L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Vous sillonnez le continent depuis deux décennies. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les besoins d'infrastructures en Afrique ? Vinesh Chintaram : Effectivement, cela fait plus de vingt ans que je parcours l'Afrique. J'ai visité près d'une trentaine de pays et constaté une réalité : le continent a besoin d'organisation et d'infrastructures solides. Nous manquons d'écoles, de logements sociaux, d'hôpitaux... Avec une population en forte croissance, la demande est colossale : environ 50 000 unités d'habitation par jour seront nécessaires sur les trente prochaines années. Or, nous ne disposons pas encore des moyens technologiques, humains et financiers pour y répondre. Les infrastructures existent pourtant dans certains pays. Où se situe alors le vrai problème ? Oui, il existe des réseaux routiers, mais ils sont souvent dans un état déplorable. Si nous nous contentions déjà de réhabiliter et d'optimiser ce que nous avons, cela ferait une énorme différence. Prenons un exemple concret : le transport des marchandises. Entre les contrôles douaniers et les lenteurs administratives, on perd souvent deux à cinq jours aux frontières. Ce manque d'efficacité ajoute près de 40 % au coût final des produits ! Si nous améliorons la qualité de nos infrastructures et de notre logistique, nous réduirons les accidents, les retards et les surcoûts. Tout le monde serait gagnant. Vous parlez souvent d'un déficit de "prise de conscience". Que voulez-vous dire par là ? Je pense qu'en Afrique, on ne prend pas toujours la mesure des problèmes. Trop souvent, on cherche des solutions sans avoir d'abord compris les causes. Mon rôle, comme celui de la société civile, n'est pas de critiquer, mais de sensibiliser. Comprendre, identifier, et ensuite agir : c'est dans cet ordre que nous avancerons. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est au cœur de l'intégration africaine . Quelle est votre vision sur ce projet? Je crois profondément à la ZLECAf. C'est une nécessité pour l'Afrique. Mais attention : ce n'est pas qu'un projet économique, c'est un projet de société. Il doit inclure toutes les populations, y compris celles des zones rurales, et pas seulement servir à exporter nos ressources. Le marché commun africain doit être un espace d'inclusion sociale. Malheureusement, certains pays se sentent vulnérables face à l'ouverture des frontières, craignant la concurrence étrangère ou la perte d'emplois. Il faut du temps, de la pédagogie et surtout de la concertation. Le Maroc est souvent cité comme moteur de la coopération Sud-Sud. Selon vous, quel rôle joue-t-il réellement dans la construction d'une intégration africaine concrète et durable ? Le Maroc m'inspire beaucoup. C'est un véritable laboratoire vivant du développement africain. On y trouve un équilibre remarquable entre modernité et tradition, entre culture et innovation. Regardez Tanger Med : un port autonome sur le plan énergétique, un modèle en matière d'efficacité logistique et d'énergie verte. Pourquoi ne pas exporter cette expertise au sein même du continent ? Le Maroc prouve qu'on peut conjuguer vision, investissement et durabilité. Il incarne une Afrique qui agit, qui construit et qui inspire. Nous devons apprendre à prendre des risques. C'est en osant que nous comprendrons nos forces et nos faiblesses. L'Afrique a tout pour réussir, à condition de s'organiser, de coopérer et de bâtir sur ses propres modèles.