Après une longue absence, Salima Ben Moumen revient au théâtre avec “Jrada Malha“, une pièce qui sera jouée par la troupe de la région Tanger-Tétouan, ce mercredi, au Théâtre Mohammed V à Rabat à 21 h. L'intéressée s'explique sur la fausse légèreté de cette pièce où elle a donné corps à sa vision minimaliste du théâtre. ALM : Cela fait bien longtemps que vous vous tenez à l'écart. Certains ont même parlé d'un purgatoire. Est-ce fini ? Salima Ben Moumen : J'ai eu de nombreux problèmes. J'en ai déjà parlé et ne souhaite plus y revenir, maintenant que ma situation est réglée. Ce n'est pas par pudeur ou par peur de remuer le couteau dans la plaie, mais parce que j'ai perdu trop de temps et d'énergie avec ces problèmes. Aujourd'hui, je ne regarde que vers l'avenir et souhaite seulement parler de mon travail. Cette pièce a été d'abord rédigée en français, avant la version définitive en arabe ? J'ai d'abord intitulé la première version de la pièce “Le nègre et la femme du négrier”. Je l'avais rédigée en français et les premiers extraits que j'ai publiés dans la presse ont été à l'origine d'un malentendu. De nombreuses personnes pensaient que je parlais de négritude ou de la traite des Noirs, alors que j'ai utilisé le terme “nègre“ au sens littéraire, c'est-à-dire quand une personne écrit anonymement les ouvrages signés par une autre. J'ai été obligée de revoir ma copie et d'écrire de nouveau la pièce en arabe dialectal. Je la trouve d'ailleurs nettement meilleure, parce que l'arabe marocain permet à mes personnages de communiquer des émotions avec des mots qui sont près de la réalité. En d'autres termes, la langue parlée dans la scène ne crée pas de distance entre la représentation et la langue quotidienne des spectateurs. “Jrada Malha“ est un titre léger. Est-ce voulu ? Oui, c'est le titre d'une chansonnette que tous les enfants connaissent. Le choix de ce titre est délibéré, parce que j'ai voulu traiter sur un ton léger une situation grave. Les sujets poignants, les situations aiguisées et les personnages écorchés ne peuvent être montrés sur scène comme des quartiers de viande saignants. Il faut de la légèreté et du burlesque pour que la détresse d'un personnage ne heurte pas le spectateur. Au théâtre, l'irruption d'un sentiment au moment où un personnage met tout en œuvre pour le cacher touche infiniment plus que s'il se lamentait en s'arrachant les cheveux. N'avez-vous jamais remarqué que rien n'est plus troublant que les larmes qui coulent sur les joues d'un clown, effaçant silencieusement son maquillage ? Combien de personnages jouent dans la pièce, et que se disent-ils à la fois de si léger et de si grave ? Deux personnages, un homme et une femme, parlent à cœur ouvert pendant une nuit. La femme est envoyée par son mari, un écrivain à succès, pour doper l'ardeur de son nègre en mal d'inspiration. L'écrivain à succès est obligé de remettre dans de très brefs délais le manuscrit au comité de lecture d'une grande maison d'édition. Il demande à sa belle et jeune femme de tout faire pour porter son nègre à l'écriture. Elle s'invite au logis misérable du nègre. Désespéré, ce dernier cherchait un témoin, avant d'attenter à sa vie. C'est le créateur qui a absolument besoin d'un regard extérieur, fut-ce pour mettre un point final à sa vie. La conversation des deux personnages est truffée de considérations burlesques, absurdes sur de grands sujets comme la mort et de petits riens. Deux personnages jouent seulement dans “Jrada Malha“. Auriez-vous une vision minimaliste du théâtre ? Oui, on peut dire cela. Je vais à l'essentiel, mais sans appauvrir le langage scénique. La scénographie a été confiée à cet égard à l'artiste plasticien contemporain Hassan Echaïr. L'éclairage à Abdelmajid El Haousse qui est l'un des plus grands scénographes au pays. Le fait qu'il s'occupe seulement de l'éclairage en dit long sur mon souci de rendre parlante la lumière dans cette pièce. Je pense avoir fait un travail complet. Au public d'en juger. Mais d'emblée, je peux dire que j'ai tout investi pour qu'il vive un intense moment théâtral.