À la question : connaissait-il Jamal Zougam ? Les frères, les voisins et les anciens amis répondent sans ambages : oui. «Bien sûr, il était un ami d'abord du quartier puisque comme vous voyez, on habite à cinquante mètres les uns des autres. Jamal a d'abord été notre voisin ici dans la Kasbah avant d'être un ami en Espagne. Je crois que c'est tout à fait normal qu'un Marocain aille chercher des amis dans sa propre communauté et surtout des gens de sa ville et de son quartier. On se sent moins seul et moins dépaysé. Ceci dit, quand je dis ami, cela ne veut pas dire qu'ils étaient inséparables, loin de là. Ils se connaissaient étant du même quartier et se fréquentaient comme tout le monde. Maintenant, est-ce que l'un savait ce que l'autre faisait, je ne peux pas dire. Je ne vis pas avec eux à Madrid et je ne peux pas juger». La logique du frère aîné ne semble pas du goût de tout le monde. En Espagne, les deux Marocains étaient très proches. À Lavapiès où Saïd n'a passé que quelque temps, beaucoup de Marocains comme celui qui occupe le poste de serveur au restaurant Al Hamra, tous près de la rue Tribulete, quartier général de la famille Zougam, on se souvient de les avoir vus, tous les deux, manger ensemble un bon couscous ou siroter un thé à la menthe. Pourtant, Saïd n'a pas trop marqué les esprits sur place. De la rue Caravaca à la bouche métro Lavapiès, périmètre connu pour sa marocanité, peu de gens peuvent raconter des choses conséquentes sur son compte : «un Marocain qui avait un bon travail à la poste». Voilà tout. Et c'était là son dernier travail avant de disparaître. On l'aurait vu à Anton Martin, à Villa Verde, à El Carmen et aussi pas loin de la rue Buen Gobernador où un certain Azizi et Mahboul ont vécu au moins pendant un an. Le frère qui suit à la trace toutes les affaires du jeune frangin confirme: «Je dois dire qu'il a beaucoup bougé en dix ans. Je pense que c'est là l'une des raisons qui fait que même la police ne donne pas beaucoup d'importance à son adresse madrilène, justement parce qu'il a changé à plusieurs reprises de quartier». Arrivé à Madrid pour les études, il n'aura tenu que quelques mois avant de céder devant d'autres urgences. À Lavapiès, on se souvient de ces premières années où le nouveau venu n'avait en tête que les études : «Il était sûr d'aller jusqu'au bout, mais un jour il a demandé à Jamal Zougam et à Saïd Cheddadi de l'aider à se trouver un travail pour vivre». Pour la famille à Tanger, les choses sont évidentes : «C'était trop cher. Il voulait faire des études en mécanique, mais il n'avait pas les moyens d'aller plus loin. Il a fait ce qu'il pouvait, mais à la fin, il a dû trouver un moyen pour vivre». Puis, moins de deux ans avant sa fuite et les attentats de Madrid, Saïd Berraj se marie. Une fête est organisée dans le quartier et beaucoup s'en souviennent encore. «On a fait une fête et on a invité les amis du quartier et les membres de la famille. Mes parents ont été très heureux de le voir ainsi décidé à fonder une famille à son tour. Maintenant, il a une petite fille», souligne son frère Mohamed. Et le 29 mars 2004, la police espagnole perd sa trace. D'abord, on l'annonce mort, suicidé à Leganés, puis on rectifie le tir en apportant la preuve de sa fuite. Mais, vers où ? Pour l'Audiencia National et le Bureau 5, «Berraj a trouvé une porte de sortie d'abord en France. Puis, nous sommes sûrs de son passage par Amsterdam et par Bruxelles. Mais à chaque fois, on l'a raté de peu. Ce que l'on peut affirmer aujourd'hui, c'est qu'il n'a pas pris le chemin du Pakistan ou encore de l'Iran et de l'Irak. Il est toujours quelque part en Europe».