Cinq jours de vendettas au pied des montagnes du Kirghizstan ont ébranlé l'Asie centrale, mis le Kremlin et le Pentagone en alerte, et les démocrates qui ont applaudi la révolution d'avril dans l'embarras. On ne sait trop s'il s'agit de violences interethniques, des premières tragédies d'une guerre civile, d'un coup d'état rampant. Ou des trois à la fois. Les récits des rescapés qui ont fui par centaines de milliers vers l'Ouzbékistan et les rumeurs qui courent les camps de fortune sont accablants. Massacres aveugles, femmes violées, terres brûlées… la litanie du mal en action. A Bichkek, la capitale, les autorités ont étalé leur impuissance. Il y a deux mois, Rosa Otounbaëeva avait été investie « Présidente par intérim » sous les acclamations. Avec cette femme raisonnable et polyglotte, un nouveau leader en Asie émergeait... Aujourd'hui, elle erre dans son palais, livide et déprimée. Au second jour des massacres, elle a avoué la situation hors de contrôle. Depuis, l'état-major de l'armée aurait cessé de lui obéir. La presse fielleuse la soupçonne de corruption. Le peuple lui tourne le dos. Les Kirghizes cherchent un chef à poigne mais le nouveau régime prétend instaurer une république parlementaire afin de prévenir tout risque d'autoritarisme et la présidente maintient le référendum constitutionnel prévu à la fin du mois… Y a-t-il un chef d'orchestre clandestin derrière ce chaos ? Le gouvernement Kirghize y voit la main de l'ancien président Bakiev qui s'est enfui en exil. Il aurait des preuves. Il ne les montre pas. Les Britanniques ont arrêté le fils Bakiev, surnommé « le Prince » pour son goût de l'argent. Il aurait versé 10 millions de dollars pour armer les escadrons de la mort. De quoi mettre le feu à la poudrière ethnique. Attisés par les puissantes mafias qui contrôlent le trafic de drogue, les règlements de compte entre les Kirghizes et la minorité Ouzbèke pouvaient commencer. Ce scénario rocambolesque est vraisemblable. Le haut-commissaire aux Droits de l'homme de l'Onu a enquêté sur le déclenchement des violences et dénonce des attaques « concertées, panifiées et ciblées ». Aucun des pays voisins n'a intérêt au chaos au Kirghizstan. Les bandes armées qui sèment la terreur dans les campagnes n'y trouveront pas de bases arrière, ce qui limite les risques de voir la guerre civile s'étendre. La Russie et l'Amérique qui entretiennent toutes les deux (cas unique au monde !) une base militaire sur place ne tiennent pas à bousculer les équilibres de la région. La Chine qui lorgne sur ces grands espaces à sa porte est tenue à la réserve. On a donc vu l'Organisation du Traité de Sécurité Collective qui rassemble les anciennes républiques soviétiques se réunir en urgence mais pour ne rien décider. Surtout pas l'envoi d'un corps expéditionnaire des anciens pays frères. Ainsi tout dépend de la Russie mais la Russie se fait prier. Bichkek peut bien l'appeler au secours, le Kremlin rechigne à imposer une paix russe. Trente ans après, la leçon de l'Afghanistan reste cuisante.