Au lendemain de la victoire du « Front islamique de salut » (FIS), aux élections locales en 1990, en supplantant le FLN dans la plupart des grandes villes, y compris Alger, le chef du FIS, Abbassi Madani, décédé mercredi à Doha, où il s'était volontairement exilé, s'était employé à rassurer la communauté internationale et surtout les pays voisins. Interrogé par des journalistes sur le point de savoir s'il ne redoutait pas « une intervention militaire » marocaine, en cas de victoire de son parti, Abbassi Madani avait alors affirmé que cette hypothèse ne serait pas celle du « digne successeur de Mohamed V, que Dieu l'agrée », une formule généralement réservée aux seuls compagnons du Prophète. Ce fut un message on ne peut plus clair à destination du Roi Hassan II qui se serait dit qu'après tout, le FIS ne serait pas pire que le FLN qui, pendant 40 ans, n'a pas montré de disposition à servir les intérêts des peuples marocain et algérien et, partant, la construction du Maghreb. Cette formule avait été hautement appréciée alors à Rabat. Madani entendait ainsi rassurer les pays voisins, mais aussi dissiper leurs craintes, quant aux déclarations qui fusaient de toutes parts, parmi les radicaux du mouvement, selon lesquelles les Islamistes algériens, une fois au pouvoir à Alger, tenteraient de conquérir le Maghreb, et de rétablir le Khalifat islamique dans toute la région. Pendant ce temps, la situation ne s'était guère améliorée dans le pays, au plan économique et social. L'Algérie, qui résistait aux réajustements recommandés du Fonds Monétaire International (FMI), était donc acculée à négocier avec les instances financières internationales. Le FIS qui venait d'être crée, quelques mois plutôt (mai 1989), dans le sillage de l'ouverture politique et du multipartisme, décrétés en Algérie, au lendemain des évènements sanglants d'octobre 1988, remportait les grandes villes dont Alger, démantelant le vieux slogan démagogique du FLN « pour le peuple et par le peuple » auquel s'est substitué « mairie islamique ». Quelques jours avant la visite du Roi Hassan II à Alger, en juillet 1990, pour assister à un Sommet maghrébin, Abassi Madani avait sollicité une audience royale, en adressant une requête à l'ambassade du Maroc. Le Souverain avait effectué ce voyage à bord du bateau «Le Marrakech». Le rendez-vous avait été donné à Abassi Madani, noyé dans d'autres audiences accordées à plusieurs autres leaders de partis politiques algériens. Le bateau royal avait largué les amarres au port de Tanger, alors que tous les chefs d'Etat maghrébins étaient déjà sur place à Alger. Il fallait donc pour le bateau quelques 36 heures pour accoster au port d'Alger. Pourquoi n'avait-il pas pris l'avion ? Les autres Chefs d'Etat étaient déjà arrivés ! s'interrogeaient surtout les journalistes algériens. C'est le Président algérien qui avait fini par convaincre le Roi Hassan II de faire le voyage. La Tunisie venait d'expulser plusieurs centaines de Marocains, ce qui avait conduit le Roi à boycotter ce Sommet. Le Chef de l'Etat algérien avait alors fini par convaincre le Roi Hassan II de participer à ce Sommet et à mettre à profit cette tribune pour s'expliquer directement avec le Chef de l'Etat tunisien. Zine El Abidine Ben Ali avait dû d'ailleurs quitter Alger, immédiatement après l'ouverture du Sommet. Au port d'Alger, au deuxième jour de sa visite, le monarque avait décidé de prendre sa voiture personnelle pour rejoindre le Club des Pins, alors que le cortège officiel algérien était aligné sur le quai. La porte du garage s'ouvre et le chauffeur du Roi, en tablier blanc et portant un Fez, monta à bord de la voiture. Un douanier algérien se poste devant la sortie pour s'opposer au mouvement, pour probablement exiger l'accomplissement des formalités administratives préalables d'admission temporaire. Le douanier ignorait certainement que Hassan II, lors de ses voyages à l'étranger, embarquait avec lui ses voitures personnelles. On l'avait vu à Paris, à bord de ses voitures personnelles, avec leur immatriculation marocaine. Au bout du compte, le chauffeur royal avait réussi à sortir la voiture royale, sans se soucier des injonctions du douanier algérien. A l'étage, au niveau de la passerelle qui menait au bateau, le propriétaire d'une boutique de souvenirs attendait à nouveau la visite du Roi Hassan II, qui était déjà passé par là, en 1988. Il exposait derrière le comptoir une photo-souvenir qui avait été prise avec le défunt Roi, lorsqu'il avait fait des emplettes dans cette boutique. Le Roi avait raflé l'essentiel des articles, nous avait-il confié. En 1988, le Roi était déjà allé à Alger pour participer au Sommet arabe extraordinaire. Un incident avait failli provoquer le retrait du Roi Hassan II. Un élément du Polisario avait été aperçu dans le hall de l'hôtel El Aurassi, qui abritait le Sommet arabe. Dès que l'information fut communiquée au Souverain, il décida de renoncer à sa participation à l'ouverture des travaux. Je n'étais pas présent à Alger, à l'époque. On m'a rapporté que le Président Chadli Bendjdid avait dépêché des émissaires au port pour dissuader le Roi de sa décision, le représentant du Polisario ayant été préalablement expulsé des lieux. La délégation du FIS devait comprendre notamment Cheikh Ali Belhadj et Benazzouz Zebda, ancien directeur du journal Al Mounquid. Le chef de file du FIS, qui avait convenu avec Belhadj de se retrouver au port d'Alger, sur les lieux du rendez-vous, était arrivé un peu plus tôt. Il avait alors été immédiatement introduit sur le bateau. Quand Ali Belhadj arriva sur les lieux, c'était trop tard. Il était tout simplement reparti. Abassi Madani s'était-il présenté volontairement à l'avance pour éviter la compagnie de son second dont le discours et les sorties étaient imprévisibles ? Quelques jours plus tôt, Madani recevait le chef du Polisario à Alger, Mohamed Abdelaziz, mais le FIS ne montrait pas de sympathie pour les dirigeants de ce mouvement séparatiste, qu'il savait inféodés au pouvoir algérien. Rien n'avait filtré de ses entretiens avec le Souverain, ni de sa rencontre avec le chef du Polisario. Mais, il semblerait que sa rencontre avec Mohamed Abdelaziz était liée à l'audience royale. *journaliste et écrivain,Auteur de « Maroc-Algérie : la méfiance réciproque »–