Entretien Pr Amal Bourquia, néphrologue, experte en éthique et communication médicales, présidente de la Société Marocaine Santé, Environnement et Innovation et de l'association REINS. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : L'IA révolutionne la chaîne du don d'organes. Concrètement, comment cette technologie change-t-elle la pratique du don et de la greffe d'organes ? Pr Amal Bourquia : Malgré les progrès significatifs des techniques chirurgicales et des traitements immunosuppresseurs, la demande d'organes dépasse largement l'offre, ce qui entraîne des délais d'attente prolongés et une augmentation de la mortalité chez les candidats à la transplantation. L'intégration de l'intelligence artificielle (IA) et de l'apprentissage automatique dans les processus de prélèvement et de transplantation d'organes représente une voie prometteuse pour relever ces défis. Elle transforme toutes les étapes de la chaîne du don et de la transplantation et optimise la compatibilité donneur–receveur. Ainsi les algorithmes peuvent évaluer des millions de variables (groupes sanguins, profils immunologiques, état de l'organe, etc.) pour proposer le meilleur appariement possible. L'IA assiste les chirurgiens grâce à la robotique, à la réalité augmentée et aux outils prédictifs qui anticipent les complications. Après la greffe, elle aide au suivi personnalisé du patient, en détectant précocement les signes de rejet ou les effets indésirables des traitements. Dans le futur, l'IA combinée à la bio-impression 3D et à la médecine régénérative pourrait participer à la création d'organes artificiels ou cultivés à partir de cellules souches, ouvrant une nouvelle voie à la transplantation. Le Maroc « souffre » encore de la pénurie d'organes disponibles à la greffe. L'IA peut-elle contribuer à résoudre ce problème structurel ? L'IA ne peut certainement pas, à elle seule, créer des organes ou résoudre la pénurie, mais elle peut améliorer la gestion et la sensibilisation. Le Maroc accuse, un énorme retard en matière de transplantation d'organes. La greffe est une question non seulement médicale mais aussi sociale, économique et juridique. Le cadre légal, inchangé depuis la loi de 1999, apparaît aujourd'hui inadapté aux enjeux actuels. Par ailleurs, les représentations sociales autour du corps, du don et de la mort freinent l'adhésion collective à la cause du don d'organes. Le manque de sensibilisation du public, combiné à une faible coordination entre les acteurs et à une volonté politique encore timide, limite les avancées concrètes et souligne l'importance cruciale de la sensibilisation, de l'éducation et de la communication éthique. L'IA et le big data ne remplacent pas le jugement clinique mais l'augmentent, en offrant des outils puissants pour une transplantation plus sûre, plus précise et plus personnalisée Elle peut aussi contribuer à la sensibilisation du public grâce à des campagnes ciblées basées sur les données comportementales, afin de mieux informer et encourager le don. Si on développe le traitement par transplantation d'organes l'IA peut être d'un grand apport. L'IA et le big data ne remplacent pas le jugement clinique mais l'augmentent, en offrant des outils puissants pour une transplantation plus sûre, plus précise et plus personnalisée. L'un des points sensibles du don d'organes reste l'attribution équitable des greffons. L'IA peut-elle garantir plus de transparence et d'objectivité dans ce processus ? Peut-on faire confiance à une machine pour trancher dans un domaine aussi sensible ? L'IA peut effectivement renforcer l'équité et la transparence dans l'attribution des organes, car elle fonde ses décisions sur des critères médicaux objectifs et des algorithmes validés, sans influence humaine directe. Elle permet de réduire les biais personnels ou régionaux, assurer une traçabilité totale des décisions et rendre les critères d'attribution plus clairs et vérifiables. L'IA peut optimiser la détection des donneurs potentiels dans les hôpitaux, en signalant automatiquement les cas de décès cérébraux compatibles, et améliorer la logistique, en prévoyant les temps de transport, la viabilité des organes et les conditions optimales de conservation. Mais la machine ne doit jamais remplacer le jugement humain. IA et médecine, un duo performant pour sauver plus de vies L'IA doit être un outil d'aide à la décision, non un décideur. C'est au comité médical et éthique de valider les propositions de l'algorithme.La confiance ne vient pas de la machine elle-même, mais de la transparence des données, de la qualité de la gouvernance, et du contrôle humain permanent. Au final il faut éviter que ces technologies ne creusent les inégalités et garantir une équité d'accès. Vous évoquez une « médecine prédictive post-greffe ». En quoi cela transforme-t-il la prise en charge des patients ? Grâce à l'IA, nous passons d'une médecine réactive, qui intervient une fois le problème survenu, à une médecine anticipatrice, capable de prévoir les complications avant qu'elles ne se manifestent. Les algorithmes peuvent détecter précocement un risque de rejet, d'infection ou d'effet secondaire lié au traitement immunosuppresseur et adapter les doses et les protocoles thérapeutiques de manière personnalisée et même prévoir la survie du greffon. La technologie doit rester au service de l'humain, et non l'inverse. L'IA est un outil magnifique, mais c'est la valeur morale et professionnelle du médecin qui lui donne son sens et sa légitimité Cette approche améliore non seulement la qualité et la durée de vie des patients greffés, mais aussi leur autonomie et leur confiance dans le suivi. L'IA permet ainsi de transformer le parcours post-greffe en le rendant plus personnalisé et participatif, où chaque donnée devient une alerte utile au service du patient. Ces progrès prometteurs posent toutefois la question de la fiabilité et de l'éthique. Comment éviter les dérives ou les biais liés aux algorithmes ? La technologie doit rester au service de l'humain, et non l'inverse. L'IA est un outil magnifique, mais c'est la valeur morale et professionnelle du médecin qui lui donne son sens et sa légitimité. L'IA en médecine reflète la qualité et la diversité des données qui l'alimentent, si ces données sont incomplètes, biaisées les résultats peuvent l'être aussi. Les algorithmes doivent être transparents, explicables et soumis à une validation scientifique indépendante. Les informations des donneurs et des receveurs doivent être sécurisées, anonymisées et utilisées uniquement dans le cadre médical. La décision médicale ne peut jamais être déléguée entièrement à la machine. Le médecin reste garant du discernement, de l'éthique et de l'empathie et cette évolution ne doit jamais faire oublier la dimension humaine du don.