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«Bourguiba dernière prison» du dramaturge tunisien Raja Farhat : Une comédie historique qui rappelle la modernité de l'engagement d'un leader du Maghreb
L'Association Socioculturelle Almanar a tenu une conférence de presse à Casablanca pour annoncer la tournée, prochainement au Maroc, de « Bourguiba dernière prison », un spectacle théâtral du dramaturge et comédien tunisien Raja Farhat. Cette pièce de théâtre dédiée au leader tunisien Habib Bouguiba, « le Combattant suprême », édificateur de la Tunisie en Etat moderne, a eu un grand succès, ayant été produite plus de cent fois depuis 2012 en Tunisie et aussi à Dubaï, Paris. Bientôt ce sera à Bruxelles, Madrid, Milan, Montréal, Washington, Philadelphie. La tournée au Maroc aura lieu entre les 12 et 19 janvier 2014 à Casablanca, Rabat et Tanger. Tout au long de près de deux heures, il s'agit d'un one man show où le personnage Bourguiba est bien interprété dans ses gestes et sa manière de parler brusque dans sa résidence surveillée en présence d'une femme médecin et du gouverneur symbole du geôlier où sont convoqués avec humour des évènements historiques et des personnalités : le Roi Mohammed V, Jamal Nasser, Charles de Gaule, le Roi Hassan II, etc. Au cours de la conférence de presse, Raja Farhat a expliqué que l'idée de ce travail remonte au lendemain de la mort de Bourguiba au printemps de l'année 2000 suite à des obsèques passées sous silence par les medias publics, ce qui était une occultation de toute une mémoire de la Tunisie contemporaine. C'est en partie pour aller à l'encontre de ce silence prémédité que le projet est mis en chantier. L'écriture de la pièce a pris cinq ans environ bien avant la Révolution de 2011. L'auteur a eu maille à partir avec la censure de l'administration de Benali comme si toute évocation du leader devait comporter un caractère subversif. Pour l'auteur, il s'agissait de faire œuvre de recherche dans le cadre d'un projet de théâtre documentaire pour la restitution d'une mémoire ensevelie en rassemblant tous les documents témoignages des compagnons amis mais aussi les adversaires du leader, lire des ouvrages, visionner des films pour cerner la biographie d'un homme qui a vécu pleinement tous les grands événements du XXème siècle. La vie de Bourguiba, en effet, colle pleinement au siècle étant né en 1900 ou 1903 et mort en 2000. L'origine du titre « Bourguiba dernière prison » revient au fait que le leader tunisien a connu la prison en tant que résistant au colonialisme français mais aussi une fois qu'il a été mis en résidence surveillée par Benali de 1987 à 2000, soit treize années de vie en captivité. Des circonstances douloureuses qui font de lui un personnage Shakespearien avec un drame digne du Roi Lear, note l'auteur. Raja Farhat est un homme de grande culture et d'une grande lucidité quant à la nécessité de l'ancrage profond dans la terre nationale de par la culture de cette dernière, ses spécificités, ses femmes et ses hommes avec sauvegarde de la mémoire tout en s'ouvrant sur l'autre, sur l'universel, les autres cultures qui forment la mosaïque des civilisations humaines et de l'Histoire. L'intéressant dans ce cas, c'est qu'il prêche d'exemple. Bien que son père Sahbi Farhat, un opposant au régime, soit mort en prison en tant que détenu politique dans les prisons de Bourguiba, cela n'empêche pas Farhat de reconnaître les valeurs défendues par ce dernier et les bienfaits qu'il a apportés par ses réalisations pour le développement de la Tunisie dont principalement l'enseignement pour tous dès les premières années de l'indépendance et les droits de la femme accordés sur la base d'une véritable relecture du Coran dans la droite ligne des valeurs d'équité profondes que prône le texte sacré, ce qui a abouti à l'abolition de la polygamie et de la répudiation. Du coup, cela a fait de la Tunisie, jusqu'à présent, un Etat à l'avant-garde de la modernité au niveau du monde arabe et musulman, souligne Farhat. « L'égalité entre femmes et hommes en Tunisie pour un véritable développement du pays a été telle grâce à Bouguiba qu'aujourd'hui les postes importants dans le public et le privé : médecins, avocats, juges, etc., sont jusqu'à 55% détenus par des femmes ! », soutient Farhat. Sans tomber dans le panégyrique et le dithyrambe, Raja Farhat parle d'un homme politique président d'un pays qui est resté pauvre sans maisons, « aucune ne trouvant gré à ses yeux à moins que ça ne soit le cœur de son peuple ». Ne pensant qu'à l'éducation parce qu'il croyait au capital humain, il n'a jamais accordé d'importance à l'armement. Au Général Eisenhower qui lui demandait s'il avait besoin d'armes et de canons, il lui répond : « Vous me prenez pour qui ? Un dictateur africain ou arabe !». Il aura une répartie tout autant cinglante à l'adresse de Kadhafi en lui signifiant que jamais lui il n'accepterait de prendre le pouvoir à l'aide des chars et blindés. Avec la révolution du printemps 2011 qui a apporté une « formidable liberté d'expression en Tunisie », Bourguiba, comme surgi du purgatoire, refait surface, devient d'actualité comme un signe face aux inquiétudes et appréhensions de régressions Raja Farhat : « Ce sont les filles, les petites filles de Tunisie, les jeunes étudiantes de Monastir qui ont le plus pleuré Bourguiba parce qu'il représente tellement le droit des femmes à la dignité » Après être passé par le Collège Sadiki et le lycée Carnot de Tunis, Raja Farhat fait des études de littérature et théâtre au Piccolo Teatro de Milan avant de poursuivre des études universitaires à Grenoble et Paris-Sorbonne Nouvelle. Fondateur du Théâtre du Sud dans la région des mines de Gafsa, il rejoint le ministère de la Culture pour diriger la Maison de la Culture et la Galerie des arts de Tunis, le Festival International de Carthage, le Centre culturel et le Festival international de Hammamet. Outre le fait qu'il a été commissaire de l'année de la culture tunisienne en France, il remplit la fonction de Directeur général de l'Agence internationale de la Francophonie. Farhat est auteur et réalisateur de théâtre, ayant à son actif des dizaines d'œuvres dont la série « Cités d'Orient » sur les grandes cités de la culture arabe. Au Maroc, Raja Farhat a toujours été régulièrement présent pour des manifestations culturelles. « J'ai beaucoup d'amis au Maroc : Abdellah Stouky, Tayyeb Saddiki, Mohamed Sbaï, Najib Senhaji, compagnon du festival d'Asilah, et bien d'autres. Tous les ans, je passe par Casablanca et par d'autres villes marocaines. Un pays qu'on aime c'est un pays où l'on a plusieurs maisons d'amis, mon passage était toujours culturel, soit une semaine culturelle, pour faire venir un artiste tunisien vers le public marocain ». La tournée de la pièce « Bouguiba dernière prison » sera suivie par la réalisation d'un film documentaire qui « retracera la saga du Roi Lear de Carthage, haute figure politique et intellectuelle du XXème siècle ». Entretien : -Peut-on dire que votre pièce est un hommage à Bourguiba ? -Non, c'est une pièce de théâtre historique et dans l'Histoire, il n'y jamais d'hommage. Ce n'est une pièce de propagande. Pour qui ? On fait de la propagande pour des présidents encore en exercice. Mais là, Bourguiba n'est vraiment plus là ! Sans qu'on puisse parler d'un hommage proprement dit, ce qui est évident, c'est que Bourguiba est pour nous l'homme de la modernité, c'est une personnalité qui a vécu tout le XXème siècle, c'est notre mémoire, c'est l'homme des missions impossibles. Regardez par exemple les images de la seconde guerre mondiale, le défilé de la victoire à Tunis en mai 1943. Ce sont des événements marquants de toute notre Histoire en Afrique du Nord que cet homme a représentés parce qu'il a relié des générations et des générations. -Est-ce que la pièce s'inscrit dans le cadre de la transition tunisienne en cours ? -En réalité, la pièce a été écrite bien avant 2011. Il a fallu faire beaucoup de travail pour réunir un peu toutes les séquences de la vie du personnage, écouter les témoignages, lire les documents, les livres, visionner des films. Tout cela c'est immense, un siècle c'est pas facile à résumer. Et donc le travail étant fait, il a fallu mettre en scène un spectacle qui s'adresse au public actuel après la révolution du 14 janvier 2011 à Tunis. -Les jeunes ne sont pas censés connaître Bourguiba. -C'était ça le défi, faire venir les jeunes, et les jeunes effectivement sont venus. La pièce a été présentée plus de cent fois en Tunisie avec un succès qui nous étonne parce qu'au début c'étaient les vieux qui sont venus, les femmes amoureuses de Bourguiba comme d'habitude, les vieux qui ont milité avec lui pour l'indépendance, c'est un peu comme la vieille génération des nationalistes marocains. Ensuite les jeunes sont venus à leur tour pour constituer actuellement la majorité de notre public. -Ils sont accrochés comment les jeunes par cette pièce ? -Ils sont accrochés par le fait que ce que nous vivons actuellement, rappelle Bourguiba à l'actualité d'une manière toute particulière. -Il y a donc des évocations du temps actuel ? -A coup sûr et le message est très puissant du fait du contexte actuel. Bourguiba luttait contre la décadence des musulmans, il tenait à répondre à la question de savoir pourquoi nous sommes le peuple le plus ignare, le plus retardataire, le plus pauvre de la terre après avoir été à une époque les maîtres du monde. -Quand on entend parler de « dernière prison », on aurait tendance à ne retenir que la notion de victime ? -Bourguiba est d'abord un prisonnier politique, il a fait plus de prison que Mandela par exemple, il avait commencé avec, comme premiers geôliers, les Français dès les années trente du XXème siècle dans le sinistre pénitencier Borj Le bœuf, il a fini avec Benali qui l'a démis de ses fonctions en 1987 et pendant treize longues années, il était tenu en résidence surveillée, avant de décéder au printemps de l'an 2000 après avoir marqué son passage. Et comme on le répète souvent, ce sont les filles, les petites filles de Tunisie, les jeunes étudiantes de Monastir qui ont le plus pleuré Bourguiba parce qu'il représente tellement le droit des femmes à la dignité qu'il s'est identifié à cette cause-là. Quand les islamistes ont pris le pouvoir à Tunis, immédiatement Bourguiba est revenu parce que le message est là, parce que le Code du statut personnel est là comme autant d'acquis sur lesquels on ne peut pas revenir.