Les militaires ont ceci d'exceptionnel qu'ils peuvent rester immobiles des heures. Sans bouger. La classe politique actuelle semble s'inspirer de ces vaillants bonshommes. Sauf qu'elle est mauvaise copiste. Son immobilisme dure depuis déjà deux mois. Deux mois que le Maroc politique dérive. Certes, il y a un capitaine à bord, mais le gouvernail semble bien trop grand pour lui, au point qu'il n'arrive plus à maintenir le bon cap. Imperturbable, il a les yeux rivés sur la proue, pendant qu'à tribord les marins mutins s'agitent. A bâbord, le reste de l'équipage est dans l'expectative. Une sérénité qui contraste avec la gravité de la situation. Il faudra bien, à un moment ou à un autre (et le plus tôt sera le mieux), qu'il tranche sec : rester droit dans ses bottes, comme un militaire, en refusant tout dialogue avec ces esprits rebelles, ou parlementer avec les mutins pour trouver un compromis et essayer de reprendre le contrôle de son navire. Reste que, pour quelqu'un que l'on dit peu adepte du dialogue, il est bien difficile d'accepter un compromis qui risque de... compromettre son autorité. Une autorité à laquelle il semble fortement attaché. Mais la situation aurait été plus «simple», ou plus tôt plus lisible pour tout le monde si au moins tous les marins mutins, dès lors qu'ils ont désavoué leur capitaine, étaient allés jusqu'au bout de leur conviction en se jetant par-dessus bord. Ce qu'ils n'ont pas fait. Par manque de courage ? Sont-ils bons nageurs ? On ne sait pas. En tout cas, cela fait 60 jours qu'ils tiennent l'opinion publique en haleine. C'est comme quelqu'un qui vous dit : «Retenez-moi, je vais me suicider !». Aujourd'hui, la vraie-fausse crise gouvernementale que traverse le Maroc irrite passablement les observateurs. A cause de l'entêtement de deux fortes têtes, c'est toute l'économie nationale qui est actuellement prise en otage. Le capitaine Benkiran est resté stoïque sur sa ligne de défense : le silence, avançant comme seules arguties le fait que les institutions du pays continuent de fonctionner normalement. Chabat, chef des mutins, lui, lance des cris d'orfraie, menace, sans jamais rappeler ses jeunes mousses pour quitter le navire. Au final, règne une bien silencieuse... cacophonie, savamment entretenue par le PJD et le parti de l'Istiqlal. Le combat Il fut un temps où c'est grâce au duel que se lavait l'affront. Aujourd'hui, ce serait «anticonstitutionnel» (sic) de faire descendre Hamid Chabat et Abdel-lah Benkiran dans l'arène. D'ailleurs, on ne peut pas dire qu'ils aient des attributs d'athlètes, quoique Chabat semble être dans de meilleures dispositions. A priori seulement ! Ce combat pourrait être quand même intéressant ! Mais, entre gens civilisés, il faut se garder surtout de bander les muscles et de privilégier plutôt... la bonne réflexion. Et celle-ci voudrait que, pour l'intérêt du Maroc, le PJD et le PI mettent... du sucre dans leur «athay» (thé) pour continuer ensemble le travail déjà entamé. Assez rapidement ! Ce qui, visiblement, ne se fera pas, puisque le PI a demandé avant-hier à ses six ministres de donner leur démission (voir page 17). Une situation qui va conduire, inéluctablement, à une perte de temps très dommageable pour le Royaume, surtout sur le plan économique. Car, faute de compromis, et si Benkiran est dans l'incapacité de former une nouvelle majorité, il faudra faire appel à l'arbitrage ultime, c'est-à-dire celui du peuple : on jette tout le monde par-dessus bord et on procède à des élections législatives anticipées afin de former un nouvel équipage. Cela va être coûteux, long à mettre en place et l'issue reste très aléatoire. Et on risquera, encore une fois, de se retrouver avec un jeu d'alliances afin de pouvoir dégager une majorité gouvernementale. Pendant ce temps-là... Actuellement, un remaniement ministériel n'est pas à écarter, encore moins des législatives anticipées. Conséquence : les ministres assurent le service minimum, l'esprit encombré par l'arithmétique politicienne, l'appel des vacances estivales et l'ambiance des soirées ramadanesques. Tout le monde semble être sur une chaise éjectable. Et celui qui ne sait pas nager risque fort d'être emporté par les flots du changement. Et il se dit qu'il y en a un en particulier, Mohamed El Ouafa, ministre de l'Education nationale, pour ne pas le citer, qui se noierait même dans une baignoire. Raison pour laquelle, contre vents et marées, il s'accrocherait à la rambarde du navire Benkiran, quitte à s'attirer les foudres de Chabat. Qui n'aurait pas fait de même pour sauver sa peau ?! (sic).