Pendant qu'une proposition non contraignante a été adoptée par la Chambre des députés espagnole concernant la gestion de l'espace aérien au-dessus du Sahara, les termes du débat révèlent moins une opposition frontale au Maroc qu'un ajustement institutionnel à une réalité stratégique désormais actée : le Royaume s'impose comme l'interlocuteur légitime et incontournable dans la gestion de ce territoire. La Chambre des députés espagnole a voté, mardi 6 mai, une motion symbolique relative à la gestion de l'espace aérien saharien. Cette proposition, portée par le Parti populaire (PP), principal parti d'opposition conservateur, appelle le gouvernement de Pedro Sánchez à davantage de « transparence » dans ses pourparlers avec Rabat sur la supervision du ciel saharien. Le texte, qui a recueilli vingt voix pour, douze contre – issues principalement du PSOE au pouvoir – et cinq abstentions, dont celles du parti d'extrême droite Vox, n'a pas de valeur contraignante. Mais il révèle les tensions latentes au sein du paysage politique espagnol autour d'un dossier que le Maroc considère comme un acquis stratégique majeur. Derrière ce vote, se rejoue en réalité une guerre d'interprétation sur le virage opéré par Madrid depuis le printemps 2022. À cette date, un communiqué conjoint historique signé entre S.M. le Roi Mohammed VI et le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez posait les jalons d'un partenariat « d'exception » entre les deux pays, intégrant pour la première fois une reconnaissance explicite du plan marocain d'autonomie comme base « la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le différend du Sahara. Le point 7 de cette déclaration bilatérale, désormais cité avec insistance par les partis nationalistes basques et catalans, évoquait la volonté des deux parties de renforcer leur coopération dans plusieurs domaines, y compris « la gestion de l'espace aérien ». Mais faut-il voir dans la motion votée par la Chambre un réel frein aux discussions engagées ? À y regarder de plus près, le texte ne fait que réclamer que toute décision future sur ce dossier fasse l'objet d'un débat parlementaire et reçoive l'aval d'organisations internationales. Il ne remet nullement en cause le contenu ni la portée de la feuille de route signée en 2022. Pour de nombreux observateurs, il s'agit d'un signal interne davantage destiné à la base électorale du PP qu'à Rabat. « Ce type de motion sert avant tout à agiter des symboles en période préélectorale », estime un diplomate européen en poste à Madrid. « En pratique, elle ne saurait entraver le processus déjà en cours entre les deux gouvernements. » Lire aussi : Autonomie du Sahara : une dynamique irréversible portée par le Maroc Car sur le terrain, la gestion de l'espace aérien du Sahara marocain n'est pas une abstraction. Depuis des décennies, la supervision technique de cette zone est assurée par les autorités espagnoles, par l'intermédiaire du centre de contrôle de Gran Canaria, pour le compte de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Or, le Maroc, dont la souveraineté sur le Sahara est reconnue de facto par une majorité croissante de pays, estime légitime de superviser l'ensemble de son espace aérien national, y compris saharien. Une demande qui s'inscrit dans une logique d'intégration institutionnelle, mais aussi de modernisation technique du réseau aérien marocain, l'un des plus performants d'Afrique. Rabat avance avec méthode Contrairement à ce qu'insinue une frange de la classe politique espagnole, Rabat n'a jamais imposé unilatéralement cette demande. L'approche du Royaume est fondée sur un dialogue progressif, adossé à un partenariat renouvelé avec Madrid. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le gouvernement espagnol a systématiquement évité d'entrer dans la polémique. Lors des dernières questions parlementaires sur le sujet, le ministre des Affaires étrangères José Manuel Albares a simplement renvoyé aux propos tenus en décembre 2023, qualifiant les rumeurs de transfert imminent de l'espace aérien de « désinformation ». Une réponse mesurée, fidèle à la ligne du gouvernement Sánchez : éviter les provocations, tout en poursuivant la feuille de route négociée avec Rabat. Sur ce point, le soutien affiché de Pedro Sánchez à l'Initiative marocaine d'autonomie a ouvert un nouveau cycle dans les relations bilatérales. Depuis 2022, le Maroc et l'Espagne ont renforcé leurs échanges commerciaux, intensifié les partenariats énergétiques (notamment autour du gaz et de l'hydrogène vert), et entamé une coopération stratégique sur la sécurité maritime et la lutte contre l'immigration illégale. Le dossier de l'espace aérien s'inscrit dans cette dynamique de confiance et de codéveloppement. Il est abordé, selon plusieurs sources diplomatiques, comme un levier de modernisation technique et de simplification administrative, au bénéfice des deux pays. Reste que pour les adversaires traditionnels du Maroc en Espagne, notamment au sein des partis d'extrême gauche, des mouvements indépendantistes basques ou de certains réseaux proches du Front Polisario, la question de l'espace aérien saharien est devenue un prétexte pour relancer une opposition idéologique à la normalisation hispano-marocaine. Pour ces cercles, la symbolique l'emporte sur la réalité juridique. Pourtant, dans les faits, le soutien international à la position marocaine s'est considérablement renforcé ces dernières années : Etats-Unis, France, Allemagne, Pays-Bas, Emirats arabes unis ou encore Sénégal ont publiquement appuyé l'approche marocaine d'autonomie sous souveraineté, dans le cadre d'une solution politique négociée. La stratégie de Rabat s'inscrit dans cette dynamique globale. En consolidant sa souveraineté fonctionnelle sur ses provinces du Sud, y compris dans les secteurs sensibles comme le contrôle aérien, le Maroc démontre sa capacité à gérer avec responsabilité les enjeux de sécurité et de développement. De Laâyoune à Dakhla, les infrastructures modernes, les zones industrielles émergentes, et les investissements croissants témoignent d'une transformation profonde, que même les critiques les plus virulents à Madrid ne peuvent plus ignorer. En fin de compte, la motion du PP adoptée par la Chambre basse espagnole ne reflète pas une rupture diplomatique, mais une crispation passagère dans le débat parlementaire interne. Elle n'engage ni le gouvernement espagnol, ni les institutions européennes ou internationales. Et surtout, elle ne change rien à la réalité géopolitique : le Maroc est aujourd'hui reconnu comme un partenaire crédible et stable dans une région marquée par les turbulences. À mesure que se referme la parenthèse d'ambiguïté qui entourait le dossier du Sahara dans la diplomatie espagnole, Rabat continue d'ancrer sa position sur le terrain, fort de sa légitimité historique et de sa vision stratégique.