L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Vous êtes à Rabat dans le cadre du « EuroMeSCo Consultation Circle», consacré aux consultations pour un nouveau Pacte pour la Méditerranée. Qu'est-ce qui distingue ce nouveau pacte des précédents cadres de coopération euro-méditerranéenne ? Senén Florensa :Ce qui a profondément changé, ce sont d'abord les conditions dans lesquelles nous nous trouvons. Depuis le lancement du processus de Barcelone en 1995, le contexte politique, économique et géopolitique a connu des bouleversements majeurs. Certains aspects sont positifs, d'autres beaucoup moins. Mais la nécessité de coopérer entre l'Union européenne et les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée demeure entière. Le but reste le même : faire de la Méditerranée un espace de prospérité partagée et de dialogue interculturel. Toutefois, les besoins, les attentes et les urgences d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier. Le nouveau pacte se doit donc d'y répondre autrement. Quelles en sont les grandes priorités ? Des priorités qui étaient jadis périphériques sont désormais centrales. Je pense par exemple à la transition énergétique, à la participation active de la jeunesse ou encore à la création d'opportunités économiques viables pour elle. Le chômage des jeunes est une bombe à retardement dans plusieurs pays du Sud. Il faut leur donner des perspectives, investir dans leur potentiel, leur permettre d'être des acteurs du changement. Ce pacte vise aussi à créer de nouveaux leviers pour relancer le projet méditerranéen dans un monde devenu plus compétitif et instable. Il s'agit de faire évoluer notre coopération pour qu'elle puisse répondre aux défis du XXIe siècle, y compris ceux d'ordre géopolitique. Mais comment s'assurer que ce pacte ne soit pas une construction technocratique, déconnectée des réalités du Sud ? Justement, c'est tout le sens de notre présence ici à Rabat. Cette fois, l'Union européenne a décidé de commencer par écouter. Nous avons rassemblé 80 représentants venus d'universités, de think tanks, d'organisations de jeunesse, de femmes, d'entrepreneurs, de la société civile dans son ensemble. Ils sont issus de tout le bassin sud-méditerranéen. Nous menons également des consultations directes avec les gouvernements du Sud. Le directeur général de la Commission européenne, M. Sanino, nous a rejoints pour expliquer comment cette démarche participative se double d'un travail diplomatique de haut niveau. L'idée est claire : ce pacte ne pourra fonctionner que si les idées, les besoins et les propositions du Sud sont entendus et intégrés. Le Maroc joue un rôle particulier dans cet espace méditerranéen. Comment percevez-vous sa place aujourd'hui dans la construction de ce nouveau pacte ? Le Maroc a été, dès le début du processus de Barcelone, un partenaire central. Je dirais même qu'il est le pays qui a le plus activement participé à la politique méditerranéenne et, aussi, celui qui en a le mieux profité. Les avancées économiques et sociales du Maroc ces dernières décennies sont bien sûr le fruit du travail des Marocains et de choix politiques volontaristes. Mais cette dynamique s'est aussi nourrie de la coopération avec l'Union européenne : ouverture au marché européen, flux touristiques, investissements, échanges humains... Il s'agit d'un partenariat gagnant-gagnant. Peut-on dire que le Maroc pourrait jouer un rôle de pont entre l'Europe et l'Afrique dans ce nouveau cadre ? C'est une idée séduisante, mais il faut rester lucide. L'Afrique est vaste et traverse des turbulences considérables : instabilités politiques, coups d'Etat, insécurité, tensions géopolitiques, notamment dans la bande sahélienne. Le Maroc ne peut pas résoudre seul ces problèmes. Cela dit, le Royaume est stratégiquement positionné et a mené une politique africaine proactive ces quinze dernières années. Cette posture, au croisement de l'Europe, de la Méditerranée et de l'Afrique, lui donne une capacité d'initiative et d'influence unique. Dans un monde en recomposition, on voit se dessiner des zones d'intégration régionale : en Asie du Sud-Est, en Amérique du Nord, en Europe. Je suis convaincu que l'espace euro-méditerranéen-africain est appelé à devenir l'une de ces grandes zones d'intégration du futur, et le Maroc est au cœur de cette perspective. À quoi ressemblerait une Méditerranée réellement intégrée dans le futur? À une région capable de transformer ses défis communs en opportunités partagées. Une Méditerranée où l'énergie verte circule, où les jeunes trouvent leur place, où les cultures dialoguent au lieu de s'opposer. Une Méditerranée où le Sud ne se sent pas relégué mais pleinement acteur. Mais cela demande un engagement de tous : politiques, sociétés civiles, institutions... Ce pacte peut être un catalyseur. Encore faut-il que nous soyons capables de nous écouter, de nous faire confiance et de construire ensemble.