C'est un pavé dans la mare du paysage médiatique marocain. Le Réseau marocain des journalistes des migrations (RMJM) vient de dévoiler, ce lundi à Casablanca, les conclusions de sa toute première étude consacrée à la manière dont la presse écrite et digitale marocaine traite les questions migratoires. Derrière le titre sobre « Le traitement médiatique des migrations étrangères par la presse marocaine », se cache en réalité un diagnostic sans fard des réflexes médiatiques nationaux face à un sujet de société devenu stratégique pour le Maroc. Fruit de six mois d'observation, couvrant la période de janvier à juin 2024 – avec une extension en décembre 2023 pour inclure la Journée internationale des migrants – l'étude, pilotée par Mohamed Karim Boukhssas, journaliste et universitaire à l'Université Moulay Ismaïl de Meknès, se veut un outil de plaidoyer. « Ce rapport n'est pas une fin en soi. C'est une invitation à repenser nos pratiques éditoriales, à ouvrir le débat, et à sortir d'une couverture trop souvent superficielle et biaisée », a plaidé le RMJM à l'occasion de la présentation publique du rapport, réalisé avec le soutien du CCFD-Terre Solidaire. Première révélation : la quasi-totalité du traitement médiatique observé reste confinée au registre factuel. Près de 85 % des articles étudiés se limitent à relayer des informations brutes, sans recul, ni mise en contexte, ni investigation de terrain. Une course à l'information rapide qui néglige l'essence même du journalisme : l'analyse. Pire, l'étude pointe une dérive inquiétante : la persistance de stéréotypes et de discours discriminatoires, notamment envers les migrants originaires d'Afrique subsaharienne. La dramatisation des faits divers impliquant des étrangers, l'insistance sur leur origine dans les titres, et la construction d'une image anxiogène alimentent, selon l'étude, des représentations réductrices et dangereuses. « Les migrants sont trop souvent dépeints comme une menace ou un problème à gérer », souligne Boukhssas. Les chiffres sont édifiants : 72 % des contenus analysés se concentrent exclusivement sur la migration dite « irrégulière », en particulier les tentatives de franchissement des frontières terrestres ou maritimes. Cette focalisation marginalise d'autres aspects pourtant essentiels, comme les parcours d'intégration, les droits humains, ou la contribution économique des migrants. Lire aussi : Questions parlementaires sur la presse : une attention minimale malgré les enjeux sociaux Les migrants, grands absents du récit médiatique Autre constat accablant est l'absence presque totale de la parole des premiers concernés. Seuls 3 % des articles donnent la voix aux migrants eux-mêmes. La couverture médiatique privilégie massivement les sources officielles – responsables publics ou communiqués institutionnels – qui représentent 45 % des citations. Les ONG, les chercheurs ou les acteurs associatifs peinent à exister dans ce récit médiatique verrouillé. Les femmes migrantes, pourtant parmi les plus exposées aux vulnérabilités, restent invisibles dans la presse nationale. Sur les 184 articles analysés, seuls trois les mentionnent explicitement. Une invisibilisation qui en dit long sur le traitement genré des migrations. L'étude révèle également une concentration de la production éditoriale. Neuf médias digitaux seulement sont à l'origine de près de la moitié des articles publiés. 72 % des contenus sont en langue arabe, confirmant la faiblesse structurelle de la production en français et en anglais sur cette thématique. Cette pauvreté quantitative et qualitative interroge, d'autant que les questions migratoires sont devenues un enjeu géopolitique, économique et social central pour le Maroc, à la croisée des routes migratoires africaines et européennes. Pour le RMJM, l'enjeu est désormais de transformer ce diagnostic en levier de changement. « Nous appelons les médias, les écoles de journalisme, les institutions et la société civile à s'approprier ces résultats pour bâtir une couverture plus équilibrée, plus humaine et plus responsable », plaide le réseau. En filigrane, l'étude questionne la capacité du journalisme marocain à se hisser à la hauteur des enjeux migratoires du XXIe siècle, entre gestion sécuritaire et devoir d'humanité. Le défi est immense, mais la prise de conscience amorcée par cette étude pourrait bien être un premier pas vers une presse plus exigeante et plus juste.