Dans le quartier défavorisé Iraqi de Dar Bouazza, les centres préscolaires accueillent les élèves dans des conditions indignes. Pourtant, la situation s'améliore peu à peu grâce au travail d'ONG et de professeurs motivés. Des bidons de toutes tailles s'entassent au pied de la borne fontaine. Ils sont une dizaine, femmes et enfants, à faire la queue patiemment pour s'approvisionner en eau. Un peu plus loin, une vache bien maigre tente de se mettre quelque chose sous la dent à côté de la benne à ordures. Des déchets en tout genre et d'innombrables sacs plastiques jonchent le sol. Dans les rues en terre, pas de système d'évacuation des eaux usagées. Seulement une petite tranchée qui laisse trainer un filet d'eau noirâtre. Nous sommes dans le quartier Iraqi, l'un des plus défavorisés de Dar Bouazza. Selon le dernier diagnostic de l'INDH, il existe ici une trentaine de centres préscolaires, chargés d'accueillir les enfants de 3 à 5 ans avant qu'ils ne passent en école primaire. Tous ces centres sont informels, c'est à dire non supervisés par le ministère de l'Education. Ici, les centres préscolaires sont gérés de façon privée, avec les moyens du bord. Alors on se débrouille, tant bien que mal. Debout devant son tableau noir, foulard rouge sur la tête, Rachad Jemaâ fait réciter ses élèves à voix haute. Ils sont environ 45, entassés dans 20m², serrés comme des sardines sur leurs petits pupitres d'écoliers. Cela fait dix-huit ans que Rachad enseigne dans le même local, une propriété de sa famille. Une petite fenêtre laisse à peine passer la lumière et les murs sont en piteux état. Dans la classe, on apprend l'alphabet en parlant poules et poussins. « Qui s'est déjà occupé d'un poussin ? » lance l'institutrice à la jeune assemblée. Une forêt de doigts se lèvent. Après les éclats de rires, retour à une ambiance plus studieuse. Au programme : lecture, écriture, mathématiques, éducation islamique et français. « Parfois, les parents n'amènent leurs enfants qu'un an et après ils disparaissent » se désespère l'institutrice en gardant un oeil sur ses élèves. Il faut dire que le préscolaire a un coût. Les parents paient Rachad 50 DH par mois et par enfant. « J'aimerai que ce soit l'Etat qui me donne un salaire » confie-t-elle, « mais ce n'est pas d'actualité pour le moment ! » Pour le même prix, certains élèves ont un peu plus de chance que d'autres. En 2009, l'ONG Care Maroc a investi Iraqi et trois autres quartiers défavorisés de Dar Bouazza, pour y améliorer les conditions d'éducation préscolaire. En tout, ce sont neuf centres qui ont été pris en charge par l'ONG, en partenariat avec l'association Atfale de Rabat. Najat Elmdari est en charge du projet à Care Maroc. « On se situe dans une approche participative » détaille-t-elle. « On fournit aux professeur(e)s une formation adaptée ainsi que du matériel et en échange, ils doivent réaménager leur local pour en faire une vraie salle de classe ». Avant, une cuisine trônait au milieu du centre préscolaire Bgiryne. Depuis qu'elle fait partie du projet, l'institutrice Naïma Sbal a totalement transformé le local de son frère. Elle a cassé la cuisine pour agrandir la pièce et a percé une deuxième fenêtre. Désormais, sa salle de classe n'a plus rien à envier à un centre préscolaire des quartiers chics de Rabat. La petite cinquantaine d'élèves est répartie en groupe de dix, assis autour de tables rouges, vertes ou jaunes. Il y a deux tableaux, un en ardoise, l'autre en plastique. Sur les murs sont affichés des dessins d'élèves, des alphabets colorés, des calendriers, des pancartes pour apprendre la météo ou découvrir le nom des animaux… Il y a même un petit coin lecture avec des livres d'histoires et de comptines. « Ici, on apprend en s'amusant » sourit Najat Elmdari. Dans la classe, les jeunes pousses s'activent sur de la pâte à modeler. En plus des classiques cours de maths et d'écriture, Naïma fait découvrir à ses élèves l'éducation civique, les sciences naturelles ou encore la nutrition. « Les enfants apprennent vraiment, mais d'une façon différente que dans les autres centres préscolaires » affirme la jeune institutrice, plus motivée que jamais. De son côté, Najat est heureuse du travail accompli. « J'espère que la même formation sera offerte dans tous les quartiers d'ici quelques années ». S'il reste beaucoup à faire, l'espoir est bel et bien là. Grâce à l'action combinée de Care Maroc et de l'Union Européenne, près d'une trentaine de nouveaux centres préscolaires devraient être aidés à Dar Bouazza dans les prochaines années. Benjamin Roger (stagiaire)