● À 73 ans, le compositeur continue de produire des oeuvres riches et contemporaines ● Il vient d'écrire «Passions» pour l'OPM qui sera interprétée à Casablanca, Rabat et Tanger ● Une occasion d'or pour re(découvrir) un grand artiste On rapporte, puisque c'est lui qui le dit : «il n'y a pas de demi-mesure en art». Le compositeur marocain Ahmed Essyad précise : «Je ne suis pas seulement réduit -bien que cela arrangerait beaucoup de gens- à être un chercheur de compromis et de cohabitation entre deux cultures antagonistes». Le musicien franco-marocain installé en France depuis 1962 est clair sur ce point. Les cultures orientale et occidentale sont plutôt complémentaires et nécessaires l'une pour l'autre. La linéarité de la musique orientale a fait ouvrir des horizons et des espaces extraordinaires, alors que la polyphonie de l'Occident a défriché un monde nouveau. «On n'a pas le droit de se priver de l'une ni de l'autre», inutile donc de lui demander comment il fait pour concilier les deux musiques. On l'a bien compris, Ahmed Essyad est le fruit de ces deux cultures. D'ailleurs, cela fait de nombreuses années qu'il s'y promène et en tire profit dans ses rêves. Sollicité par l'Orchestre philharmonique marocain, à l'occasion des concerts du Nouvel an pour l'écriture d'une œuvre musicale contemporaine, Ahmed Essyad est dans l'attente du résultat de cette collaboration. «En écrivant Passions pour l'OPM, je n'ai pas pensé au public, mais plutôt aux interprètes. Je suis donc dans l'attente de ce que sera cette œuvre que j'ai rêvée. Vous savez, on ne sait jamais lorsqu'on écrit si le signe véhicule toute notre pensée». Merci Max Deutsch Musicien reconnu à l'échelle internationale, Ahmed Essyad -sa réputation le précède- trouve le moyen de nous parler de son maître Max Deutsch. Tel un adolescent exalté, il nous raconte sa première rencontre avec le maître en 1962 à Paris, le rôle déterminant que ce dernier a joué dans sa vie. «Grâce à mon maître, j'ai reçu une formation humaniste, ouverte sur la peinture, la littérature... sur le siècle. Bref, j'ai énormément appris avec lui». Elève d'Arnold Schönberg, Max Deutsch a formé plus de 300 musiciens venus du monde entier à la Nouvelle musique. «Mon maître qui était l'ami de Picasso et qui a fait, entre autres, la Grande guerre et la guerre d'Espagne, ne cessait de me dire qu'un compositeur n'est pas un vase-clos, mais un homme parmi les hommes». Des paroles qui n'ont jamais quitté Essyad. Inlassable chercheur, il a exploré de nouveaux horizons au point qu'on qualifie souvent ses compositions de «compliquées». «Je dirais plutôt qu'elles sont difficiles à jouer. J'essaie toujours de faire appel à de nouvelles techniques, et je pense que c'est cette quête technique pour reproduire un sens inconnu, qui était inaudible avant, qui rend des fois mes œuvres difficiles à jouer». Essyad ajoute que «le plus important est de saisir la logique de l'instrument et c'est à partir de là qu'on peut spéculer et construire de nouveaux modèles de jeu. Il ne faut pas oublier que c'est grâce aux compositeurs que la technique et la pratique instrumentales ont évolué». Pour l'amour du bled La musique marocaine, quant à elle, n'a pas évolué, selon Ahmed Essyad. «Je suis sidéré. Nous sommes dans une pauvreté incroyable de la pratique musicale. Nous sommes à court de tout : nous n'avons pas d'excellents violonistes, clarinettistes, bassonistes, etc.». Que faire ? Essayer de lancer un projet pour redorer le blason de la musique au Maroc ? «Ce n'est pas un projet individuel mais plutôt national. Depuis 50 ans, nous n'avons pas de politique nationale pour l'enseignement musical. Nous sommes défaillants sur le plan pédagogique, financier, etc. Malheureusement, nous nous contentons de l'existant et sommes ravis de ce que nous sommes», s'indigne l'artiste, pourtant, nous avions tous les atouts pour devenir une grande nation de musique. «En 1956, les conservatoires de Rabat et de Casablanca par exemple formaient des musiciens de haut calibre. Toutefois, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Regardez les Coréens qui ont réussi, en un laps de temps, à produire des interprètes et compositeurs de renommée internationale. Séoul, est devenue aujourd'hui une pépinière de compositeurs talentueux», ajoute le musicien. Une situation qui n'est pas propre à la musique classique. «Même la musique de tous les jours souffre d'une pauvreté extraordinaire. C'est une musique répétitive qui a rétréci l'horizon auditif des Marocains. Il faut élargir notre écoute en produisant autre chose que ces chansonnettes», précise-t-il. Après Passions de l'OPM, Ahmed Essyad, qui a une admiration complète pour la musique du Haut-Atlas, se penchera sur d'autres «passions». L'artiste travaillera, cette fois-ci, sur des textes de Ibn Arabi et de Jalal Eddine Erroumi qui sont d'une actualité brûlante. Il nous confie qu'il ne peux pas se défaire de sa culture marocaine et arabe. Et de conclure : «Je pourrais me défaire de ma peau, mais jamais de ce qui est sous cette peau et derrière la cervelle». Dates-clés : ➤ 1938. Naissance à Salé. ➤ 1962. Rencontre avec Max Deutsch et installation à Paris. ➤ 1991-1994. Composition d'un opéra-lumière pour la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. ➤ 1994. Lauréat du grand Prix national de la musique. ➤ 2010. Composition de «Passions» pour l'OPM.