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La forteresse espagnole
Publié dans La Gazette du Maroc le 23 - 02 - 2004


Le Détroit de Gibraltar, fossé entre deux mondes
L'intégration des étrangers au sein de leur communauté d'accueil est souvent difficile, voire inexistante. Dans le contexte politique actuel des pays occidentaux, la montée en flèche des partis conservateurs n'est d'ailleurs guère étrangère au remodelage structurel qu'opère au sein de ces sociétés l'arrivée des immigrants.
(2ème partie)
L'Espagne, tout comme ses voisins européens (voir encadré 1), n'est pas à l'abri du vent de droite qui balaye l'Europe toute entière. Le gouvernement Aznar, fort de l'appui de la population, a décidé lui aussi d'adopter la ligne dure envers les immigrants. Face à l'arrivée de l'étranger, le Parti populaire (PP) a décidé de mettre l'accent sur une approche restrictive et sécuritaire et ce, au détriment de l'intégration.
Arrivée au pouvoir au lendemain des émeutes raciales et xénophobes qu'avait connues la ville d'El Ejido en février 2000, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Jaime Mayor Oreja mettait en garde les Espagnols contre la régularisation de masse que prévoyait la loi sur les étrangers de 1999, adoptée par le Parti socialiste (PSOE). Prenant l'effet pour la cause, Oreja avait avancé que cette loi susciterait “des réactions de haine et de xénophobie”. Quelques temps auparavant, le député socialiste Rafael Centeno soutenait à la télévision espagnole que “les Maures sont pour le Maroc, là où ils appartiennent”. Francisco Rivero, propriétaire d'une chaîne télévisée des îles Canaries, exposait en octobre 2000 sa vision des choses sur la question migratoire : “les Noirs apportent la drogue et les rebuts [...]. Le gouvernement n'a pas de couilles. Nous allons nous débarrasser de ces gens, même si nous devons les lapider”. Corroborant les propos de Mikel Azurmendi, le président du Forum pour l'intégration sociale de l'immigration, qui avait avancé en février 2002 que “le multiculturalisme est une gangrène de la société démocratique”, le ministre de l'Immigration, quant à lui, y voyait un “concept inacceptable”.
Face à cette “invasion”, terme qu'avait utilisé le député socialiste Centeno tout comme l'Ombudsman des îles Canaries, les Ombudsman basque et andalou ont tenu quant à eux à rappeler à plusieurs reprises les dangers que fait peser sur la société espagnole le phénomène grandissant de l'exclusion et du racisme. Tel un coup d'épée dans l'eau, le travail de sensibilisation et de lutte qu'entreprennent les autorités publiques concernées bute contre le sentiment populaire xénophobe, lui même nourri par les propos tendancieux qu'entretiennent les acteurs les plus puissants d'Espagne. Au détriment de politiques favorisant l'intégration des nouveaux arrivants, la communauté espagnole érige les frontières et encourage les mesures de répression et de stigmatisation à leur égard.
Le choix du rejet au détriment de l'intégration
Pour l'Association pour les droits humains de Séville (APDH), la clé du processus d'intégration est de sensibiliser la population autochtone aux véritables enjeux que représente l'immigration et de favoriser le dialogue intercommunautaire. “Il faut aller parler aux immigrants et aux Espagnols”, proposent les bénévoles de l'association réunis au local de l'association. “Nos groupes de dialogue doivent être composés d'immigrants et d'Espagnols afin d'élargir le dialogue, et pouvoir sensibiliser les deux côtés”. Aménagés par les autorités publiques de Séville, les locaux de l'association de défense des droits des immigrants Sevilla Acoge sont à l'image de la place que la société espagnole réserve aux immigrants. Située sous un pont, couverte de graffitis, l'entrée qui mène à l'association rappelle plutôt celle d'une prison où le béton et les grilles de fer forgé cohabitent avec une certaine morosité. En plus d'avoir à faire face aux groupes d'extrême droite qui viennent casser les vitres de l'association, “l'administration publique ne facilite pas notre travail d'insertion sociale pour les immigrants.” A titre d'exemple, souligne Esteban Tabares, secrétaire de l'association, “comme la police sait que nous travaillons beaucoup avec les sans-papiers, ses agents stationnent leur fourgonnette à la sortie du local et procèdent à l'arrestation des immigrants”. Dans les locaux voisins, Carmen Z. Funtes, coordinatrice au bureau de Séville pour Médecins du Monde, soutient que les immigrants “vivent dans un état d'exclusion totale. Des gens abusent d'eux. Il y a des cas de répression policière et institutionnelle”. Dénonçant le refus des Espagnols d'intégrer les immigrants, Fuentes s'indigne du fait que “certains locateurs demandent aux immigrants le triple du montant normal du loyer”. Selam Rqaca, Secrétaire régionale d'Andalousie pour l'Association des travailleurs immigrants marocains en Espagne (ATIME), considère que le cœur de la problématique de l'immigration est celui de l'intégration. “Une intégration qui soit toutefois en harmonie avec la culture d'origine, qui permette de préserver l'identité originelle tout en apprenant la nouvelle culture”. Inquiet de la prédominance de la pensée unique qui gagne sans cesse du terrain, Selam craint qu'une telle dynamique ne se fasse au détriment de la diversité culturelle. La raison pour laquelle l'intégration ne réussit pas "c'est que l'on ne fait pas d'effort pour réfléchir à l'avenir du pays en tenant compte de la question de l'immigration". Préparée à la demande du gouvernement d'Andalousie, une étude portant sur l'immigration dans la province d'Almeria, rendue publique en 2000, dresse un constat d'échec accablant pour le gouvernement. Faisant ressortir les immenses lacunes du gouvernement en matière d'implantation d'infrastructures socio-sanitaires et en matière de politique d'intégration pour les immigrants, les auteurs du rapport “Informe 2000 sobre la inmigracion en Almeria” vont jusqu'à parler d'“apartheid”, de “ségrégation”, de “marginalisation” et de “stigmatisation” que subissent les immigrants. Incriminant pour les autorités publiques de la province, l'étude commandée par le gouvernement a cessé d'être publiée depuis plusieurs mois.
Violence et malaise identitaire
Plusieurs rapports d'organisations gouvernementales et non gouvernementales dressent un tableau peu élogieux du contexte de violence et de discrimination auquel sont soumis les immigrants se trouvant sur le territoire ibérique. Si certains cas retiennent toutefois plus l'attention que d'autres, tel celui d'El Ejido, la violence déployée à l'égard des immigrants se fait de façon régulière, surtout envers ceux de confession musulmane. La démarche sécuritaire qu'a décidée d'emprunter la société espagnole face aux immigrants est le reflet de la peur qu'elle ressent face à l'étranger. Batu sur une altérité identitaire très prononcée, une telle approche est à l'image d'autres combats identitaires que l'Espagne a dû mener à travers son histoire. Esteban Tabares n'est d'ailleurs guère surpris par cet excès de violence et de répression qu'inflige la société espagnole aux étrangers. Pour cet homme d'une soixantaine d'années, "l'histoire de l'Espagne est très violente. Avant c'était les Juifs et les Musulmans, les Protestants et les Romans. Il y a quelques années c'étaient les communistes. Aujourd'hui ce sont les immigrants, surtout les Musulmans". Terre sacrée de la chrétienté, l'imaginaire espagnol est toujours profondément enraciné dans une dynamique historique de lutte face à l'Islam.
La haine à son paroxysme
Les premières victimes de la violence commise à l'encontre des immigrants sont les femmes et les enfants. Souvent sans papiers, sans protection, ils sont les plus vulnérables. Menacés d'être dénoncés auprès des autorités, ils sont soumis à un esclavagisme où l'abus, l'insécurité physique et psychologique, de même que l'insalubrité, sont choses courantes. Très peu de cas de discrimination et de violence auxquels les immigrants sont soumis sont rapportés, et font encore moins l'objet de plaintes formelles. Selon Gabriela Rodriguez Pizarro, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l'homme des migrants, “[...] l'absence de mécanisme d'enregistrement des plaintes empêche l'élaboration de politiques permettant de protéger les droits des femmes migrantes [et] se heurte au même obstacle dans le cas d'enfants et de migrants adultes dont les droits n'ont pas été respectés”. Suivant le schéma de subordination et de l'exploitation, les droits les plus fondamentaux des immigrants se trouvent ainsi bafoués.
Intervenant majoritairement auprès des sans-papiers, Carmen Z. Fuentes se souvient de plusieurs cas d'abus, mais celui d'un jeune Marocain qu'elle a récemment rencontré l'a particulièrement ébranlée. “Il est arrivé en Espagne en 1992 avec un permis afin de travailler pour l'Exposition de 1992. A la fin de l'Expo, comme son permis avait expiré, il a commencé à travailler clandestinement comme domestique pour une famille de Séville. Il s'occupait des chevaux. Il nous a raconté que la famille avait abusé de lui sexuellement. Ils l'ont violé. L'homme l'obligeait à coucher avec sa femme et d'avoir des rapports sexuels avec le cheval”, se rappelle, avec dégoût, la coordinatrice de Médecins du monde. "La famille a profité de lui, de sa situation irrégulière. Ainsi, il n'a jamais pu montrer qu'il avait subi des abus sexuels. Même devant la cour, s'indigne Fuentes, le jugement devenait nul, et ce, même s'il eut porté plainte, car il n'avait pas de document". Comme plusieurs jeunes immigrants, le Marocain finira finalement dans la rue. Suite aux sévices physiques et psychologiques qu'il avait subis "il a commencé à vivre la dépression. Il a commencé à consommer de l'alcool et des drogues", explique-t-elle. C'est à ce moment que Médecins du monde est intervenue. "Il a reçu un ordre d'expulsion, mais comme il avait commis quelques petits délits, il ne pouvait quitter le pays avant que le jugement ne soit rendu". Finalement emprisonné, le jeune Marocain se trouve depuis quelques mois à Valencia où il suit un programme de réinsertion sociale.
Si la violence est vécue quotidiennement par les immigrants irréguliers sur les lieux de travail, plusieurs dossiers de cas d'abus et de violences attribués aux autorités publiques, sont régulièrement rapportés aux associations de défense des droits de l'homme et des immigrants.
Omar Elhartiti, responsable de la coopération internationale et médiateur interculturel à l'association Sevilla Acoge, se souvient de l'histoire d'un jeune Marocain sans papiers qui a été arrêté et mis en prison à Séville pendant 3 jours. "On l'a oublié au commissariat ! Ils l'ont finalement incarcéré pendant plus de 6 mois. Nous avons confectionné un dossier de plainte, mais l'avocat nous a dit que le juge n'avait même pas de dossier au sujet de ce jeune de 25 ans. C'est comme s'il n'existait pas", s'insurge Elhartiti. Le 27 décembre 2002, 7 personnes trouvèrent la mort au commissariat de Malaga suite à un incendie dans la cellule d'une prison. A l'intérieur s'y trouvaient des immigrants irréguliers qui avaient été interceptés par les forces de l'ordre espagnoles. Ces dernières les avaient enfermés en compagnie des deux trafiquants. Pour des raisons qui restent encore obscures, le dossier n'ayant toujours pas suivi son cours normal devant la justice, l'incendie qui s'était déclaré dans la cellule n'a pu être maîtrisé. Le 8 août 2001, Youssef R., 20 ans, avait été battu à mort. L'homme d'origine marocaine a succombé aux sévices qu'il avait subies durant une heure et demie après avoir été détenu par la police nationale. L'autopsie avait révélé que la mort avait été causée par asphyxie. Des marques de contusions, de même qu'une fracture aux côtes avaient aussi été relevées. Amnesty International (A.I.), dans son rapport de septembre 2001 sur la situation des immigrants en Espagne, rapporte de nombreux cas de viols, de tortures et d'autres abus physiques et psychologiques de tous genres. A titre d'exemple, entre janvier 1999 et octobre 2000, 28 immigrants trouvèrent la mort alors qu'ils étaient en situation de détention. De ce chiffre, 12 auraient été fusillés, 8 ont été retrouvés pendus, 2 sont morts suite à leur arrestation et l'un d'eux a été battu à mort. Selon différentes associations, 22 cas d'allégations et de plaintes relatives à la brutalité ou d'abus par les autorités policières ont été rapportés en 2000. De 1992 à 1998, selon A.I., plus de 2000 plaintes relatives à des cas de torture et de mauvais traitement ont été rapportées. De ce chiffre, plusieurs cas sont relatifs aux viols et abus de tous genres que subissent les femmes d'origine étrangère. Entre 1996 et 1998, une vingtaine de cas d'abus sexuels ont été rapportés par certains journaux et des associations espagnoles.
L'ombudsman basque a pour sa part étudié 47 cas supposés de mauvais traitement entre 1997 et 1998. Tout en dénonçant ces actes, l'ararteko basque avait fait une mise en garde que de tels événements ne sont pas isolés mais "habituels et assez répandus". Son vis-à-vis espagnol avait quant à lui dénoncé des cas où des immigrants avaient été neutralisés à l'aide de ruban adhésif. Le Secrétaire régional d'ATIME se rappelle d'un cas qui s'est produit à Huelva en 2002. "Plusieurs Marocains ont été battus parce qu'ils dormaient dans la rue. Une personne est morte suite à l'incident, mais les autorités n'ont rien dit, bien qu'ATIME ait donné beaucoup de conférences de presse à ce sujet".
En 2001, l'organisation internationale Médecins sans frontières avait dénoncé les conditions de vie exécrables dans lesquelles vivent les enfants migrants détenus à l'enclave espagnole de Ceuta. Elles avaient même conduit trois sergents de police de la ville autonome de Ceuta à porter plainte pour dénoncer les sérieuses "irrégularités" relatives aux conditions de détention des enfants marocains dont ils avaient été témoins. Toujours est-il que dans plusieurs cas l'impunité, intimement liée à la corruption, continue à sévir au sein des services d'immigration et des forces de l'ordre. La Rapporteuse spéciale de l'ONU pour les droits de l'homme des migrants "déplore que des mesures de privation de liberté soient prises sans égard pour le parcours personnel des individus. Souvent, les victimes de la traite des personnes, notamment les mineurs, sont détenus pour des infractions qu'ils n'ont commises qu'en raison d'une situation dont ils sont les premiers à pâtir".
L'expulsion des mineurs
Défiant le droit international, l'Espagne procède à l'expulsion massive d'immigrants irréguliers depuis plusieurs années. Bafouant ses obligations en matière de "protection effective et complète des droits de l'homme de tous les migrants", comme le requiert le droit international et auquel l'Espagne devrait être soumise, l'Etat espagnol a été ouvertement critiqué par l'ONU en 2002 à l'occasion des assises de la Commission des droits de l'homme et ce, en relation avec les agissements des autorités espagnoles au sujet d'expulsions de mineurs. Les autorités marocaines ont aussi été pointées du doigt à cette occasion. (voir encadré 2). Signé entre l'Espagne et le Maroc le 23 décembre 2003, le mémorandum sur le rapatriement des mineurs, dénoncé de part et d'autre de la Méditerranée par nombre d'organismes et d'associations, poursuit néanmoins la même logique liberticide. Conclu dans la foulée des négociations automnales de 2003 qui avaient mené à la création de patrouilles de surveillance mixtes -les patrouilles mixtes tirent leur origine du projet Ulysse mis en avant par l'Union européenne, le mémorandum sur le rapatriement des mineurs a aussi été assorti d'un montant de 390 millions d'euros quelques temps auparavant, somme octroyée par l'Espagne au Maroc en échange d'un contrôle plus serré de ses côtes. L'ombudsman d'Andalousie, Jose Chamizo, qui suit de très près le dossier de l'immigration, considère que "l'entente sur les mineurs entre les deux pays est malade, elle est folle. Elle va à l'encontre de la Convention sur les droits des enfants de l'ONU et contre les recommandations de la Commission européenne", déplore le protecteur du citoyen. "La déportation des mineurs sans papiers au Maroc est un nouveau concept. Elle ne protège pas les mineurs contre l'expulsion de masse. Elle va tout simplement à l'encontre de toutes les conventions internationales", conclut-il. Hormis les nombreux avertissements et les mises en garde d'organisations internationales, les deux Etats sont néanmoins arrivés à conclure une entente sur la déportation des enfants sans papiers. Selon la logique qui a mené à cette entente unique en son genre, le Maroc devient, formellement du moins, la terre d'"asile" de l'Afrique, le territoire du refoulement des sans papiers. En février 2002 Gabriela R. Pizarro avait pourtant émis de sérieuses mises en gardes sur les possibilités de dérives que pouvaient engendrer l'adoption de politiques sécuritaires face à l'immigration. Tout en rappelant que l'objectif majeur de la communauté internationale devait être "la régulation des flux migratoire et la lutte contre le trafic des migrants", Pizarro insistait que "la prise en compte des droits doit faire partie intégrante de toute procédure touchant aux migrations, notamment l'expulsion et le renvoi dans leurs pays de personnes sans papiers".
Découlant d'une approche sécuritaire, l'accord bilatéral signé entre le Maroc et l'Espagne s'inscrit pourtant à contre-courant des accords qu'a déjà conclus l'Espagne avec le Chili, ou encore avec le Pérou. Favorisant l'immigration de travailleurs, les accords signés par l'Espagne avec les pays hispanophones divergent radicalement de l'entente maroco-espagnole. Avec son vis-à-vis marocain, la gestion du dossier migratoire devient plus pointilleuse et sensible, non seulement pour des raisons d'ordre géostratégique, mais avant tout parce qu'elle concerne des populations d'origines ethniques différentes. Entre une population d'immigrants d'origine chrétienne et hispanophone ou d'origine arabo-musulmane et africaine, la logique qu'emprunte le gouvernement espagnol n'est pas la même. La ségrégation imposée par le gouvernement à l'entrée des immigrants est par sa nature eugéniste. D'ailleurs, la position qu'a toujours défendue Jose Maria Aznar au sujet de l'entrée de la Turquie au sein de l'Union européenne n'est guère étrangère à une telle conception du monde.
Alors que les autorités espagnoles et marocaines mettent l'accent sur une approche sécuritaire face à la question migratoire, les retombées en matière de respect des droits de l'homme entachent sérieusement le dossier des deux pays. Malgré la reprise du dialogue entre les deux Etats méditerranéens, amorcée il y a de cela quelques mois, les résultats tangibles qui en émanent tirent toujours leur essence de la logique d'affrontement qui a longtemps marqué leurs relations. Dans l'attente que soit amorcée une véritable coopération basée sur l'ouverture face à l'Autre, sur le dialogue, les immigrants, tout comme les citoyens espagnols et marocains, sont les premiers à subir les contrecoups d'une telle logique.
Frontières à l'épanouissement et à la dignité humaine
L'Eldorado imaginaire de milliers de Marocains et d'Africains navigue entre le rêve d'un monde meilleur et les difficultés de la réalité quotidienne. Entre les deux, un détroit, une fosse. Abysse des richesses et des inégalités, le Détroit de Gibraltar est cette frontière naturelle, mais avant tout cette fracture imaginaire entre deux mondes si proches et si lointains. De la pensée à l'action, la haine de l'incompréhension, de la différence et de l'indifférence fait chaque jour son lot de victimes. Les obstacles à l'intégration en Espagne ne sont après tout que le triste reflet du confort égoïste de l'Occident face au rêve d'émancipation de centaine de millions d'être humains. Alors que les capitaux circulent aisément et ne connaissent que très peu de frontières, les réfugiés économiques se voient quant à eux refuser l'accès à un monde meilleur. Et pourtant, il n'y a que 14 kilomètres qui séparent les deux continents. Les véritables obstacles au dialogue et au partage sont de l'ordre de l'imaginaire collectif, à l'image de la forteresse espagnole."Si la Terre est ronde, c'est pour que l'amitié des peuples puisse en faire le tour."
Aux prises avec le "problème" de l'immigration depuis quelques décennies la République française vient de connaître un nouvel épisode tumultueux au sujet de l'intégration avec la question du port de "signes ostensibles" dans les écoles. Aux Etats-Unis l'arrivée massive d'immigrants latino-américains continue de soulever la problématique de la langue officielle. En Allemagne, en 2000, le parti d'opposition mettait en garde le gouvernement, qui s'apprêtait à adopter des politiques d'immigration trop progressistes à leurs yeux, qu'il valait mieux avoir "des enfants que des indiens".
Au même moment, les derniers sondages britanniques démontraient que la question de l'immigration était le troisième facteur principal de préoccupation pour les sujets britanniques, après la santé et l'éducation. Pays situé non loin de l'Espagne et deuxième Etat européen après l'Espagne en termes de destination privilégiée par les immigrants, l'Italie se voit aussi confrontée à la question migratoire. En début de mandat, le président Sylvio Berlusconi avait annoncé ses intentions à l'égard des étrangers en rejetant l'idée d'une "société multiraciale". Jorg Haider, le politicien suisse d'extrême-droite avait été on ne peut plus clair en octobre 2000 quant à ses intentions en matière de politique d'immigration. "Il y a beaucoup trop d'immigrants illégaux, de crimes et de vendeurs de drogue. Aucun d'entre eux n'a de place en Autriche. Ceci doit être notre priorité, de les éliminer sans compromis". Alors que la Belgique est témoin de la montée en puissance de l'extrémisme, en témoigne le succès du parti Vlaams Blok aux dernières élections législatives, la Suisse, depuis l'arrivée au pouvoir du Parti populaire (PP), avec à sa tête le millionnaire Christophe Blocher, vit quant à elle à l'heure de l'isolationnisme. Durant la campagne électorale en 2003, le PP prônait un arrêt total de l'immigration et un durcissement des lois relatives au droit d'asile. Il y a de cela quelques jours, soit le 17 février 2004, le gouvernement hollandais adoptait pour sa part une loi sur la déportation des demandeurs d'asile. En conséquence, 26 000 demandeurs d'asile seront déportés, alors que seulement 2 300 pourront rester au pays.
Rapport de la Rapporteuse spéciale des droits de l'homme des migrants devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU le 15 février 2002.
Appels urgents de la Rapporteuse spéciale
Espagne
Le 1er novembre 2001, la Rapporteuse spéciale a adressé un appel urgent au Gouvernement espagnol au sujet de deux bébés, de 13 et 18 mois, dont les mères (deux femmes nigérianes) auraient, selon les informations reçues, été arrêtées et déportées du fait de leur situation irrégulière, alors que les bébés seraient restés sur le territoire espagnol. Les avocats des deux femmes auraient informé le juge d'instruction de l'existence de ces enfants, mais n'auraient pas eu la possibilité de faire appel de l'ordre d'expulsion final, l'expulsion ayant eu lieu le jour même. En outre, les bébés auraient été confiés à des connaissances de leurs mères.
Aspects qui méritent l'attention de la Rapporteuse spéciale
Enfants non accompagnés
La Rapporteuse spéciale a reçu des informations sur différents cas dans lesquels les victimes étaient des mineurs non accompagnés. Elle est préoccupée par le nombre croissant de mineurs qui utiliseraient les réseaux internationaux de trafic de migrants pour se trouver ensuite en situation de clandestinité dans les pays de destination. Elle s'inquiète tout particulièrement des cas signalés d'expulsion de mineurs d'Espagne vers le Maroc, sans aucune représentation juridique.
Communications par la procédure ordinaire
Espagne
Le 15 novembre 2001, la Rapporteuse spéciale a adressé une communication au Gouvernement espagnol au sujet de la situation de deux enfants de nationalité marocaine qui auraient été expulsés de la ville autonome de Melilla vers le Maroc, et qui auraient été remis à la police marocaine en l'absence de leur famille et des services sociaux. Apparemment, l'un des deux mineurs au moins se trouvait sous la tutelle des services de la ville autonome. Selon les informations reçues, il y aurait eu en outre 35 expulsions d'enfants marocains se trouvant dans des situations très similaires.
Maroc
Le 9 février 2001, la Rapporteuse spéciale s'est adressée au Gouvernement marocain pour obtenir des informations sur le décès présumé de 10 migrants et la supposée disparition de 20 autres, qui seraient partis des côtes marocaines à bord d'une embarcation qui aurait fait naufrage à proximité des côtes espagnoles. Selon les informations communiquées à la Rapporteuse spéciale, on aurait retrouvé 10 cadavres à 20 km de Tarifa (Andalousie), dont celui d'un enfant de moins de 10 ans. Selon les estimations dont dispose la Rapporteuse spéciale, quelque 500 migrants trouvent la mort chaque année en tentant de gagner l'Espagne par la voie maritime, et la plupart d'entre eux sont victimes du trafic de migrants.
*85% des immigrants marocains sont des hommes
40% sont célibataires
54% sont âgés de 20 ans
25% ont entre 30 et 44 ans
20% sont des adolescents
*Près de 70% n'ont pas d'éducation primaire
*L'intention de migrer est plus grande en milieu rural
DNES : Francis Clermont


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