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Le Morisque par Hassan Aourid | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 22 - 08 - 2012

Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re)découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable, ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs. épisode 16
épisode 16
L'expulsion des Morisques de Valence (1609) à travers les tableaux de la collection Bancaja (1612-1613).
Nous serons coincés à Amsterdam tout l'hiver. Les voies sont difficilement carrossables à cause de la neige, même si elles sont pavées. De cette retraite, dans ce lieu de résidence, mis à notre disposition par les autorités hollandaises, nous prenons du recul par rapport aux choses et aux événements. Un peuple qui comme nous, avait souffert du joug de la domination espagnole, qui a payé le prix fort pour recouvrer sa liberté. Nous quittâmes Paris, en début d'été, pour Le Havre et de là nous nous embarquâmes vers Rotterdam. Nous continuâmes notre chemin vers Amsterdam. La ville est jolie et propre. Elle n'atteint pas l'ordre de grandeur de Paris, mais elle grouille de gens qui y gagnent leur vie. Le commerce y est florissant avec le monde extérieur et les chantiers navals sont nombreux. La ville respire la liberté. Les Etats généraux étaient sous la férule des Habsbourg. Ils ont secoué le joug de la domination, ce qui leur a valu un engouement pour la liberté et une haine encore vive des Espagnols. C'était cette haine qui nous unit. C'est cette acrimonie, réelle ou supposée, qui explique notre voyage.
Beaucoup de choses me frappèrent, entres autres les journées d'été trop longues. Il y avait un autre phénomène qui frappa ma curiosité, la liberté de culte. La Hollande est sous l'emprise du réformateur Luther et un de ses disciples Calvin. Ils ne reconnaissent pas l'autorité du Pape et ont une conception de Dieu, comme des rapports humains plutôt proches de l'islam. Ils sont tolérants à l'égard des autres religions. Les Juifs y vivent paisiblement sans être inquiétés. Plusieurs parmi eux sont venus d'Espagne par le Portugal. Je n'ai point vu de lieu où on est aussi libre qu'en Hollande pour pratiquer sa confession. Un pareil pays ne profite t-il pas de l'apport de tous ses enfants ? Grande aurait été l'Espagne si elle avait pu intégrer ses juifs et ses musulmans. N'y avait-il pas parmi les juifs de grands médecins et de grands banquiers ? Les Morisques ne se distinguaient-ils pas par leur labeur et leur sérieux. N'étaient-ils pas de grands artisans ? L'Inquisition est une mutilation, et partant un appauvrissement. Nous avons eu des contacts, à la Haye, à tous les niveaux, avec les responsables hollandais, leurs savants, leurs religieux qui expriment de la sympathie à notre endroit... Ils se projettent en nous, comme pour entrevoir les horizons de liberté dont ils jouissent après un combat héroïque. Les peuples opprimés sont solidaires. Reviendrons- nous un jour chez nous sans courir le risque d'être persécutés ? Jouirons-nous des bienfaits de la liberté à l'instar des Hollandais ?
Quelle odyssée ! Il y a de cela dix-huit mois que nous avons quitté le Maroc en nous embarquant du port de Safi, en partance pour le Havre de Grâce, dans le pays des Francs. Le périple avait duré un mois. Il était si long, si triste. Mes compagnons se mettaient le jour sur le pont et rêvassaient. Quand nous étions au niveau du détroit de Gibraltar, la terre ferme de l'Andalousie nous paraissait à vue d'œil. Ils ne purent se retenir et se mirent tous à pleurer, même Rodriguès qui a la maîtrise de soi, ne put se contenir.
Safi (en vieux portugais Tsaffin) à la fin du XVIe siècle.
J'avais sur moi l'édit du roi Philippe III daté de septembre 1609 que j'avais traduit pour le sultan Moulay Zidane. Les Castillans voulaient extirper l'engeance morisque pour de bon. L'article premier donnait le ton sur une opération militaire préparée de longue durée : « Dans les trois jours de la publication de cet édit, tous les Morisques de Royaume, hommes, femmes, et enfants devront quitter leurs maisons et leurs villages et aller s'embarquer à l'endroit qui leur sera indiqué par ordre du Commissaire chargé de cette affaire. Chacun pourra emporter la part de ses biens transportables et devra s'embarquer sur les galères et les navires qui les transporteront en Berbérie où ils seront débarqués ». Comment un roi pourrait t-il sacrifier une partie de ses sujets ? Une mère pourrait-elle abandonner ses enfants, à supposer même que ces enfants soient le résultat d'un viol ? L'Inquisition, malgré ses tares, nous permettait des mailles dans lesquelles nous pouvions nous mouvoir et échapper à la vindicte. Notre ingéniosité, les intérêts des Seigneurs, les contradictions au sein de l'Eglise, et entre l'Eglise et les Laïcs, nous permettaient de dégager un espace de survie. Nous pouvions louvoyer, nous pouvions opérer des retraites dans l'espoir d'une éclaircie. Un jour nous pratiquerions notre foi librement, nous serions acceptés par les vieux chrétiens pour ce que nous étions, nous n'aurions à rougir de notre islam, ni de ceux qui se convertiraient au christianisme... Mais au lieu de l'éclaircie, il y eut l'orage qui a tout emporté.
Comment un Palamino peut-il s'acclimater avec la vie en Berbèrie, lui qui n'a jamais quitté la vallée d'Ayora ? On l'a sommé de se convertir au christianisme. Il s'y est converti. Fut-il même musulman pour être converti ? Une fois chrétien, personne ne le prit en charge pour qu'il le devînt pour de bon. Il continuait à travailler sa terre, à payer des redevances aux Seigneurs, aux alguazils, à l'Eglise. Quand il allait à la paroisse, il ne comprenait pas grand-chose. Il a fini par ne plus s'y rendre. Il aimait célébrer la zambra, aimait le vin, et quand il faisait une bonne récolte, il la célébrait en danses et chants. Il aimait sa terre, il aimait sa femme Donna, ses enfants Juan et Manoulou. Et un jour, on l'a sommé de partir, de quitter son chez soi dans le royaume de Valence, de voir sa terre, qu'il a travaillée lopin par lopin, confisquée. Il devait marcher avec sa femme haletante, ses enfants en bas âges, avec d'autres déportés, escortés, têtes baissées, épuisés par la fatigue, le désarroi, la peur, avec quelques habits, des ustensiles de cuisine, de vieux souvenirs, jusqu'au Grau de Valence et s'embarquer vers l'inconnu : Tunis, Oran, Tanger, Tétouan ou Sala.
Pendant le trajet, il vit beaucoup de ses semblables frappés de stupeur. Ils n'arrivaient même pas à pleurer, comme si ce qu'ils vivaient n'était pas de l'ordre du réel. Un cauchemar mais qui finirait par se dissiper. De temps à autre, ils se remettaient de leur stupeur à l'annonce de la mort d'un voyageur qu'on jetait par-dessus bord. Un état hystérique frappa un pauvre déporté qui se mit à crier subitement. Un acte inconsidéré d'un jeune homme qui se jeta sur une fille devant ses parents. La fréquence des morts qui crevaient de fatigue, de maladie ou de désespoir, à bord du bateau, avait banalisé la mort. Palamino débarqua dans un village abandonné sur une colline qui surplombe l'Atlantique avec quelques vestiges d'une tour inachevée, une nécropole au sommet d'un monticule qui domine l'estuaire. Il y avait dans une vieille casbah une poignée de résidents, venus quelques années auparavant d'Hornachos, qui avaient acheté leur liberté en payant de grosses sommes au Roi d'Espagne. Les Hornacheros, après une première phase de sympathie, tournèrent le dos aux nouveaux arrivants miséreux. En dehors de l'espace de la Casbah, il eut été dangereux de s'aventurer. Tout était étrange pour Palamino qui ne connaissait pas un piètre mot d'arabe. Palamino, dans son for intérieur considérait qu'il n'était pas dans la même situation que ces deux compagnons, Blanco et Rodriguès. Il gardait l'espoir de revenir. Ceux là, ont résisté à l'ordre du Roi, ont bravé l'Eglise et les militaires, en refusant de s'embarquer en Berbérie, et pire en prenant les armes, certes pour se défendre, mais lui, Palamino n'a pas pris les armes, n'a pas résisté à l'ordre de déportation.
Peut-on en vouloir à Blanco, maçon de son état dont le petit village de Murla fut encerclé par le corps d'élite de l'armée, les Tercio, de s'être défendu, après que l'ordre de déportation fut proclamé ? Les Morisques de Murla devaient se défendre comme ils pouvaient. Le combat fut âpre mais inégal. Ils battirent en retraite vers le village de l'Aguar avec leurs femmes et leurs enfants. Les combattants refluèrent vers les montagnes. Les enfants, les femmes et les vieillards, restés dans l'Aguar furent massacrés par les vieux chrétiens. Le nombre des victimes s'élevait à trois mille morts, voire plus. Un véritable carnage. Les vieux parents de Blanco figuraient parmi les morts d'Aguar. Blanco faisait partie d'un carré de résistants en montagne qui tinrent bon sans vivres, dans le froid, privés d'eau. Les sources et les fontaines étaient occupées par l'armée et les vieux chrétiens qui agissaient en milice d'appoint au corps d'élites des Tercio. « Près de quatre mille jeunes combattants morisques succombèrent en tentant de rapporter de l'eau aux enfants qui mourraient de déshydratation. Obligés de capituler, ils demandèrent finalement à être déportés et descendirent précipitamment vers les fontaines. Quelques uns moururent pour avoir trop bu. Les survivants furent triés : les femmes et les enfants en état de servir furent séparés des autres pour être vendus ».
Blanco fut déporté, avec les rares survivants, sous le regard du maréchal Mexia qui assista en personne à leur embarquement pour Oran. Beaucoup moururent en voyage. Ceux qui arrivèrent à Oran furent pillés par les bédouins. Blanco et une petite cohorte tentèrent leur chance dans une embarcation de fortune vers Sala. Et puis Rodriguès. Rien dans la vie de ce teinturier ne prédisposait à la rébellion. Mais l'injustice aiguisa son esprit vif pour la révolte. Il faisait partie d'un carré de résistants dans la Muela de Cortes dans le Royaume de Valence, qui, au fil du temps, grossissait. Les résistants se retranchèrent dans les montagnes et les grottes avec arquebusiers et vivres. Ils purent grâce à leurs retraites, leurs vivres et l'expérience de leurs chefs, infliger de lourdes pertes à l'armée et aux vieux chrétiens. Mais la bonne étoile fut de courte durée. Un Morisque qui faisait parti d'un détachement fut capturé par l'armée et soumis à la torture. Il finit par parler et indiqua l'endroit où se cachait le chef de la rébellion, Vicente Turixi avec sa famille et ses compagnons. Turixi fut conduit à Valence où il fut tenaillé puis écartelé. Rodriguès put s'échapper. Il résista tout l'hiver et une bonne partie du printemps. Pris par l'armée, il fut escorté jusqu'à Valence. Il apprit par la bouche de survivants que les grottes où se cachaient sa femme et ses deux enfants, Maria et Juan, furent enfumés par les vieux chrétiens. Il n'y eut pas de survivants. Depuis, Rodriguès n'eut qu'une idée, se venger. Il était témoin de scènes qui rendaient le sentiment de vengeance encore plus vif. Telle scène d'un vieil homme éprouvé par la maladie, la faim, titubant, disait, avant de s'embarquer, à Valence, qu'il voulait partir vers la liberté avant de mourir. Il mourut avant de monter à bord, et son corps fut jeté à la mer. Ou telle autre scène qui avait affecté Rodriguès profondément, d'une vieille femme qui avait plus de cent ans, portée par ses petits fils, passa devant le couvent des dominicains de Valence. On lui demanda si elle n'aurait pas mieux aimé vivre tranquillement en étant une bonne chrétienne en Espagne ? Elle répondit : « je n'ai jamais été chrétienne, est ce que je devrais le devenir maintenant que je peux aller vivre librement ? »
D'autres scènes ne furent pas moins éprouvantes de pauvres morisques se jetant sur le sable, baisant ses grains, en pleurs, comme pour s'accrocher à leurs terres. Les gardes étaient impassibles à leurs supplications. Le voyage au pays des Francs raviva le souvenir de la déportation. Tout le long du voyage, de Safi au Havre, on portait comme une boule de feu la tragédie des Morisques. Nous arrivâmes dans le pays des Francs le cœur serré.
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