La BCM a acquis 100% du capital d'OGM appartenant à Sopar au prix de 2,081 Mds de DH. L'opération sera intégralement financée par la BCM. Le devenir de Axa Assurance Maroc et des participations détenues par Wafabank dans Crédit du Maroc ne sont pas clairement établis. Abdelhak Kettani s'en va sans les honneurs. Les termes de l'une des plus importantes opérations financières du Royaume ont été dévoilés lundi dernier au cours d'une conférence de presse marathon tenue au siège de la Banque Commerciale du Maroc. M. Khalid Oudghiri, P-DG de la BCM, et Saâd Kettani, P-DG de Wafa Assurance, ont en effet essayé d'expliquer à la presse nationale les tenants et aboutissants de ce deal qui, tout comme il suscite l'enthousiasme de certains, laisse encore une large frange de la communauté des affaires perplexe. Selon le communiqué officiel, la BCM a acquis 100% du capital d'OGM appartenant à Sopar au prix de 2,081 Mds de DH. L'opération sera intégralement financée par la BCM qui dispose, selon M. Oudghiri, d'un excédent de l'ordre de 3,2 Mds de DH. Ce contrôle implique l'acquisition conjointe de Wafa Corp et de Wafa Assurances et une part des actions détenues par OGM dans ces dernières bénéficie de droits de vote double (voir graphique). Le nouvel ensemble BCM-Wafabank aura une position dominante sur le système bancaire avec des parts de marché de 22,1% en terme de total bilan (N°2), 30,1% au niveau des fonds propres (N°1), 22,1% en ce qui concerne les crédits à l'économie (N°1)... Tout autant, il constituera, d'après le classement établi en 2002 par Euromoney sur la base des fonds propres, la première banque du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) et la 8ème d'Afrique. Pour M. Oudghiri, ce rapprochement est donc source de productivité au regard des synergies qui peuvent être développées tant au niveau de la clientèle et des métiers et permettra à la BCM de maintenir le cap en termes de rentabilité financière, de coefficient d'exploitation, etc. Il constitue surtout une première étape vers la constitution «Champion national» de la banque et de la finance tant désiré par Oudghiri. Dans ce sens, les grandes lignes de l'orientation générale de la nouvelle entité ont été d'ores et déjà circonscrites. Il s'agira, entre autres, de mettre en place des fonds d'investissement multi-sectoriels, d'accompagner les PME-PMI dans le cadre de leur mise à niveau et d'uvrer pour augmenter le taux de bancarisation du pays qui reste, au demeurant, relativement faible (25%). Un travail préalable sera toutefois mené afin que le rapprochement se passe dans les meilleures conditions possibles. A cet égard, un comité de pilotage va être mis en place pour veiller au bon déroulement du processus et travaillera en collaboration avec un cabinet international réputé pour ce type d'opérations. Un cabinet d'audit se chargera par ailleurs d'auditer les systèmes d'information de Wafabank et de la BCM au premier semestre 2004. Outre un nouveau Conseil d'Administration de Wafabank décembre courant, il sera procédé à la mise en place d'un organigramme cible et au démarrage des travaux de rapprochement dès janvier prochain. Une OPA sur 100% du capital de Wafabank sera alors lancée en mars prochain. Elle tient compte d'une «prime de l'ordre de 15% par rapport à la moyenne des cours de Bourse de Wafabank sur une période significative avant l'acquisition du 24 novembre (sous réserve que les résultats de clôture des comptes de Wafabank soient conformes aux prévisions)». Rappelons à ce titre que les actionnaires minoritaires, par la voix de leur président, ont émis des réserves sur cette opération et demandé des conditions de sortie du capital équitables (voir entretien). Enfin, la dernière étape, celle de la fusion, devrait intervenir en octobre 2004. D. W. Encadré 1 Des zones d'ombre existent encore Le déroulement de cette opération suscite beaucoup d'intérêt dans les milieux d'affaires. Certaines personnes, non-journalistes, se sont d'ailleurs vu refuser l'entrée à la salle de conférence où la presse nationale est venue nombreuse. Khalid Oudghiri et Saad Kettani ont dû faire face aux innombrables questions d'une presse qui cherchait à comprendre le pourquoi et le comment. Si les journalistes ont pu par moment satisfaire leur curiosité, beaucoup de réponses furent assez vagues... pour ne pas dire que plusieurs questions de fond sont restées sans réponses. Plan social : Que les employés de Wafabank se rassurent : il n'y aura pas de licenciements. C'est ce qu'a en tout cas affirmé M. Khalid Oudghiri qui précise que « de manière générale, le management de Wafabank sera intégré dans le nouvel ensemble dans le cadre d'une recherche de la meilleure adéquation postes-profils. Le réseau d'agences : La nouvelle entité va disposer d'un réseau de 460 agences. Au regard parfois de la proximité de certaines agences Wafabank et BCM (32 recensées), plusieurs hypothèses ont été provisoirement retenues, dont celle de déplacer certaines d'entre elles ou les «fondre» en une seule grande entité si possible. Mais de toutes les manières, la BCM continuera sa politique de développement à travers l'ouverture de nouvelles agences, car, comme le dit Oudghiri, «un champion national doit être présent partout». L'enseigne : Pour l'heure, rien n'a été décidé à ce sujet. Selon Oudghiri, étant donné qu'il s'agit d'un nouvel ensemble, il sera choisi la meilleure formule possible. D'ailleurs, une étude d'image a été demandée à l'agence Créargie. Assurance : Si la volonté de se développer dans la bancassurance est certaine, la démarche à suivre reste pour le moins encore sujette à discussion. L'option choisie par le management de la BCM pour l'instant est certes d'opérer un transfert des affaires de Axa Assurance Maroc vers Wafa Assurance. Comment réagira dès lors Axa France devant ce manque à gagner et quelle est la position de l'ONA vis-à-vis de cette démarche ? Il n'est pas peu de dire, dès lors, que l'avenir de Axa Assurance Maroc au sein de l'ONA qui en détient 49% (Axa France détenant le reste du capital) pourra être compromis. En fait, tout dépendra de l'appréciation que fera Axa France de la stratégie dévoilée par la BCM. A préciser, selon les dires de Oudghiri, «qu'il n'y aura aucun changement dans le management de Wafa Assurance». CDM : Autre point non encore résolu, celui des participations détenues par Wafabank dans le Crédit du Maroc. En réponse à cette interrogation, Oudghiri a laissé entendre qu'une rencontre devrait avoir lieu cette semaine avec les parties concernées, notamment le Crédit Agricole, pour trouver une solution. «Nous sommes ouverts à toutes les propositions», a souligné Oudghiri. La balle semble être désormais dans le camp du CA qui peut choisir de «rester» ou le décroisement des participations... Encadré 2 La logique de Saad Kettani Pour Saad Kettani, la logique qui a poussé à céder OGM tient en réalité au fait que «nous avons atteint le sommet en terme de développement et l'évolution de l'environnement international et la concurrence qui en résulte exigent pour le groupe de passer à une nouvelle échelle de croissance. Et étant donné que la famille n'a pas les moyens nécessaires pour y faire face, il était tout à fait normal de passer le relais à une main sûre, de surcroît marocaine, pour pérenniser l'activité du groupe». De plus, précise-t-il, «il nous fallait réagir vite, car nous arrivons presque tous à la retraite et devions résoudre une certaine situation, notamment la participation que nous détenons depuis quatre ans dans le Crédit du Maroc. Face à l'incertitude d'une fusion Wafabank-CDM, il fallait trancher et mettre le groupe aux mains d'un groupe marocain crédible au lieu de l'exposer aux velléités des étrangers». Abdelhak Bennani, le grand perdant ? P-DG du groupe Wafabank, Abdelhak Bennani a réussi, en quelques années, à bâtir une structure viable qui a à son actif six filiales de renoms, notamment Wafa Bourse, Wafa Gestion, Wafa Monétique, Wafassalaf, Wafa Immobilier et Wafabail). Après Uniban, absorbée en 1996, il a procédé, en 2001, au rachat puis à la fusion-absorption de BBVA Maroc avec, en parallèle, un renforcement de la participation de BBVA dans le capital de Wafabank (de 8,15 à 9,99%). Son ambition de développement l'a également poussé à acquérir plus de 32% du capital de Crédit du Maroc au prix fort... Les faits, à ce niveau, sont à la limite anecdotiques. Car, considéré comme trouble-fête et qualifié d'indésirable par le Crédit Lyonnais, il sera absent du Conseil de Surveillance et du Directoire de CDM pour l'instauration desquels il n'a, semble-t-il, d'ailleurs jamais souscrit; perdant, du même coup, tout droit de regard sur une société où il est le second actionnaire majoritaire. Il subira ainsi les assauts et les critiques répétées de la presse et des analystes qui comprenaient mal, et à juste titre, qu'une participation aussi importante (32,30%), jugée stratégique à ses débuts, soit réduite à un simple placement En s'exprimant sur ce sujet, il disait toujours : «Nous sommes confiants et sereins». Aussi, après plus de 25 ans passés à la tête du groupe, c'est fort logiquement que l'on se demande pourquoi Abdelhak Bennani a été écarté des négociations et averti de la transaction qu'après coup ? La réponse de Saad Kettani, qui aura généreusement pourtant salué les qualités de manager de Bennani, est pour le moins tranchante : «Nous avons pour habitude, au sein de la famille, de faire la distinction entre actionnaires et managers. Abdelhak Bennani est un bon manager qui a su hisser la Wafabank à ce niveau, mais nous n'avions pas à l'impliquer dans les négociations». On s'en doute, ce doit être un coup dur pour Bennani qui, après plus d'un quart de siècle au sein du groupe, sort sans les honneurs... pour ne pas dire par la petite porte. D. W. Les actionnaires minoritaires protestent « Oudghiri n'est pas transparent » Une fois n'est pas coutume. Les petits porteurs s'estiment toujours lésés à l'occasion des grandes opérations de rapprochement. Le cas BCM-Wafabank ne déroge pas à la règle. D'emblée, l'Association des actionnaires minoritaires pointe du doigt une OPA annoncée à l'allure discriminatoire... F.N.H. : Quel est, aujourd'hui, le sentiment des actionnaires minoritaires après ce rapprochement BCM-Wafa Assurance ? Hassan Kettani : En tant qu'actionnaires minoritaires (autant de la Wafabank que de la BCM), nous pensons que cette opération va créer de la richesse et de la valeur pour l'actionnaire. Le Maroc a besoin de grandes banques pour se développer et je pense que l'entité BCM-Wafabank va permettre, avec la taille qu'elle aura, de financer de grands projets d'investissement sur le long terme. Toutefois, il y a problème au niveau de la forme de l'opération. La famille Kettani, qui détenait à travers le holding OGM 70% de Wafa Assurance et 15% de Wafabank, a vendu pour à peu près 2,1 Mds de DH, alors que l'évaluation boursière faite juste avant la suspension était de 1,4 Md de DH. Ils ont donc vendu avec une prime de l'ordre de 50% par rapport au dernier cours; ce qui ramène le cours de Wafabank entre 1.000 et 1.100 DH. Nous disposons d'un rapport qui a été élaboré au début de l'année par une grande banque d'affaires internationale. Des analystes ont séjourné ici pendant plusieurs semaines et ont décortiqué les comptes de Wafabank : ils ont fait une évaluation à 950 DH par action. Aujourd'hui, la BCM a acheté de chez les Kettani à 1.100 ou 1.200 DH l'action et dispose de 36% du capital et 47% des droits de vote. Elle a absolument besoin, pour concrétiser son projet industriel, de plus de 2/3 du capital; c'est-à-dire qu'elle doit encore en ramasser entre 19 et 20%. L'OPA que veut proposer la BCM devrait tourner autour de 750 DH/action et je doute fort que les actionnaires étrangers vont vendre à ce prix-là. Ils peuvent se débarrasser de leurs titres, mais pas à moins de 1.000 DH l'action. Nous, actionnaires minoritaires, voulons bénéficier des mêmes conditions de sortie que les autres actionnaires. Nous en avons marre que tous les deals se fassent sur notre dos et que nous soyons toujours obligés de payer les pots cassés. Cette opération ne doit souffrir d'aucune discrimination; il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures ! Et ce qui est consternant, c'est que le management de la BCM, en particulier M. Oudghiri, ne joue pas la carte de la transparence. F.N.H. : C'est-à-dire ? H. K. : Il doit rendre public le rapport d'évaluation qui a été fait par les banques d'affaires. F.N.H. : Est-il juridiquement tenu de le faire ? H. K. : Ecoutez, au-delà du juridique, il y a l'éthique et la morale; donc vis-à-vis du marché, il doit le faire. F.N.H. : Les estimations que vous avez faites ont débouché sur quoi ? H. K. : D'après nos estimations, Wafa Assurance a été acheté autour de 400 DH (avec environ une prime de 80% sur la moyenne des 6 derniers mois) et Wafabank à peu près à 1.100 DH (prime de 50% sur la moyenne des 6 derniers mois). F.N.H. : M. Oudghiri a toutefois bien émis une réserve quant à la prime de 15%, notamment que les résultats de clôture des comptes de Wafabank relatif à l'exercice 2003 soient conformes aux prévisions... H. K. : Nous savons bien ce qu'il risque de faire. Après le changement du Conseil d'Administration d'ici la fin de l'année, il va plomber le bilan de provisions comme il l'a fait avec la BCM l'année dernière pour ensuite dire que la banque est en mauvaise santé financière et justifier en même temps le prix d'achat. F.N.H. : De quels moyens de pression disposez-vous pour vous faire entendre ? H. K. : Nous allons saisir en début de semaine le CDVM et la BCM afin de leur exposer clairement notre point de vue sur la question. Le CDVM a un rôle important à jouer du moment qu'il doit protéger les épargnants, notamment les petits porteurs. Une chose est sûre; nous ne vendrons pas l'action à 750 DH. C'est un prix dérisoire. F.N.H. : Accepteriez-vous une solution négociée ? H. K. : Nous pouvons accepter une petite décote de 10 à 15% par rapport aux Kettani, puisqu'ils ont cédé un contrôle. Mais par rapport aux étrangers, nous demandons les mêmes conditions de sortie.