Deux ans après une tragédie qui a coûté la vie à plus de 3.000 personnes et détruit des milliers d'habitations, le fossé semble toujours béant entre discours officiel et réalité vécue dans les montagnes du Haut Atlas. Les rescapés de la catastrophe regroupés au sein de la Coordination nationale des victimes du séisme d'Al-Haouz, se préparent à manifester devant le Parlement le lundi 8 septembre prochain, à l'occasion du deuxième anniversaire du drame, dénonçant la « persistance de leurs souffrances » malgré les promesses de reconstruction et les chiffres « encourageants » avancés par le gouvernement. De nombreux sinistrés du séisme d'Al-Haouz vivent encore dans des conditions précaires, deux ans après la catastrophe survenue le 8 septembre 2023. Une situation qui mobilise plusieurs ONG locales et coordinations à suivre de près le dossier du séisme et à dénoncer des chantiers jugés lents par la population. La Coordination nationale des victimes du séisme d'Al-Haouz, dont le président Saïd Ait Mehdi a été condamné en mars dernier à une année de prison ferme pour agressions physique et verbale contre des agents de l'autorité, ainsi que pour incitation à des manifestations et rassemblements non autorisés, ne cesse de cumuler les sit-in comme celui prévu le 8 septembre prochain, après une série de manifestations organisées cette année. Chiffres officiels VS réalité du terrain Dans un communiqué, la Coordination affirme que « des centaines de familles vivent encore dans des tentes en plastique délabrées, exposées à des conditions de vie indignes et et marquées par la précarité ». Elle dénonce des « tentatives récurrentes de démantèlement de ces abris temporaires sans qu'une alternative de logement ne soit proposée. » Par ailleurs, Beaucoup de familles, privées de l'aide promise, auraient été contraintes à l'exode vers les villes, aggravant leurs difficultés sociales et économiques, précise la Coordination. Face à ces critiques, l'Exécutif affiche un bilan globalement « positif ». À l'issue de la réunion de la commission interministérielle chargée du suivi du programme de reconstruction tenue le 10 juillet dernier, présidée par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, le département de la Primature a publié un communiqué détaillant les progrès réalisés. Selon ces données, 46.650 familles ont pu achever la construction ou la réhabilitation de leurs habitations. Le soutien financier global à la reconstruction a dépassé 4,2 milliards de dirhams, tandis que les aides d'urgence, fixées à 2.500 dirhams par mois, ont représenté un total de 2,4 milliards de dirhams. Dans son communiqué, la Coordination dénonce des « chiffres officiels déconnectés de la réalité », qui creusent le fossé entre le discours des autorités et le vécu des sinistrés. Elle critique également le retard dans le versement des indemnités alors que des milliers de foyers attendent toujours leur soutien, tandis que des dossiers légitimes seraient systématiquement écartés au profit, selon elle, d'« agents d'autorité et de leurs proches » ayant perçu des aides indûment. De plus, une partie des sinistrés n'ayant reçu qu'un soutien partiel de 80.000 dirhams se voit contrainte de contracter des dettes pour achever des logements souvent réduits à des façades repeintes, sans équipements intérieurs. L'exécutif, de son côté, met en avant la quasi-disparition des tentes : sur 129.000 abris recensés après le séisme, il n'en resterait plus que 47, dont le démantèlement est prévu en septembre. Les autorités soulignent également les solutions apportées pour 4.895 habitations situées dans des zones particulièrement difficiles d'accès. Deux autres organisations actives sur le sujet, à savoir l'Alliance nationale pour la montagne et la Coalition civile pour la montagne, ont souligné dans une déclaration conjointe fin juillet 2025 que « ce qui se passe sur le terrain dément les chiffres provenant des bureaux ». Elles pointent le grand écart entre les annonces officielles et la réalité où des centaines de familles vivent encore dans des tentes délabrées, dépourvues des conditions minimales pour un logement décent, près de deux ans après la tragédie. Dans ce contexte, la coordination appelle à un sit-in le 8 septembre pour réclamer la régularisation immédiate des dossiers exclus, le versement des indemnités à tous les sinistrés, qu'ils aient perdu leur logement totalement ou partiellement, l'ouverture d'une enquête indépendante sur les « irrégularités et manipulations » dans la gestion des indemnisations, ainsi que la fourniture d'un logement digne aux familles encore contraintes de vivre sous tente. Routes, écoles, santé : des chantiers en cours Le gouvernement insiste sur les chantiers ouverts dans les secteurs clés de la région. Dans l'équipement, plusieurs tronçons de la route nationale RN7 reliant Sidi Smail à Tiguezmert (Tata) affichent un taux d'avancement compris entre 25 et 65 %, tandis que 165 kilomètres de routes et 29 ouvrages d'art sont en construction, pour un budget de 920 millions de dirhams. Côté éducation, 269 établissements scolaires ont été réhabilités ou reconstruits, et dans la santé, 70 centres ont déjà été rénovés, avec une vingtaine d'autres en cours. L'agriculture a bénéficié d'aides sous forme de bétail et d'orge distribués gratuitement, tandis que les stations hydrologiques endommagées ont été réparées et de nombreux douars raccordés à l'eau potable. Le secteur touristique, lui aussi, a bénéficié d'un appui : 229 établissements ont touché une première tranche de 61 millions de dirhams et 95 autres une deuxième enveloppe de 30 millions. Enfin, 1.600 commerçants affectés ont reçu un accompagnement. Des catastrophes naturelles qui s'ajoutent aux séquelles Pourtant, la réalité du terrain reste difficile. En juillet dernier, des pluies diluviennes ont provoqué des crues soudaines dans plusieurs localités d'Al-Haouz, causant d'importants dégâts aux cultures, aux maisons fragilisées et aux chantiers d'infrastructures, dont un barrage en construction. Des vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux ont montré des champs inondés, des routes coupées et des engins emportés par la force des eaux. Si les autorités locales ont assuré avoir maîtrisé la situation sans pertes humaines, ces intempéries ont accentué la vulnérabilité de populations déjà marquées par le séisme. Dans la commune de Wirgane, l'alerte aux sirènes a même retenti face à la montée inquiétante des oueds Azaden et Graya. À Ourika, près de Marrakech, des inondations similaires avaient déjà frappé le 8 août, laissant derrière elles de lourds dégâts matériels. Des associations locales et le Collectif civil pour la montagne estiment que les annonces officielles d'« avancées » et d'« ouverture de grands chantiers » ne reflètent pas le quotidien des habitants. Ces collectifs réclament la publication d'une base de données claire et vérifiable sur la distribution des aides, ainsi qu'une enquête indépendante sur les « irrégularités » alléguées. Ils appellent aussi au respect des directives royales pour une reconstruction équitable, adaptée aux spécificités sociales et architecturales des villages de montagne. « Si le séisme était une fatalité naturelle, la prolongation de la souffrance relève du mauvais pilotage et du manque de sérieux », conclut le communiqué de la Coordination, qui appelle à placer la dignité des citoyens au-dessus de toute autre considération.