La diplomatie, dans son empressement à habiller de vertu les engagements les plus épineux, recourt souvent à un brouillard d'euphémismes. L'accord conclu le 11 (juin) entre l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Union européenne sur Gibraltar, présenté en fanfare comme un « jalon historique », ne résiste pas à l'analyse rigoureuse. Loin d'être le triomphe proclamé par le gouvernement de Pedro Sánchez, ce pacte – dont le texte intégral n'a pas encore été rendu public – révèle une succession de concessions stratégiques qui consolident le statu quo britannique, perpétuent la dépendance économique de Gibraltar et repoussent, une fois de plus, la revendication inaliénable de souveraineté sur le Rocher. Sur l'échiquier géopolitique vital du détroit, l'Espagne a joué une partie timide, et le résultat est une occasion historique gâchée. La souveraineté, un fantôme réduit au silence Le cœur des critiques formulées à l'encontre de cet accord réside dans son ambiguïté délibérée concernant la souveraineté de Gibraltar, ambiguïté qui, loin d'être neutre, fait pencher la balance en faveur des intérêts britanniques et gibraltariens. Le Royaume-Uni, avec sa ruse diplomatique proverbiale, a veillé à ce que le pacte ne mentionne pas explicitement la souveraineté, tandis que l'intégration de facto de Gibraltar à l'espace Schengen et la future union douanière avec l'UE – promue paradoxalement par l'Espagne – fonctionnent comme une reconnaissance tacite de son statut de territoire britannique. Ce silence calculé n'est pas une victoire diplomatique, mais une capitulation implicite. La présence d'agents espagnols au port et à l'aéroport de Gibraltar, présentée par le gouvernement espagnol comme une avancée symbolique, est en réalité une humiliation mal déguisée. Ces agents opéreront selon un modèle de double contrôle, où les autorités gibraltariennes conserveront le contrôle de l'immigration et de la sécurité intérieure. Comparer cet arrangement aux contrôles français à la gare de Saint-Pancras, comme certains l'ont fait, est un exercice d'auto-illusion : il n'y a pas de conflit de souveraineté à Londres ; il y en a un à Gibraltar. En acceptant ce schéma, l'Espagne non seulement renonce au droit d'exercer un contrôle effectif sur un territoire qu'elle revendique, mais légitime également l'autorité gibraltarienne dans un acte qui confine à la subordination. Loin de renforcer sa position de négociation, le gouvernement a signé une clause de démission qui affaiblit la revendication historique de l'Espagne. Le Campo de Gibraltar : entre dépendance et colonisation économique L'accord privilégie, avec une rapidité suspecte, la fluidité économique au détriment de la justice structurelle, perpétuant les asymétries qui ont transformé Campo de Gibraltar en un appendice du Rocher . La suppression de la barrière et la libre circulation des personnes et des biens, présentées comme un baume pour les 15 000 travailleurs transfrontaliers (dont 10 000 Espagnols), ne résolvent pas le problème de fond : une région asphyxiée par un chômage chronique de 30 % et une dépendance économique structurelle à Gibraltar. Le « mécanisme financier » promis pour le Campo de Gibraltar, une déclaration vague, sans substance ni chiffres concrets, n'est guère plus qu'une aumône symbolique qui élude l'urgente nécessité de diversifier l'économie régionale.