Je prends le taxi en compagnie de Gérard, un ami français récemment établi au Maroc. Le lecteur de cassettes hurle les invocations liturgiques d'un prédicateur saoudien. Nous nous regardâmes et soupirâmes : nos tympans sont littéralement agressés et notre chauffeur semble prendre son pied à nous voir ainsi torturés. «Vous voudrez bien diminuer le volume du poste, s'il vous plaît ?», demandai-je à notre pileux taximan. Aucune réponse, mais le regard lancé à travers le rétroviseur était «tonitruant» de haine. Les invocations pleurnichardes, psychotiques du Saoudien viraient de plus en plus au sanglotement. A son tour, Gérard demanda que l'on baissât le volume du lecteur de cassettes. Un torrent d'invectives se déversa aussitôt sur nos oreilles déjà suffisamment éprouvées : «C'est vous Gog et Magog ! Mécréants ! Ennemis d'Allah !... etc.» Nous l'arrêtâmes, le payâmes et quittâmes les centaines de décibels du haineux véhicule. Gérard tremblait de colère. J'aurais voulu que la terre s'ouvrît pour avaler ma personne ainsi meurtrie. Cet incident n'est pas orphelin. Des centaines de compatriotes sont humiliés par ces ignares dans la rue, les taxis, les lieux de travail et ailleurs. Ces «justiciers» qui distinguent difficilement l'«aleph» du «lam», apostrophent les honnêtes gens partout où ces derniers se permettent de prendre un soda en compagnie d'une amie, dévoilent le haut d'un torse, allument une cigarette ou tout simplement écoutent un peu de musique. L'affaire est devenue inquiétante, et cela s'apparente désormais à une sérieuse aliénation de la tranquillité publique. La presse se fait quotidiennement l'écho de bandes organisées qui conçoivent les pillages et les razzias comme de «bénis butins» (al anfal). Extirpée de sa spatiotemporalité, cette pratique instaurée par le Prophète à l'issue des combats (ghazawat) a été rendue licite par les fatwas des «émirs du sang». Nous vivons des moments critiques au milieu de la propagation des comportements de non droit de ce type. Notre image, notre tolérance, notre sécurité collective, notre puzzle juridique et, pour tout dire, notre régime de «monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale» sont en péril. La double guerre menée par Israël contre les peuples palestiniens et libanais est venue conforter la folie des «redresseurs de torts» fanatiques. Qui de nous, n'a pas entendu ces derniers temps, des simples d'esprit, implorer l'avènement d'un Cheick Nasrallah…au Maroc ? Ces amalgames, on le sait aujourd'hui, ont été instrumentalisés d'une manière grossière par les activistes, que notre justice vient de mettre sous les verrous. «Fatwas criminelles» Plus grave : des «fatwas» criminelles ont décrété la licité des viols, des séquestrations, des braquages et des assassinats (diplomates et hommes politiques), invoquant le concept prétendu coranique du «fay-e» («voler le voleur», «aucune pitié pour le mécréant»). Même les partis politiques de gauche qui, naguère, furent un moment tentés par le changement brutal du régime, n'ont pris la peine de tisser une forte alliance avec l'ensemble des démocrates pour proposer des formes de mobilisation consensuelles et concrètes contre les véritables «ennemis de Dieu» et de ses pauvres créatures marocaines. Oui, le péril salafiste est parmi nous. Il attaque sur tous les fronts : sur le terrain des carences sociales, au niveau de la perception médiatique des dénis de justice commis par l'Etat hébreux contre le Liban et la Palestine, puis même au chapitre de notre intégrité territoriale. Les informations publiées par la presse internationale sur la pénétration salafiste des espaces subsahariens et sahéliens, inquiètent-elles vraiment les états-majors politiques ? Aussi, l'Etat ne peut-il se soustraire à une véritable reprise en main de la «maison» sans faillir à sa mission première : protéger la communauté des Marocains, à quelque obédience légitime et/ou légale qu'ils puissent appartenir. Il y a, en effet, péril en la demeure. Que vaudront les laborieux chantiers sociaux, économiques, politiques et éthiques entrepris avec tellement de courage, de passion et de patience par Mohamed VI, lorsque le virus de la «siba démago-activiste» aura sournoisement pénétré les institutions les plus emblématiques du Royaume. L'armée, la première, est visée. De plus, des échos concordants rapportent l'influence de plus en plus forte de l'association sous-marine adliste au sein des hautes fonctions publiques nationale et territoriale. Comment pourrait-on alors éradiquer le mal, lorsqu'il aura, par malheur, habité le corps de l'Etat lui-même ? Quels remèdes trouverait-on lorsqu'il sera trop tard ? L'état de siège ? Un second état d'exception ? L'histoire nous a appris que l'on peut bannir n'importe quel système par la seule arme de l'intox. Le régime du Shah, peut-être parce qu'il était arrogant, incapable de se remettre en question et piteusement maladroit, a été littéralement déchiqueté par une vingtaine de cassettes audio dupliquées par centaines de milliers. Les cassettes audio et vidéo, les CD, DVD et autres MP3 salafistes que l'on vend aujourd'hui dans toutes les villes, tous les villages et même dans les souks ruraux hebdomadaires colportent les valeurs les plus abjectes que l'histoire de l'humanité ait eu à connaître : racisme, sexisme, ethno exclusivisme, antisémitisme, jihadisme, takfirisme, anarcho-islamisme, révisionnisme, antioccidentalisme…et tant d'autres tares de type totalitaire sont produites et confectionnées dans tous les formats de supports audiovisuels. Ces insanités sont distribuées et vendues impunément à de vils prix, à des millions de nos compatriotes. Où est l'Etat, censé nous défendre contre l'absurde et l'aventurisme ? Où est-il, nom de Dieu ? L'appel du salut Où est le Parlement ? Où sont les forces vives du Royaume ? Et, d'abord, ces partis politiques qui ont tellement compté avant et après la libération du pays ? Les dits «historiques» et ceux que le combat de légitimité hassanien a accouché du temps d'Oufkir et surtout de Basri ? Où sont-ils ? Oui…des communiqués antisalafistes virulents furent diffusés par les partis «à la faveur» des dernières arrestations. Oui…le ministre de l'intérieur s'est adressé dans ce sens à la représentation nationale, par le biais de la commission spécialisée. Comme on ne peut, à l'échelle des Droits de l'homme, «tuer une mouche avec un bazooka», car cela provoque toujours beaucoup trop de «dégâts collatéraux», on ne peut pas non plus mettre à mort un éléphant en moins de deux coups de tir boulettes ! L'«aspirant Etat de droit» que nous voulons voir s'épanouir n'a rien à faire des alibis avancés par la classe politique pour manquer à l'appel du salut. En effet, pendant que les corps institutionnels les plus vitaux du Royaume, FAR et forces de l'ordre, se voient infiltrés par des excités basiques sans idées, les partis politiques se débattent dans le business monétaro-électoral, les chicaneries du nomadisme transpartisan et, surtout, les querelles des marques de fabrique ! Premier responsable de la sérénité de la nation, le Roi dispose de l'ensemble des armes nécessaires à l'éradication de l'extrémisme, qu'il soit de nature idéologique ou de posture activiste. Mais, pour fonctionner correctement, toutes les armes ont besoin de munitions appropriées. Dans un Etat moderne, les «munitions démocratiques» sont constituées de partis, de syndicats, d'associations, de médias et d'institutions régaliennes. Nos «munitions démocratiques» sont-elles aujourd'hui disponibles pour aller braquer frontalement le totalitarisme salafiste ? Sont-elles prêtes à jeter à la poubelle leurs petitesses carriéristes pour se ranger derrière le «Commandeur des croyants», luttant la main dans la main contre les ennemis de la démocratie. Le Roi a toujours vite et bien réagi aux assauts criminels des salafo-takfiro-jihadistes. Il l'a fait avec les moyens régaliens dont il dispose. Il a même procédé à un grand toilettage des services chargés de notre sécurité intérieure. Certes, les partis politiques, Al Adala en tête, se sont comportés politiquement avec un indéniable sens de responsabilité. Mais aucun d'entre eux – oui, aucun ! – n'a jamais pensé réunir en conclave ses meilleurs esprits, jeunes loups et vieux renards, pour débattre et du mal salafo-activiste et des parades adéquates à lui opposer. L'ensemble de l'arc politique marocain a fait son marché dans la langue de bois pour «condamner», «blâmer», «abhorrer» «s'indigner» etcetera. N'était-ce pas le moment où, promptement, sans états d'âme, l'ensemble des atouts étaient réunis pour proposer une loi historique contre le racisme, l'antisémitisme et la politisation de l'islam ? Cette loi, dont les références organiques doivent être portées plus tard sur le phrasé constitutionnel, nous aurait procuré l'admiration de tous les humains civilisés du Globe. Elle aurait, en tous cas, permis que le Royaume empêchât jusqu'à l'intention de détruire l'édifice démocratique que nous avons commencé à bâtir avec le Chef d'Etat le plus démocrate qu'aient jamais connu les sphères arabe et islamique. En sept ans de règne, ce Roi a fait relever la tête des Marocains au point que nombre d'entre eux ont pris goût au plaisir procédurier. Nous nous relevons d'une époque où le «droit à l'Etat» primait sur «l'Etat de droit». Hassan II se plaisait à user de l'image de la «bonne omelette» qui ne pouvait se faire sans que des œufs en fassent les frais. Cette ère est aujourd'hui révolue. Avec ses turpitudes et ses gloires patriotiques. Nous vivons dans un monde gouverné par les parts de marché et les agrégats de l'IDH. Rien d'autre. Rien. L'arme Royale Voilà pourquoi le Souverain a inventé une arme redoutable contre les «marchands du paradis». Ce dernier peut exister ici-bas si l'ascenseur social fonctionne correctement. Relever le niveau de vie de la classe moyenne et de celle des petites gens, c'est les mettre à l'abri de la «tentation totalitaire». Dans ce combat pour la mise à niveau du quotidien de chacun de nous, les partis disposent d'une immense marge pour mobiliser le peuple, le former aux mœurs des recours et des arbitrages démocratiques, encadrer techniquement les projets proximitaires, faire des chantiers associatifs de véritables écoles de gouvernance locale…etc. Encore une fois, où sont les partis politiques ? Où sont, non pas leurs honnêtes adhérents, mais leurs élites ? Ecrasés par l'anthropophagie politicienne des états-majors, ces élites ont le choix entre la soumission, la répudiation ou la micropolitique des partis minuscules. Que faire alors ? Le Roi peut aisément opérer par référendum pour limiter drastiquement le flux partisan. Chacun sait, en effet, que nous disposons d'une quarantaine de partis connus de leurs seuls états-majors. Cette inflation nourrit le business politicien, exclusivement carriériste. Elle déprécie, parce qu'elle les lamine, les vertus de la politique telles qu'énoncées depuis la Pléiade des grands sages grecs. Elle vient à bout de la confiance. Quel parti politique légal peut-il prétendre aujourd'hui aligner 100.000 manifestants autour d'une seule idée de son improbable programme ? Cheikh Yassine et son premier cercle le peuvent. Jusqu'au jour où la justice et la compassion quitteront le préau adliste pour investir le quotidien des Marocains. Car, la matière première de tout delirium totalitaire, fascisme, nazisme, centralisme communiste ou «république islamiste», qu'il soit de substance terrestre ou d'essence prétendument céleste, n'est autre que la misère. A-t-on suffisamment compris que l'INDH constitue la première arme lancée contre le delirium islamo-démagogique qui a installé ses bases, recruté ses «agents dormants», bâti des «deals» fort puissants avec les mafias de l'émigration clandestine et de la drogue ? Sait-on seulement que la refonte du code de la famille est une seconde arme contre les forces de la nuit ? Toute équipée ciblée contre la misère du panier et de l'âme est une arme supplémentaire contre l'aliénation de la nation multiethnique et multicultu(r)elle qu'est le Royaume du Maroc. Mais rien ne saurait justifier l'horreur terroriste. Cela dit, tout Marocain sensé se fait un devoir de ressentir une fierté particulière à appartenir à un pays qui a fait du multipartisme sa religion dans le domaine de l'animation politique. Cela dure depuis l'aube de la troisième décennie du siècle dernier. Une tradition qui déjà fêté ses trois-quarts de siècle ! Des nations chargées de vestiges historiques et civilisationnels (la Syrie, l'Iran, l'Egypte, sans parler d'Irak…) n'ont pas pu à ce jour se débarrasser des démons du centralisme, idéologique quand il n'est pas simplement mercantiliste. Nous devons donc être fiers de notre «écurie partisane». Et parce que nous leur offrons notre fierté de citoyens, ne serait-ce que par les urnes, nos partis doivent en être dignes. Il n'y a qu'un chemin pour regagner le territoire affectif et objectif de la dignité : l'attachement quotidien et acharné au bien commun. L'esprit de la «Route de l'unité» a-t-il vraiment rendu l'âme ? Personne ne peut soutenir l'allégation d'accuser un seul parti politique marocain d'antipatriotisme. Personne. Mais de panne d'imagination politique, la plupart d'entre eux. Il ne s'agit pas de leur faire le procès du «complot du silence», ce serait à la fois injuste et malvenu. Mais leur rappeler leur «dévitalisation avancée», je n'hésiterais pas longtemps. Le succès populaire d'Al Adl wal Ihsan constitue un exemple concret de ce qu'un parti politique marocain devrait entreprendre : joindre la complicité à la proximité. Sans subventions, ni subsides connus. Face aux islamistes intégrés ou non, seul le Roi peut réellement s'enorgueillir de capitaliser l'adhésion populaire. La capitaliser, sûrement. mais la procurer aux partis… Merci à ces messieurs des états-majors partisans, de s'armer de tolérance pour prendre ces quelques lignes pour ce qu'elles sont : un cri patriotique sans immodestie ni prétention.