Le Maroc enclenche enfin le chantier de la 5ème génération de téléphonie mobile (5G). Mais en 2030, cette technologie sera-t-elle encore au cœur des usages ou déjà sur le déclin ? À cinq ans de la Coupe du Monde 2030, les chantiers numériques s'accélèrent. Le Maroc entame enfin le virage de la 5G. En ce mois de juillet, l'ANRT a lancé un appel à concurrence pour l'attribution des licences, imposant des obligations strictes en matière de couverture, de qualité de service et de calendrier de déploiement (voir article ci-contre). Cette technologie mobile de cinquième génération promet, en théorie, des débits dix fois supérieurs à la 4G, une latence réduite à quelques millisecondes, et une capacité à connecter massivement objets, capteurs et véhicules. Selon le rapport Ericsson Mobility de juin 2024, la 5G devrait représenter un tiers des abonnements mobiles mondiaux d'ici la fin 2025, contre 1,5 milliard fin 2023. Ce basculement mondial s'accompagne d'usages concrets dans plusieurs secteurs : diffusion d'événements, transport intelligent, industrie, télémédecine. Si le Maroc enclenche enfin le processus, force est de constater que de nombreux pays ont déjà intégré la 5G à leurs usages quotidiens depuis plusieurs années.
Quelle approche 5G ?
En Asie, en Europe ou au Moyen-Orient, la cinquième génération de téléphonie mobile alimente déjà une variété de services concrets : diffusion en direct d'événements sportifs, transports intelligents, surveillance urbaine, gestion énergétique en temps réel. Pour Mouhcine Chami, président de l'Association Marocaine des Technologies de l'information et de la Communication (AMTIC), «la 5G permet notamment la communication instantanée entre voitures et infrastructures, des opérations médicales à distance en temps réel, ou encore des usines intelligentes avec capteurs connectés et robots autonomes». Elle ouvre aussi la voie à «la réalité augmentée dans les jeux vidéo ou le tourisme, au streaming 8K, au cloud gaming et au pilotage de drones pour la surveillance, la livraison ou l'agriculture». Mais sans articulation entre opérateurs, industriels, collectivités et secteurs utilisateurs, cette technologie risque de rester cantonnée à quelques vitrines. Le Mondial 2030 impose d'aller au-delà de l'affichage, pour structurer un écosystème numérique pérenne.
La 5G bientôt obsolète ?
L'éventuelle obsolescence de la 5G à l'horizon 2030 mérite d'être posée clairement, à l'heure où les premiers tests de la 6G sont déjà en cours dans plusieurs pays d'Asie. Mais pour Mouhcine Chami, «la 6G est encore en phase de recherche et ne devrait pas être déployée avant 2030. D'ici là, la 5G continuera à évoluer, notamment avec la 5G-Advanced, et restera la norme dominante pendant plusieurs années». Le rapport Ericsson Mobility de juin 2024 confirme cette cohabitation des diverses générations de téléphonie mobile : «Les abonnements 2G et 3G ont reculé respectivement de 19 et 30 millions au premier trimestre 2025, tandis que la 5G a progressé pour atteindre 1,7 milliard d'abonnés dans le monde». Les premières normes de la 6G sont attendues vers 2028, mais sa diffusion se fera de manière progressive. En revanche, une 5G lancée tardivement, sans couverture suffisante ni ancrage dans les usages concrets, risque de passer à côté de son potentiel...
Vision 2030 pour la 5G
La Coupe du Monde peut, à cet égard, jouer un rôle d'accélérateur. En fixant des échéances claires et en attirant l'attention internationale, elle offre un cadre propice à la prise de décision, à la mobilisation des moyens et à la coordination entre acteurs. Le Maroc dispose ainsi d'une fenêtre stratégique pour transformer le déploiement de la 5G en levier structurant, bien au-delà de l'événement. «Nos industries classiques doivent nécessairement évoluer vers des industries 4.0 qui demandent ce type de technologies», souligne Mouhcine Chami. Mais si la cinquième génération de téléphonie mobile reste limitée à des démonstrations ponctuelles ou à quelques quartiers vitrines, elle pourrait rapidement être perçue comme un projet coûteux, sans retombées durables. Tout dépendra de la capacité à aller au-delà du symbole et à créer un socle numérique solide. Car en 2030, ce n'est pas l'arrivée de la 5G que l'on retiendra, mais l'usage qui en aura été fait.
Omar ASSIF
3 questions à Mouhcine Chami, président de l'AMTIC : « Nos industries classiques doivent nécessairement évoluer vers des industries 4.0 qui demandent ce type de technologies »
* Qu'est-ce qui distingue la 5G des générations précédentes comme la 3G ou la 4G ?
La 5G se distingue principalement par trois paramètres majeurs. D'abord, le débit est beaucoup plus élevé : jusqu'à 10 Gbps, soit 10 à 100 fois plus rapide que la 4G. D'ailleurs, un test avec un téléphone connecté à la 4G va nous permettre d'avoir un débit d'une vingtaine de Mbits, suffisant pour des services comme les réseaux sociaux, la vidéo en flux type Netflix ou Forja de la SNRT avec une qualité 4K, ou encore WhatsApp, sachant que la communication téléphonique normale demande encore moins de débit que ça. Ensuite, la latence est très faible : il s'agit du retard que font les données entre l'envoi de la requête et le retour de la réponse. Cette latence en 5G va faire moins de 1 milliseconde, contre 30 à 50 ms en 4G et 100 à 300 ms en 3G. Enfin, la connectivité est massive : la 5G peut connecter simultanément un grand nombre d'appareils (jusqu'à 1 million/km2), ce qui est idéal pour l'Internet des objets (IoT) et aussi très utile pour des événements à grand public, éventuellement des événements comme la Coupe d'Afrique ou la Coupe du Monde que notre pays compte organiser en 2030.
* Quels types d'usages concrets permet la 5G aujourd'hui dans le monde ? Voici quelques exemples actuels. Les véhicules autonomes bénéficient de la communication instantanée entre voitures et infrastructures. Dans le domaine de la télémédecine, il est désormais possible de réaliser des opérations à distance en temps réel grâce à la faible latence : ceci permet à un médecin d'un pays d'opérer un malade dans un autre sans se déplacer. Dans l'industrie 4.0, les usines intelligentes utilisent des capteurs connectés et des robots autonomes. La 5G permet aussi d'avancer dans les domaines de la réalité augmentée et virtuelle, que ce soit dans le jeu vidéo, la formation ou le tourisme immersif. Pour le streaming 8K et le cloud gaming, la technologie permet de voir des vidéos à la demande avec des qualités encore plus importantes, sans latence ni interruption. Ceci dit, la technologie 5G va peut-être, à mon sens, concurrencer la communication satellite, surtout pour les services TV. Enfin, les drones peuvent être contrôlés à distance pour la surveillance, la livraison ou l'agriculture.
* Quels secteurs pourraient le plus bénéficier de la 5G dans un pays comme le Maroc ? Pour le Maroc, il y a un fort potentiel. Plusieurs secteurs pourraient tirer un fort avantage de cette technologie, surtout dans les domaines prioritaires du pays. Elle peut permettre le développement de l'agriculture de précision, grâce aux drones, capteurs, et à l'irrigation intelligente. Dans le secteur de la Santé, elle peut faciliter la télémédecine dans les zones rurales. En éducation, la 5G permettrait de développer des contenus interactifs à distance, comme la réalité virtuelle ou les laboratoires virtuels. L'industrie et la logistique pourraient aussi en bénéficier, en automatisant et en optimisant la production. Enfin, pour les villes intelligentes, la 5G permettrait une meilleure gestion du trafic, de l'énergie et de la sécurité urbaine. Cela dit, le potentiel sera énorme et le travail aussi. Nos industries classiques doivent nécessairement évoluer vers des industries 4.0 qui demandent ce type de technologies. Cycle technologique : La 5G progresse vite, mais la 6G est déjà en ligne de mire Bien que la 5G soit déjà disponible depuis 2019 (premier lancement en Corée du Sud), nous n'en sommes qu'aux prémices du cycle de vie de cette technologie, ce qui laisse encore un levier de croissance important aux fabricants de smartphones pour les années à venir. Selon les estimations publiées par Ericsson, le nombre d'abonnés mobiles à la 5G était de 1,5 milliard dans le monde en décembre 2023, et il devrait dépasser les 2 milliards à la fin de cette année. Cela signifie que la 5G devrait atteindre ce cap plus rapidement que la 4G ne l'avait fait après son introduction en 2009, tandis que la 3G avait pour sa part été supplantée avant même d'avoir pu atteindre la barre des deux milliards d'abonnés dans le monde. A noter que la 6G est déjà en cours de développement au niveau international. Les premiers tests et recherches ont commencé, avec des objectifs de standardisation autour de 2028 et une commercialisation prévue aux alentours de 2030. Les pays comme la Corée du Sud, la Chine et le Japon sont en tête des efforts de recherche et de développement.
ANRT : Une nouvelle phase entamée avec l'appel à concurrence relatif à la 5G Le 11 juillet 2025, l'ANRT a lancé un appel à concurrence pour attribuer les licences qui permettront de bâtir un réseau 5G national. Une étape que les opérateurs attendaient depuis plusieurs années, repoussée à plusieurs reprises pour des raisons techniques et réglementaires. Le processus prévoit des obligations en matière de couverture, de qualité de service et de calendrier de déploiement, qui seront fixées dans un cahier des charges à venir, adopté par décret. En ligne de mire : la mise en place d'une infrastructure capable d'accompagner des usages comme le streaming en très haute définition, la télémédecine, les objets connectés ou encore l'agriculture de précision. Dans ce chantier stratégique, le Maroc cherche à répondre à un double objectif : faire de la 5G une vitrine technologique à l'horizon du Mondial 2030, tout en renforçant sa position régionale. Des groupes internationaux comme Huawei, ZTE, Nokia, Ericsson ou Qualcomm figurent parmi les équipementiers les plus avancés sur ce terrain, et sont régulièrement cités comme partenaires potentiels. Sur le plan national, les trois opérateurs historiques (Maroc Telecom, Orange Maroc et Inwi) se préparent à soumissionner. Pour respecter les délais, plusieurs projets de mutualisation d'infrastructures sont évoqués depuis deux ans dans la presse, notamment autour du déploiement de la fibre et des tours télécoms. Bien qu'aucune structure n'ait encore été formellement constituée, cette piste reste envisagée pour optimiser les investissements.