Des figures bavardes du militantisme ne se sont pas manifestées avec la fermeté attendue dans le cas de l'écrivain français d'origine algérienne Boualem Sansal. Reda Benchemsi, Aziz Ghali, l'association Himam ou encore les porte-voix de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) se sont illustrés par leur mutisme. La défense des libertés individuelles, pourtant proclamée comme une cause universelle, se heurte ainsi à une application sélective, où certains cas entraînent une mobilisation intense tandis que d'autres sont relégués dans l'ombre. Le tribunal correctionnel de Dar El Beida, près d'Alger, a rendu jeudi 27 mars, son verdict dans l'affaire Boualem Sansal. L'écrivain franco-algérien de 80 ans a été condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende de 500 000 dinars algériens (environ 36 000 dirhams). Son incarcération, qui remonte à novembre 2024, s'inscrit dans un contexte où la liberté d'expression demeure sous étroite surveillance en Algérie. Poursuivi pour «atteinte à l'intégrité du territoire national», M. Sansal a été jugé pour avoir exprimé, dans un entretien accordé à un média français, une position historique considérée comme attentatoire aux intérêts de l'Etat algérien. Ses propos, perçus comme une remise en cause des frontières héritées de la colonisation française, s'opposent aux dogmes officiels du régime kaki. Lors de l'audience du 20 mars, le parquet avait requis une peine de dix ans d'emprisonnement, une lourdeur qui traduisait la volonté des autorités d'imposer une sanction exemplaire. Le tribunal a finalement prononcé une peine réduite de moitié, tout en maintenant l'objectif dissuasif du jugement. Derrière cette condamnation, une volonté politique se dessine clairement : rappeler que toute divergence avec la ligne officielle sur les sujets régaliens, et en particulier la question des frontières et de l'identité nationale, entraîne des conséquences judiciaires sévères. Un silence révélateur des incohérences du militantisme des droits humains Au-delà des réactions officielles, cette affaire fait ressortir une réalité troublante : l'absence totale de réaction ferme des organisations internationales et des figures les plus actives dans la défense des droits humains, tant à l'étranger qu'au Maroc. Amnesty International et Human Rights Watch, habituellement prompts à dénoncer injustement le Maroc, n'ont jusqu'ici émis aucun communiqué sur le cas de Boualem Sansal. Ce mutisme contraste fortement avec leur engagement dans d'autres affaires similaires, révélant un déséquilibre flagrant dans la hiérarchisation des causes défendues. Cette posture sélective se retrouve également dans le silence de quelques noms qui, lorsqu'il s'agit de certains détenus, multiplient les appels à la mobilisation. Les noms de Reda Benchemsi, Aziz Ghali, Fouad Abdelmoumni, Maati Mounib, Khadija Ryadi, l'Association marocaine des droits humains (AMDH) reviennent systématiquement lorsqu'il est question de libertés fondamentales. Pourtant, aucune de ces voix n'a jugé opportun de dénoncer la condamnation de Boualem Sansal, démontrant ainsi que la défense des droits humains est trop souvent dictée par des considérations idéologiques et géopolitiques plutôt que par un engagement universel. Pire, Human Rights Watch a préféré prendre la défense de Fouad Abdelmoumni et de Hicham Jerando, malgré les affaires pénales qui obscurcissent leur horizon judiciaire. Et pire encore, Slimane Raissouni a choisi la voie de l'antisémitisme pour se désolidariser de Sansal, accusé de sioniste et ne méritant aucun soutien. Comme si les droits humains n'étaient pas universels! Une élasticité facile à comprendre : l'ennemi de Rabat est mon ami Les facteurs explicatifs d'un tel mutisme sont aisés à démêler. L'affaire Sansal ne s'inscrit pas dans une typologie de cause facilement récupérable par ces organisations. Son profil – écrivain âgé, de double nationalité, poursuivi sur une base politique – ne correspond pas aux figures souvent rentables. Un facteur rarement évoqué : M. Sansal a commis le crime des crimes : avoir défendu l'intégrité territoriale historique du Maroc. Or, le régime algérien et les engagés de convenance ont un point en commun : ils sont d'ardents avocats de la partition du royaume. Omar Radi a ouvertement défendu le Polisario sur la BBC en 2019, Soulaiman Raissouni, Ali Lmrabet et d'autres soutiennent les thèses séparatistes à degrés variables et proclament que les provinces sahariennes sont distinctes du Maroc. Aziz Ghali s'est désolidarisé en décembre 2024 du plan marocain d'autonomie. Hamid Elmahdaouy utilise le dossier du Sahara pour gagner de l'argent et attaquer ses détracteurs tandis que Hassan Bennajeh prône les idées radicales que le Maroc et ses alliés combattent sans coup férir à l'échelle régionale. Ce silence est plus qu'une simple omission : il signe la duplicité d'un militantisme de façade qui a renoncé à son exigence d'universalité. Si les droits humains sont réellement inaliénables et ne souffrent d'aucune exception, alors toute atteinte à ces principes, d'où qu'elle vienne, doit être dénoncée avec la même rigueur. En modulant leur indignation selon la nature du régime en cause, les organisations qui se revendiquent de cette défense s'exposent à un soupçon dévastateur : celui d'orienter la cause des libertés en fonction d'agendas politiques. Ce naufrage moral n'est pas sans conséquences. En refusant de s'élever avec la même vigueur face à toutes les oppressions, ces militants affaiblissent leur propre combat. Ils offrent aux régimes qu'ils dénoncent un argument de poids : celui de leur tromperie permanente. L'affaire Boualem Sansal, bien plus qu'un cas individuel, est un révélateur des contradictions d'un activisme qui, sous couvert de principes, agit désormais au gré des circonstances.