Du 17 au 19 octobre 2025, Bouznika a été le théâtre d'un moment politique à double lecture. Le 12e congrès de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) s'y tient dans une ambiance à la fois introspective et exposée aux regards extérieurs. Si les débats internes ont porté sur la refondation d'un projet politique en perte de vitesse, l'événement a aussi été marqué par une présence inattendue : celle du chef du gouvernement, accompagnée de plusieurs figures de la coalition majoritaire. Un parti en quête de sens Depuis plusieurs années, l'USFP peine à retrouver l'influence qui fut la sienne à l'époque où il incarnait la voix d'une gauche marocaine structurée, ancrée dans les luttes sociales et les grands équilibres institutionnels. Ce congrès a donc été conçu comme une tentative de relance. Des commissions thématiques ont été mises en place, des ateliers de réflexion organisés, et un effort collectif déployé pour formuler une vision renouvelée – plus en phase avec les attentes d'une société en mutation rapide. Les sujets abordés allaient de la justice sociale à la transition écologique, en passant par la réforme de l'éducation et la décentralisation effective. L'objectif affiché : sortir d'un discours perçu comme figé, et reconnecter le parti à une base militante érodée, notamment parmi les jeunes. Un quatrième mandat entériné Au cœur de cette dynamique de renouvellement, une décision centrale a été prise : le maintien du premier secrétaire actuel à la tête du parti pour un quatrième mandat consécutif. Cette reconduction, largement anticipée, a été validée par les congressistes, confirmant une ligne de continuité plutôt que de rupture. Si certains milieux internes appelaient à une relève plus marquée, la majorité a préféré miser sur l'expérience et la stabilité, dans un contexte politique incertain. Cette décision n'est pas sans ambiguïté. Elle illustre à la fois la confiance que les militants accordent à leur dirigeant, mais aussi les difficultés structurelles du parti à produire une nouvelle génération de cadres capables de porter une alternative crédible. La majorité en observateur... ou en influenceur ? Ce qui a surtout retenu l'attention, au-delà des débats internes, c'est la forte présence des responsables de la coalition au pouvoir. Le chef du gouvernement a lui-même fait le déplacement, entouré de hauts représentants des partis qui composent la majorité. Officiellement, il s'agissait d'un geste de courtoisie envers un parti historique du paysage politique national. Mais dans les couloirs, beaucoup y ont vu bien plus qu'un simple protocole. Cette proximité visible entre un parti d'opposition et les têtes de la majorité soulève des questions. Est-ce le signe d'une normalisation des rapports politiques, où les clivages traditionnels s'écrasent au profit d'un dialogue constant ? Ou s'agit-il d'une stratégie plus subtile, visant à neutraliser toute velléité de contestation en maintenant des liens étroits avec les courants critiques ? Quoi qu'il en soit, cette présence a donnée au congrès une dimension paradoxale : un moment censé marquer le retour d'une voix indépendante s'est déroulé sous l'œil bienveillant – voire vigilant – de ceux qui détiennent aujourd'hui les rêves du pouvoir exécutif. Entre fidélité au passé et adaptation au présent Le congrès de Bouznika reste donc comme un moment charnière, mais incertain. L'USFP a réaffirmé son existence, clarifié ses ambitions programmatiques, et confirmé sa direction. Pourtant, il n'a pas totalement tranché la question fondamentale : veut-il redevenir une force d'opposition claire et distincte, ou se contenter d'occuper une place de partenaire critique dans un système où les frontières idéologiques s'estompent ? Dans un paysage politique marocain de plus en plus marqué par le pragmatisme et les arrangements discrets, ce congrès illustre les dilemmes auxquels sont confrontés les partis traditionnels : comment se renouveler sans se perdre, critiquer sans s'isoler, et exister sans être instrumentalisé ? La réponse, l'USFP ne l'a pas encore pleinement donnée – mais il a au moins montré qu'il entendait rester dans la partie. *Chercheur en Sciences Politiques