L'offensive contre Mossoul, le principal bastion de l'organisation Etat islamique (EI) en Irak, est une opération très complexe qui engage à divers degrés l'armée irakienne, des forces étrangères et des factions locales aux intérêts divergents sinon opposés. La bataille est donc lancée mais personne ne peut prédire combien de temps il faudra à l'armée et la police irakienne pour pénétrer dans la deuxième ville du pays, en chasser les jihadistes qui se fondront sûrement en partie dans la population, et y restaurer durablement leur autorité. Le lancement de l'offensive a été plusieurs fois annoncé puis retardé depuis que le Premier ministre Haider al-Abadi avait appelé, en mars 2016, ses troupes à libérer la province de Ninive, dont Mossoul est la capitale. En raison de dissensions entre les différentes forces en présence mais aussi de querelles politiques à Bagdad au sein du gouvernement et du Parlement. Avec l'appui essentiellement aérien des forces de la vaste coalition internationale anti-EI emmenée par les Etats-Unis, mais aussi de l'Iran par la présence de forces paramilitaires soutenues sur le terrain par l'armée iranienne, les forces loyalistes ont progressé pas à pas depuis mars pour se rapprocher de Mossoul, à partir de la base de Makhmour, à 20 km des lignes jihadistes. Tandis que les peshmergas, les forces de sécurité de la région autonome du Kurdistan irakien, progressaient au nord de Mossoul. Momentanément détournées par la reprise à l'EI en juin de Fallouja, deuxième bastion des jihadistes, près de Bagdad, les forces irakiennes ont de nouveau réalisé une percée en juillet en s'emparant de la base aérienne de Qayyarah à une soixantaine de km de Mossoul, un verrou stratégique qui leur sert de base logistique vitale dans l'offensive déclenchée lundi. Une multitude d'acteurs Le nombre d'acteurs impliqués dans la bataille de Mossoul est vertigineux: l'armée irakienne, le fameux et redouté service du contre-terrorisme, la police fédérale et locale, les milices chiites dont beaucoup obéissent aux ordres de Téhéran, les peshmergas, la Turquie, les Etats-Unis et les pays de la coalition internationale... Les troupes irakiennes pourront compter sur la couverture des avions de la coalition internationale et l'envoi de 600 soldats américains supplémentaires, portant à 4.600 le nombre de militaires dépêchés par Washington en Irak. Des soldats turcs sont également présents sur une base militaire près de Mossoul et au Kurdistan. Leur présence est un des principaux éléments cités par les experts pour expliquer le retard du lancement de l'offensive: Bagdad exigeait leur retrait mais la Turquie veut absolument participer à l'offensive à divers degrés, soucieuse de limiter la montée en puissance des Kurdes à sa frontière et de restaurer une certaine influence passée sur la région de Mossoul et ses richesses, qu'elle considère comme son pré carré. Les peshmergas ont avancé au-delà des frontières de la région autonome du Kurdistan et Ankara s'inquiète aussi de voir les milices chiites pro-Abadi et sous influence iranienne avancer vers Mossoul, majoritairement sunnite. L'avertissement de M. Abadi lundi en dit long sur ces contentieux: seules l'armée et la police irakienne seront autorisées à entrer dans Mossoul. Combats de rue Comment reprendre Mossoul aux jihadistes ? Dans ses dernières heures, la bataille se réduira certainement à des combats rapprochés rue par rue, face aux 3.000 à 4.500 combattants de l'EI selon les estimations de la coalition internationale, dans une ville qui compte encore 1,5 million d'habitants pour lesquels l'ONU redoute un drame humanitaire. Les forces irakiennes, si elles suivent la même tactique qu'à Tikrit et Ramadi, respectivement reprises en mars 2015 et février 2016, vont encercler la ville avant de lancer l'assaut final. Les forces d'élite du contre-terrorisme pourraient être de nouveau en première ligne. Avant de gagner l'épicentre jihadiste, les forces irakiennes devront percer sur plusieurs dizaines de kilomètres le territoire sous contrôle de l'EI. Les forces anti-EI auront face à eux des jihadistes ayant eu deux ans pour préparer la défense de leur dernier grand bastion. Il est très probable qu'ils utilisent des snipers, des voitures piégées et minent le terrain pour ralentir l'avancée des troupes irakiennes. Contre les frappes de la coalition, l'EI pourrait également utiliser la population comme bouclier humain. Spectre d'une crise (autre) humanitaire La bataille pour reprendre Mossoul aux jihadistes pourrait déclencher une crise humanitaire sans précédent susceptible de jeter sur les routes des centaines de milliers de civils aux prémisses de l'hiver, craignent les Nations unies. Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d'urgence de l'ONU, Stephen O'Brien, s'est dit «extrêmement préoccupé par la sécurité de 1,5 million de personnes vivant à Mossoul qui pourraient être touchées par les opérations militaires». «Nous faisons tout notre possible pour que toutes les mesures soient prises dans le cas du pire scénario humanitaire. Mais nous craignons qu'il y ait encore beaucoup à faire», admet Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l'ONU pour l'Irak. «Dans le pire des cas, nous allons littéralement vers la plus grande opération humanitaire dans le monde en 2016», et selon l'ONU un million de personnes pourraient être déplacées en quelques semaines. «Il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150.000 personnes à la fois», souligne Mme Grande. Le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) espère pouvoir disposer de 11 camps d'ici la fin de l'année avec une capacité de 120.000 personnes, tandis que les autorités irakiennes pensent pouvoir en accueillir 150.000 dans d'autres camps. Les civils fuyant Mossoul ne pouvant probablement rien apporter avec eux, les produits de première nécessité comme la nourriture, l'eau ou les vêtements devront leur être fournis. «Beaucoup d'entre eux devraient quitter Mossoul avec pour seules affaires des vêtements sur le dos», prévient Becky Bakr Abdulla, du Conseil norvégien pour les réfugiés. Malgré l'ampleur massive de l'opération humanitaire nécessaire pour aider les personnes fuyant Mossoul, le financement est un problème majeur: sur les quelque 367 millions de dollars (334 millions d'euros) requis, moins de la moitié a été fournie par les bailleurs de fonds.