Pour lutter contre l'évasion fiscale, la Direction générale des impôts prévoit de renforcer les effectifs de 400 postes, dont une centaine pour le contrôle fiscal. L'administration accorde de plus en plus d'importance à l'analyse risque. Le ratio de la pression fiscale a été contenu dans une moyenne de 21%, ce qui est proche des taux observés au niveau international. Abdellatif Zaghnoun, Directeur de la DGI, décortique le phénomène de la fraude fiscale, tout en éclairant sur l'approche adoptée par son staff pour l'éradiquer. Finances News Hebdo : Le phénomène de la fraude fiscale continue à hanter le système économique. En matière de contrôle fiscal, quelles sont les mesures déployées par la DGI pour mener à bien sa mission ? Abdellatif Zaghnoun : A l'instar des systèmes fiscaux modernes, celui marocain est un système déclaratif. De ce fait, le contrôle fiscal devient un corollaire indispensable à l'équilibre de ce système. Outre sa finalité budgétaire, il est un levier fondamental pour promouvoir l'équité fiscale et rétablir les conditions d'une concurrence saine entre les entreprises. C'est pour toutes ces raisons que des prérogatives ont été accordées à l'administration fiscale pour mener à bien cette mission. Dans ce cadre, des progrès importants ont été réalisés ces dernières décennies en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, ce qui s'est traduit par un accroissement important des opérations et du rendement du contrôle fiscal. Nous avons ainsi mis l'accent sur deux leviers majeurs d'amélioration de nos performances en la matière. Le premier concerne le renforcement des ressources humaines en charge de cette mission, tant au niveau des effectifs qu'au plan des compétences. Ainsi, en 2014, il est prévu de renforcer les effectifs dédiés à la DGI de 400 postes, dont une centaine pour le contrôle fiscal. Cet effort est appelé à se poursuivre dans les années à venir. L'expertise des vérificateurs est également consolidée à travers la formation et la coopération internationale. Dans ce cadre, la DGI est en phase de finaliser un guide de vérification qui constituera un outil essentiel pour la rationalisation et l'harmonisation du travail de contrôle. Le deuxième levier a trait à l'accroissement de notre efficacité au plan opératoire. Je signalerai : L'informatisation des opérations de contrôle fiscal aux différents stades, notamment la sélection des dossiers à contrôler par le recours à l'analyse risque (un outil a été acquis et est en cours de déploiement) et la conduite des diligences de contrôle grâce à l'outil d'aide à la vérification qui est en cours de mise à la disposition des vérificateurs ; Le développement des synergies à travers l'intensification des échanges entre les différentes administrations notamment, l'Administration des Douanes, l'Office des Changes, la TGR et la CNSS ; La diversification des modes opératoires du contrôle fiscal avec, entre autres la multiplication des contrôles ponctuels. F.N.H. : Quels sont à votre avis les facteurs explicatifs de l'évasion fiscale au Maroc ? Est-ce que la Direction Générale dispose d'une étude dans ce sens ? A. Z. : L'évasion fiscale, dans le sens large du terme, s'explique par plusieurs facteurs liés tant au système fiscal lui-même et son environnement qu'au comportement du contribuable et son degré de civisme fiscal. A cet égard, on peut citer, notamment, l'insuffisance de culture du civisme fiscal et les faiblesses au niveau de la transparence de l'environnement des affaires, face à des moyens humains, logistiques et informationnels de l'administration qu'il convient de renforcer. Ces différents aspects sont régulièrement diagnostiqués par la DGI. C'est sur la base de ces évaluations que la DGI a élaboré son plan d'action stratégique pour traiter de façon efficace la problématique de la fraude et de l'évasion fiscale. F.N.H. : Quel est le bilan financier des opérations de contrôle fiscal et comment ont-elles contribué au renflouement des caisses de l'Etat ? A. Z. : Les recettes générées par le contrôle fiscal ont connu un accroissement soutenu au cours des dernières années, passant de 5,4 milliards de dirhams en 2008 à 9,7 milliards en 2013, alors que le nombre de vérificateurs a connu une baisse durant la même période, due notamment à l'opération de départ volontaire à la retraite. Les données suivantes (voir tableau) illustrent l'évolution des recettes du contrôle fiscal sur pièces et sur place, au titre de la période allant de 2008 à 2013 (en millions de DH). F.N.H. : Sur quels critères se base le choix des entreprises à vérifier et à contrôler ? Et sur quels éléments se base l'administration fiscale pour arrêter son programme annuel de contrôle ? A. Z. : La programmation des contrôles au sein de l'administration fiscale obéit à une démarche basée sur l'analyse du risque et l'importance de l'enjeu fiscal. Les contribuables qui font l'objet de programmation sont sélectionnés sur la base d'une grille de critères associant plusieurs variables qui dénotent des discordances et des incohérences dans les déclarations fiscales déposées. Cette démarche d'analyse risque sera bientôt enrichie par la mise en place de deux outils informatiques, permettant, à la fois, la maitrîse des circuits d'élaboration des programmes de vérification et la formalisation de la grille des critères d'analyse du risque. F.N.H. : Comment a évolué la pression fiscale au cours de la dernière décennie et quelle place occupe aujourd'hui le Maroc à l'échelle internationale ? A. Z. : La fraude fiscale, comme souligné auparavant, est un phénomène social complexe. Il ne peut s'expliquer par un seul facteur. En outre, la pression fiscale, elle-même, a une signification différente d'un Etat à un autre et les méthodes de calcul de ce ratio ne sont pas uniformisées au niveau international. Par ailleurs, au Maroc, de 1982 à 2012 et à l'exception de l'année 2008, année pendant laquelle le taux de pression fiscale a dépassé 25%, ce ratio a été contenu dans une moyenne de 21%, ce qui est proche des taux observés au niveau international. A ce propos, force est de constater que la pression fiscale au Maroc connaît, depuis 2007, une baisse consécu-tive aux réformes fiscales ayant notamment concerné l'impôt sur le revenu et l'im-pôt sur les sociétés. F.N.H. : La fraude fis-cale biaise la concur-rence entre les opé-rateurs économiques. Jusqu'à quel degré le contrôle fiscal peut-il y remédier ? A. Z. : L'objectif de sauve-garder les conditions d'une concurrence saine entre les opérateurs économiques constitue l'une des cibles fondamentales du contrôle fiscal. Sa mission première est la lutte contre la fraude sous toutes ses formes. Elle s'accompagne d'un rôle formateur et pédagogique qu'elle assure auprès des entreprises. F.N.H. : La fraude concerne également les multinationales qui usent de plusieurs astuces pour échap-per au paiement de l'impôt. Un défi de taille pour un pays comme le Maroc ? A. Z. : Effectivement la fraude revêt de nos jours, de plus en plus, une dimension transfrontalière à travers, notamment, l'activité des entreprises multinationales et les défis qu'elle peut poser en termes d'érosion de ces bases d'imposition par le biais, en particulier, des prix de transfert. Le Maroc n'échappe pas à ces défis. C'est la raison pour laquelle la coopération entre pays est cruciale pour faire face à cette forme transfrontalière de la fraude. Le Maroc, par le biais de son réseau important de 50 conventions fiscales en vigueur et sa participation au Forum mondial pour la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, se donne les moyens de contribuer à contrecarrer cette fraude fiscale internationale.