Il n'aura fallu qu'une année pour que le paysage cinématographique marocain prenne un virage inattendu. Longtemps dominées par les superproductions étrangères, les salles obscures du royaume ont vu en 2024 une nouvelle tendance s'imposer : le public marocain plébiscite de plus en plus ses propres histoires. C'est ce que révèle le dernier rapport du Centre Cinématographique Marocain (CCM), qui marque un moment charnière pour le 7e art national. L'un des enseignements les plus frappants du bilan 2024 est cette préférence affirmée du public pour les productions locales. Pour la première fois, les films marocains n'ont pas seulement rivalisé avec les œuvres étrangères : ils les ont reléguées en arrière-plan. En tête d'affiche, Ana Machi Ana de Hicham El Jebbari, véritable phénomène national, a franchi la barre des 200.000 billets vendus et engrangé plus de 13 millions de dirhams. Et ce n'est pas un cas isolé. Derrière lui, six autres titres marocains occupent les premières places du box-office, reléguant le premier film américain "Vice Versa" au huitième rang. Derrière ces chiffres, une réalité culturelle se dessine : le cinéma marocain parle désormais au cœur du spectateur marocain, avec des récits ancrés dans le quotidien, des langages familiers, et des émotions partagées. Un autre élément qui saute aux yeux : la comédie règne en maître. Ce genre, accessible et rassembleur, constitue le socle des plus grands succès. Mais la diversité s'invite aussi sur les écrans, à l'image de Triple A (Ala Al Hamich), un drame comique noir audacieux réalisé par Jihane El Bahhar, qui vient rompre avec les formats traditionnels. Un film soutenu par le CCM, contrairement à la majorité des œuvres à succès, souvent issues de l'autoproduction. Un paradoxe révélateur : l'État soutient, mais l'élan vient aussi du terrain, de producteurs indépendants qui misent sur la créativité plus que sur le confort des financements classiques. Au-delà des résultats en salle, 2024 aura été une année intense pour les professionnels du secteur. Avec 27 longs métrages produits, dont 11 fictions, le volume de production est en nette hausse. Les investissements suivent la même courbe, atteignant plus de 756 millions de dirhams, dont près de 74 millions injectés via le Fonds de production cinématographique. Ce dynamisme se lit également dans le profil des réalisateurs : près d'un tiers des films tournés sont signés par des débutants, témoignant d'un renouveau générationnel et d'un écosystème de plus en plus ouvert aux nouvelles voix. En chiffres, ce sont 2,18 millions de billets qui ont été écoulés dans les salles marocaines en 2024, pour un chiffre d'affaires de 127,65 millions de dirhams. Les productions locales à elles seules ont généré plus d'un million d'entrées et 58 millions de dirhams de recettes. Mais au-delà de ces statistiques, c'est une relation de confiance qui semble se tisser à nouveau entre le cinéma marocain et son public.