La commission de collaboration hispano-marocaine sera chargée de lutter contre les trafiquants de l'émigration illégale de part et d'autre du Détroit. Mais les discussions entre Madrid et Rabat seront houleuses à l'heure de négocier les accords de rapatriement des clandestins subsahariens que l'Espagne entend faire stationner au Maroc. L'Union européenne cherche à créer un deuxième Sangate à la pointe de l'Afrique. La commission de collaboration hispano-marocaine, dont la création a été annoncée à Madrid le 18 novembre par Mostafa Sahel et son homologue espagnol, Angel Acebes, se réunira régulièrement avec pour objectif la “lutte contre l'émigration clandestine et les mafias”, a dit le ministre espagnol. La commission, qui dépendra des ministères de l'Intérieur des deux pays, n'a pas encore été déterminée dans ses prérogatives et ses représentants, mais Angel Acebes a laissé entendre qu'elle sera formée “de hauts représentants des deux pays et qu'elle inclura un échange d'officiers des corps de l'Etat marocain et espagnol ainsi que la création d'équipes d'interventions permanentes hispano-marocaines pour la protection des frontières”. Avec le nouvel organe mixte pour combattre l'émigration clandestine, la lutte va entrer, selon le ministre de l'Intérieur marocain, dans une phase “opérationnelle-pratique”. Et il a précisé : “la future commission ne négociera pas. Elle sera chargée d'agir sur le terrain en se concentrant sur les réseaux des organisations criminelles”. Mostafa Sahel a déclaré dans ce sens que la Direction de la migration et de la surveillance des frontières (DMSF), chargée de mettre sur pied un programme national de lutte contre le trafic humain, de démanteler les réseaux et de poursuivre juridiquement les coupables au Maroc, sera à pied d'œuvre au mois de janvier 2004. Selon des sources du ministère de l'Intérieur espagnol, la DMSF et l'Observatoire de la migration marocaine compteront un effectif d'environ 2.500 hommes. Là où le dossier capote… Cette décision de mettre en place une instance spécifique avec l'Espagne intervient au moment où le Maroc va entreprendre sur son territoire un vaste programme de démantèlement des réseaux locaux qui font transiter les clandestins, en majorité subsahariens, par le Détroit de Gibraltar. Depuis les débuts du fléau, la tendance des statistiques sur l'origine des candidats à l'émigration a connu un revirement spectaculaire. Selon des études ministérielles espagnoles, en 1999, les Marocains représentaient 86 % des “haragas” du Détroit, contre 14 % pour le reste de l'Afrique et l'Algérie. En 2003 ils n'ont formé que 12 % des arrivages, contre 88 % pour les autres nationalités. Cet accord vise en premier lieu les candidats subsahariens à l'émigration qui constituent la véritable pomme de discorde dans ce dossier avec l'Espagne. Si les Marocains, avec leur faciès et leur langue natale sont facilement reconnaissables et reconduits à la frontière, le cas des candidats provenant de l'Afrique Noire est plus épineux. Les interrogatoires menés après leurs arrestations ne permettent que rarement d'identifier leurs pays d'origine. Sans papiers d'identité, dissimulant leur nationalité pour ne pas faire l'objet d'une expulsion du territoire espagnol, les Subsahariens risquent selon les accords projetés par Madrid, d'être refoulés en masse vers le Maroc, par lequel ils ont transité avant d'atteindre l'autre rive. Le Maroc se retrouvera ainsi héritant de la patate chaude, avec pour perspectives sur son territoire des camps humanitaires à l'africaine, dressés avec l'argent de l'Union européenne… Le problème des Subsahariens Toutes les négociations ouvertes jusqu'à ce jour entre les deux pays en matière migratoire seront désormais réexaminées par la nouvelle commission, y compris la réadmission des émigrés d'Afrique noire. Un autre sujet qui devra être réexaminé, selon Madrid, par la nouvelle commission permanente de collaboration, a trait au sort des clandestins mineurs non accompagnés qui ont fait le voyage jusqu'en Espagne et que le Maroc a réclamés, en vain, en février dernier. Ces enfants dont on ne parle pas trop à cause de la sensibilité du thème sont actuellement gardés par l'Espagne qui a laissé lettre morte la demande de rapatriement, que le Maroc s'est porté volontaire d'accueillir vu leur âge et leurs conditions particulières. Mais en reconduisant au niveau de la nouvelle instance la négociation sur le sort des dizaines de milliers de Subsahariens en situation d'expulsion en Espagne, Madrid remet sur le tapis le vieux dossier de 1992, signé par la partie marocaine, où il est stipulé que les clandestins africains seraient accueillis par le Royaume. Cette clause qui ravive le débat depuis une décennie, a produit des tensions et surenchères que l'Espagne brandit comme un argument de taille prouvant la mauvaise foi du Maroc. Dans les faits, cette proposition est indécente. L'idée n'est pas nouvelle et la presse britannique avait révélé, il y a un an déjà, l'existence d'un projet de création, par l'UE, d'un campement humanitaire au Maroc où seraient parqués tous les indésirables noirs ou basanés refoulés du vieux continent. Un deuxième Sangate à la pointe de l'Afrique… Cette idée, horrible et inconcevable, n'est pas loin de la proposition espagnole, elle est même la seule proposition qu'au nom de l'Europe, la sentinelle espagnole a déposée sur la table des négociations. Ce qu'elle implique, c'est certainement beaucoup d'argent en contrepartie des services marocains, que l'UE ne manquera pas de débourser, mais elle implique également un froid évident avec les Etats du continent africain où le Maroc est perçu comme un leader éclairé. Sur un plan logistique, la gestion des camps des réfugiés sera catastrophique, vu que le Maroc n'a aucune expérience en la matière et qu'il devra faire face à différents problèmes insurmontables. Le Maroc refuse à juste titre d'assumer le rôle que prétend lui faire jouer l'Espagne, et derrière elle l'UE. Un accord identique de rapatriement de clandestins a été signé entre l'Espagne et le Nigeria qui compte aujourd'hui des milliers de sans-papiers dans ses rues, parfois provenant d'autres pays africains. La position marocaine : cas par cas Interrogé à Madrid sur l'affaire des Subsahariens, Mostafa Sahel est resté évasif tout en indiquant qu'il était prématuré de se prononcer sur le sujet. Ferme, Mostafa Sahel a affirmé par contre : “en ce qui concerne le problème des réadmissions, la commission qui sera mise en place proposera les solutions les plus adéquates”. Depuis Madrid, on a compris que le Royaume refuserait de revenir sur sa position actuelle concernant le dossier des Subsahariens sans pays d'origine connus. Cependant, la presse espagnole a parlé d'une étude au “cas par cas” des dossiers des clandestins. Ce serait, selon plusieurs sources journalistiques de la place, la proposition du Maroc qui sera défendue par la partie marocaine lors des réunions de la commission permanente. Cela signifie que des concessions seraient attendues par l'Espagne mais nos voisins ibériques doivent s'attendre à un traitement plus nuancé de la question. Etudier au cas par cas les dossiers de réadmissions des Subsahariens et n'accepter que les cas réguliers où il est possible de procéder à un rapatriement. Les engagements du Maroc sur le dossier des Subsahariens détermineront en grande partie l'évolution de la future commission mixte et de la collaboration transfrontalière où la partie marocaine aura à défendre des enjeux cruciaux.