sacralisation de la charia. Les échanges ouverts qui ont eu lieu à cette occasion ont confirmé l'impérieuse nécessité de l'ouverture de davantage d'espaces de dialogue pour mettre à plat les non-dits, en vue de casser, d'une manière apaisée, bien des préjugés misogynes. Au lendemain de ce débat passionné, un autre qui l'était tout autant a eu lieu à l'Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa à Rabat. Il était question de « penser l'islam ». Un exercice auquel ont été invités le politologue Mohamed Tozy, l'anthropologue Faouzi Skali, le directeur du Timbuktu Institute à Dakar Bakary Sambe, et sa compatriote et collègue au sein de cet institut, Yagué Samb, ainsi que Franck Frégosi, directeur de recherche (Religions, laïcité, entre autres) au CNRS en France, et Joseph Maïla, spécialiste franco-libanais de l'islam, des questions du Moyen-Orient et de la résolution des conflits. Faouzi Skali nuançant entre laïcité et sécularisation Là aussi, la spécificité marocaine a été abordée, notamment par Mohamed Tozy, qui est connu pour ses analyses fines de l'institution de la Commanderie des croyants. Il en a souligné l'importance à la lumière des débats qui ont lieu notamment en France sur la place de la religion musulmane dans un Etat qui se dit laïc. « Se dit », parce que c'est ce même Etat qui veut aujourd'hui gérer directement les lieux de culte qui avaient échappé, pendant longtemps, à son contrôle. Les faits montrent la pertinence de cet avis ressortant des interventions des conférenciers. Le dernier en date est ce rapport choc sur les Frères musulmans, remis récemment au ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau, et dont la version déclassifiée de 73 pages a été dévoilée mardi 20 mai par Le Figaro. Ce document montre, chiffres à l'appui, l'existence d'un « risque frériste » en France. Près de deux semaines avant ces révélations, Franck Frégosi s'était beaucoup attardé sur l'importance que prenait l'islam en France avec, notamment, 7 millions de consommateurs de halal dans l'Hexagone. « Le calendrier de consommation en France est calé sur le calendrier de consommation musulman », précisait-il, en soulignant l'enjeu politique et électoral que représente l'islam dans la société française. Si les intervenants français avaient parlé de l'islam de France et non seulement de l'islam en France, Tozy, qui en fait de même, a parlé surtout de l'islam au Maroc en le présentant comme étant « le produit – assumé – d'un islam national, marocain, fruit de la restructuration du champ religieux ». Faouzi Skali nuançant entre laïcité et sécularisation Faouzi Skali estime, lui qui est imprégné de l'esprit soufi, que partout où l'islam est géré d'une manière aussi apaisée, cette religion pourrait servir à résoudre des conflits. La transition était toute trouvée pour Bakary Sambe et sa collègue Yagué Samb, qui ont parlé de l'islam au Sénégal, pays où les confréries jouent un rôle politique majeur. « Des leaders religieux sont intervenus pour apaiser la tension qui avait surgi en fin de présidence de Macky Sall », a témoigné Bakary Sambe. Les intervenants sénégalais ont toutefois prévenu du risque d'instrumentalisation politique de la religion, surtout à travers les réseaux sociaux. « Ce risque doit être pris partout au sérieux », a insisté Joseph Maïla. À une semaine d'intervalle de cette conférence tenue à l'Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa, un appel similaire a été lancé également à Rabat lors des 2es Assises du féminisme, non pas sur un risque, mais sur une réalité structurelle : « Les inégalités économiques et leur impact sur le statut et la condition des femmes au Maroc ». Le long de la journée du samedi 17 mai, ministres, institutionnels, universitaires, chercheures, documentaristes, militantes et militants associatifs, et entrepreneures au parcours atypique ont pris la parole pour dire, chacun(e) à sa façon, que la société marocaine a mal à ses femmes. Celles-ci sont sous-payées au travail et discriminées, notamment dans leurs droits à l'éducation, entre autres, comme l'a bien montré le Haut-Commissaire au Plan, Chakib Benmoussa. La situation des femmes est si révoltante que la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah, a elle-même appelé son auditoire à protester et à se révolter pour changer la donne. Nadia Fettah appelant les femmes à protester contre les inégalités L'autonomisation des femmes comme principale voie vers le rétablissement de l'équilibre entre Marocaines et Marocains a été l'une des préconisations sur laquelle ont insisté la plupart des intervenantes et les quelques intervenants hommes présents à ces Assises initiées par l'Association pour la promotion de la culture de l'égalité (APCE), que préside notre consœur Aïcha Zaïmi Sakhri. Cet événement gagnerait à (re)penser le féminisme à l'avenir sous l'angle de la pluralité. En tout cas, ce débat, comme les autres, participe à la fertilisation des idées autour de sujets d'importance. La diversité des initiateurs mérite qu'on s'y arrête. La rencontre avec Gilles Kepel a été initiée par ALH Holding ; les rencontres sur l'islam à la Faculté de Aïn Chock et à Rabat ont été lancées par l'Institut français du Maroc, en collaboration avec le Centre Jacques Berque, l'Université Internationale de Rabat, l'Institut Fondamental d'Afrique Noire, l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales, la Faculté des lettres et des sciences humaines Aïn Chock de l'Université Hassan II et l'Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa. Que d'autres lanceurs de débats en prennent de la graine. LIRE AUSSI « Sans justice sociale, pas d'émancipation pour les femmes amazighes » EntretienAmina Zioual, présidente de l'association « Voix de la femme amazighe »L'Observateur du Maroc et d'Afrique: Lorsqu'on évoque les violences économiques basées sur le genre, en quoi la situation de la femme amazighe est-elle... 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